Algérie

La géométrie du vivant



Les deux ont superbement chanté la nature qui s'est faite, en retour, leur confidente, tout au long de leur existence : la vie à peine perceptible sous l'écorce, le murier faisant des siennes avec ses fruits gonflés à bloc, les arbres se réveillant au printemps, ou sommeillant en hiver, les abeilles bourdonnant autour des fleurs et, bien sûr, l'être humain qui se fait, malgré lui, et à chaque instant, miroir de tout ce qui évolue dans « la logique du vivant » selon la belle expression du prix Nobel de médecine, François Jacob ! Le premier, Essanawbari, vécut au 10e siècle entre Alep et Damas, du temps de la dynastie hamdanite. Quant au deuxième, Robert Frost (1874-1964), il évolua en Nouvelle-Angleterre (USA). Ces deux ténors du verbe, à proprement parler, ne pouvaient que révéler ce qu'il y a de plus beau dans le répertoire de la nature. Et les deux, aussi, ont eu des penchants métaphysiques. Peut-on, du reste, échapper à l'emprise de ce qui a une attache directe avec l'essence de l'existence même 'C'est que les grands thèmes de la poésie se retrouvent sous toutes les latitudes, car il y va de l'homme lui-même. La guerre, l'amour, la paix, la faim et autres sujets ont toujours eu des poètes pour les situer à leur juste place dans le c'ur et l'esprit de l'homme. Derrière la nature luxuriante, tant chantée par nos deux poètes, se profile, cependant, cette angoisse existentielle que l'homme, n'importe quel homme, porte toujours en lui. En effet, celui-ci, n'est-il pas, selon le Saint Coran, le polémiste le plus entêté de tout l'univers ' Essanawbari rentrait, de temps à autre, dans sa première coquille, le chiisme, dont il était nourri, comme pour se donner un certain crédit et contrebalancer, en même temps, son amour pour les choses de la nature tout court. Pleurnichard, parfois, au point de se faire qualifier par ses pairs de « pleureur » en ceci qu'il rendait hommage à la descendance du Prophète dans des élégies plaintives sans cesse répétées. Heureux pour ses lecteurs qu'il se fût toujours rattrapé par la nature, d'où l'intérêt de sa production poétique qui reste, quand même, à redécouvrir.Robert Frost, de son côté, nous livre une poésie simple, mais, si ferme et si assurée au point d'accentuer la nécessité de cette quête métaphysique qui caractérise l'homme. La nature est là, se révélant par autant de petites touches rappelant la technique des plus grands aquarellistes. Le tout dans un souci d'aller « par les chemins les moins fréquentés ». De fait, de par sa simplicité, il donne l'impression de n'avoir pas tout dit, qu'il reste quelque chose à découvrir. Il lui arrive, parfois, d'abattre ses cartes, mais, dans un lyrisme incomparable : « Ce monde, dit-il dans un de ses poèmes, pour les uns, mourra brûlé. Selon d'autres, gelé. Ce que j'ai tâté du désir. Me fait dire : il sera brûlé. Mais s'il devait deux fois mourir. Je sais ce que c'est que haïr. Et je peux dire. Que pour détruire. Le gel est fort aussi. Et suffit. »Ainsi donc, au delà des temps, des lieux et des cultures, cette déroutante géométrie du vivant ne cessera de se faire présente aussi longtemps que le soleil continuera de briller. Qu'elle se confonde avec un laurier ou un oranger, comme c'est le cas pour Essanawbari et Robert Frost, c'est l'homme qui, en fin de compte, demeure son principal centre d'intérêt.


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