Algérie

La fuite



Postulat de base : un cadre qui a quitté le pays est un cerveau. Largement admis depuis la désespérante émission télévisée de Leulmi, ce postulat est peut-être l'ancêtre de celui qui s'est logé comme une balle dans le cerveau des harraga selon lequel « n'importe où c'est mieux qu'ici ». Au terme de la ballade de l'ENTV, la télévision nationale de retour de ce petit voyage de découverte de nos ressources humaines parties se refaire une santé mentale, dans le monde libre, nous avait en son époque fournie des images de déception sensée faire prendre conscience aux gouvernants des dangers qui guettaient le pays. Mais cette idée longtemps véhiculée par les décideurs du pays et qui les arrange quelque part n'est-elle pas aussi productrice de schématisation du cadre algérien pour faire de ceux qui sont restés, des ratés dans le regard aussi bien de la société que dans celui de la cellule familiale restreinte ou élargie ? A entendre se plaindre les enfants de leurs parents cadres, il ne sert à rien de faire des études, vieux rêve révolu, puisqu'il suffit de savoir faire fi de tout principe et ignorer les lois pour accéder au bien-être vu sous l'angle de la seule consommation. La « fuite des cerveaux » devenu concept, appauvrissant plus encore les pays sous-développés, trouvant ses raisons en premier lieu dans la mauvaise gouvernance tel qu'il est désormais établi par toutes les expertises, se traduisant par une incapacité des pouvoirs autoritaires à offrir une vie décente à une catégorie de la société sans laquelle aucun développement n'est possible, cache en fait une volonté politique délibérée de provoquer cette hémorragie chronique et de faire fuir les cadres en les sous-valorisant. Tout simplement en les sous-valorisant. Un mépris comme un autre qui ne s'explique nullement par le manque de moyens. 40.000, 100.000 chercheurs, médecins, ingénieurs, ou autres, plus ou moins, selon les sources, des pertes par milliards de dollars des déracinements, des douleurs de l'exil que n'explique aucune logique, aucune volonté si ce n'est celle de détruire un pays beaucoup mieux que ne le feraient ses ennemis, mêmes supposés. La question est de savoir maintenant pourquoi cette volonté persiste et qui y a intérêt ? Qui a intérêt à vider un pays de sa substance humaine qu'il forme à grandes dépenses publiques puisées dans des ressources naturelles épuisables. Le système, répondront ceux qui croient encore naïvement qu'un système est un ensemble d'éléments qui interagissent sans voir qu'aucune interaction n'est démontrable et qu'il y a risque de s'attaquer à autre chose qu'un système. Les gouvernants, reprendront ceux qui pensent encore que gouverner c'est prévoir sans dire comment le pays a été mal gouverné depuis son indépendance et qui dénoncent paradoxalement les gouvernants en reproduisant les ingrédients dont a besoin le pouvoir pour survivre à ses chutes successives. Les pays d'accueil qui ouvrent la voie à une immigration choisie, corrigeront les éternels mal nationalisés, mal indépendants, débitant des discours aussi creux que leurs incompétences et qui ont mené grâce à ce discours le pays à la faillite de la pensée, ne laissant rien pousser d'autre que la médiocrité et qui savent grimper les arbres du pouvoir avant de s'y installer durablement. Ce sont les plus dangereux. Les femmes qui veulent démontrer à leurs familles qu'elles ont fait un bon mariage parce qu'elles ont appris à compter l'euro en toute stupeur, diront les belles-mères déçues d'avoir enfanter des garçons. Le service national, jugeront les clients des cartes jaunes. L'hygiène, diront ceux qui ont oublié que jusqu'à l'indépendance nous faisions la chaîne devant les portes des toilettes collectives et des bains maures et que nous étions quand même propres. La couverture sanitaire du pays affirmeront ceux qui n'ont pas accès à des prises en charge à l'étranger sans dire combien l'Algérie a dépensé en hôpitaux « chinois » obsolètes et dont les équipements s'érodent par l'humidité sans avoir jamais été déballés pendant que les médecins du pays sont attirés par des hôpitaux dignes de ce nom de l'autre côté de la Méditerranée. Les causes qui expliquent donc cette « fuite des cerveaux » sont aussi nombreuses que diverses et en dresser la liste revient à faire le procès de la récurrence de débats devenus stériles puisque n'ayant rien réglé depuis qu'ils ont été engagés par la télévision nationale sur commande. Mieux, la liste s'est encore allongée et sont venues s'y ajouter les années de « terrorisme » sous le couvert desquelles bien des choses restent à dire. Durant cette période où des cadres ont fait les frais de l'opération « mains blanches » qui a touché plus de 25.000 d'entre eux incarcérés et qui ont pour la plupart payé à la place de leurs commanditaires pour être relâchés plus tard par incertitude de la justice avec des dossiers vides. Vides. Qui fera alors le procès des procès ? Pourtant, que d'éloges à propos de nombre d'entre eux ont été faits. Certains ont même été décorés pour les résultats obtenus et le dépassement de leurs objectifs. Ils faisaient partie d'ailleurs de ceux qui sont restés et ils n'étaient pas moins cerveaux que ceux qui ont fui. Comment alors attirer des cadres installés à l'étranger pendant que sont incarcérés ceux qui sont là ? C'est ce qui explique que des sociétés étrangères attirées par les opportunités d'investissements en Algérie déclarent la faiblesse du marché des cadres avant de se mettre à en importer. Qui pense aujourd'hui accepter une responsabilité sans s'entourer du maximum de garanties quitte à ralentir les processus de décision ce qui se manifeste par une bureaucratie lourde de conséquence et pénalisant la croissance ? Une réconciliation nationale dans ce domaine est-elle encore possible ? A en croire le mode de vie que mènent les cadres à l'étranger la réponse ne peut être que négative. Le mal est tellement profond que ceux qui sont restés pensent aussi à fuir pour devenir à leurs tours des cerveaux, une qualité de partant, de fuyard. Et se continue cette politique d'érosion comme un plan invisible par des mains visibles à leur arrogance, à leurs discours. Et le pays demeurera sous-encadré par volonté. De retour de Corée du Sud, un de nos brillants économistes semblait marqué par les valeurs de ce pays où un général ayant pris le pouvoir au début des années 50, avait commencé son premier acte de gouvernance par la construction d'une cité de recherche dans le plus beau quartier de Séoul. Acte hautement symbolique. A l'époque, le revenu annuel moyen des Sud-Coréens n'était que de 68 dollars. Depuis lors, les Sud-Coréens se fixent deux priorités : l'enfant et le chercheur. La société bien sûr suit parce qu'elle dépend entièrement de ces deux priorités. Le général en question est mort mais la Corée vit toujours et beaucoup mieux. Beaucoup mieux. Un exemple à suivre puisque les Coréens deviennent un modèle pour nos colloques sur la stratégie industrielle.


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