Un vent nouveau
souffle sur la Business School de Harvard. Alors que la cérémonie de remise des
diplômes approche, pour la première promotion à obtenir un MBA depuis le début
de la crise financière, les étudiants font circuler un serment les engageant à
faire leur travail de « manière éthique », à « s'efforcer de créer une prospérité
économique, sociale et environnementale durable au plan mondial », et à gérer
leurs entreprises « en toute bonne foi, en évitant les décisions et un
comportement qui ne servent que les étroites ambitions personnelles aux dépens
de l'entreprise et des sociétés dont elle dépend ».
La formulation de ce nouveau serment
s'inspire de celui adopté en 2006 par la Thunderbird School of Global
Management, en Arizona. Qu'il ait été repris par la plus célèbre école
d'administration des affaires est toutefois significatif.
Au moment d'écrire, près de 20 pour cent de
la promotion 2009 de Harvard avait prêté serment. Cela incitera bien sûr les
cyniques à demander « Qu'en est-il des 80 autres pour cent ? ». Mais ceux qui
ont prêté serment font partie d'une tendance plus large en faveur d'un retour à
une éthique commerciale, dans le sillage de l'avalanche de révélations sur la
cupidité et les pratiques malhonnêtes dans le secteur de la finance. La
participation aux cours d'éthique commerciale a grimpé en flèche et les
activités des principales écoles de commerce sont plus qu'auparavant axées sur
la manière de faire des affaires tout en promouvant les valeurs sociales à long
terme.
L'éthique commerciale a toujours comporté des
difficultés intrinsèques, différentes de celles d'autres professions, telles
que la médecine, la dentisterie, la loi ou l'ingénierie. Récemment, un membre
de ma famille qui avait un problème oculaire a été envoyé par son médecin
traitant voir un spécialiste. Après avoir examiné son Å“il, le chirurgien a
estimé qu'aucune opération n'était nécessaire et qu'un généraliste pouvait le
soigner.
Mes amis médecins me disent que c'est la
conduite à tenir pour un médecin qui se conforme à la déontologie de sa
profession. Il est par contre assez difficile d'imaginer une situation où vous
allez chez un concessionnaire automobile et qu'il vous dise que vous n'avez pas
vraiment besoin d'une nouvelle voiture.
Pour les médecins, l'idée de prêter un
serment d'honneur remonte à Hippocrate. Toute profession a bien sûr ses
mécréants, quelque que soit le serment prêté, mais la plupart des
professionnels de la santé ont pour vocation de servir au mieux les intérêts de
leurs patients.
Les chefs d'entreprise ont-ils un autre
intérêt que les bénéfices et le succès de leur société ? On peut en douter. En
fait, la majorité d'entre eux pensent qu'il n'y a aucun conflit entre l'intérêt
personnel et l'intérêt de tous. D'après eux, la « main invisible » d'Adam Smith
fait en sorte que la poursuite de leurs propres intérêts dans le cadre de
l'économie de marché va dans le sens de l'intérêt du plus grand nombre.
Dans le même ordre d'idée, Milton Friedman
écrivait, dans son livre Capitalisme et Liberté publié en 1962, que « le monde
des affaires n'a qu'une seule et unique responsabilité sociale - utiliser ses
ressources et s'engager dans des activités destinées à accroître ses profits,
et cela aussi longtemps qu'il pratique une concurrence ouverte et libre, sans
tromperie ni fraude ». Pour les tenants de ce credo, l'idée qu'un chef
d'entreprise puisse s'intéresser à autre chose qu'obtenir les meilleurs
dividendes possibles pour les actionnaires est une hérésie. Bien que la crise
financière mondiale ait révélé une multitude d'actes frauduleux, ce n'est pas
la fraude qui a sous-tendu la crise, mais l'incapacité à faire correspondre les
intérêts personnels de ceux qui ont vendu et revendu les prêts hypothécaires à
risque aux intérêts des investisseurs des institutions financières qui s'en
sont portés acquéreurs. Le fait qu'une catastrophe encore plus grande aurait pu
se produire si le gouvernement n'avait pas eu recours à l'argent des
contribuables pour renflouer les banques a été un camouflet de plus pour ceux
qui préconisaient la confiance dans la déréglementation des marchés. Le serment
des étudiants de Harvard constitue une tentative de remplacer la doctrine de
Friedman sur la responsabilité des entreprises par une toute autre approche :
des cadres qui s'engagent à promouvoir un bien-être durable et à long terme
pour tous. Cette nouvelle approche déontologique est manifestée dans des
clauses du serment qui enjoint les managers « à se développer à la fois
personnellement et à développer les compétences des autres managers sous mes
ordres de façon à ce que la profession continue à croître et à contribuer au
bien-être de la société ».
Une autre clause souligne le devoir de
transparence et de responsabilité envers ses pairs, une caractéristique de
réglementation professionnelle interne. Et pour ce qui est des objectifs
ultimes de la profession de dirigeant d'entreprise ce sont, comme nous l'avons
vu, rien moins que de « de créer une prospérité économique, sociale et
environnementale durable au plan mondial ».
Un tel code d'honneur peut-il vraiment
s'implanter dans le monde si compétitif des affaires ? Un aperçu de son
éventuel succès est reflété par un commentaire fait récemment à un journaliste
du New York Times par Max Anderson, l'un des instigateurs du serment de Harvard
: « Nous avons le sentiment que nos vies doivent avoir plus de sens et que nous
devons diriger nos entreprises pour le bien commun ». Si suffisamment de cadres
et de chefs d'entreprises peuvent concevoir leur intérêts en ces termes, nous
assisterons peut-être à l'émergence d'une profession commerciale éthique.
Traduit de
l'anglais par Julia Gallin
* Professeur de
bioéthique à l'université de Princeton et est professeur de l'université de
Melbourne. Son dernier ouvrage paru est : Sauver une vie : agir maintenant pour
éradiquer la pauvreté.
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Posté Le : 16/07/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Peter Singer*
Source : www.lequotidien-oran.com