«La France se trouve dans une position comparable à celle de l'Algérie des années 1990»

Yves Bonnet, ancien patron de la Direction de surveillance du territoire (DST, contre-espionnage français), ancien préfet et membre de la Commission parlementaire nationale française de réforme des services de renseignement, revient dans cet entretien sur les attentats terroristes de Paris.- La France vient d'être frappée par de terribles attentats terroristes. Ces attentats étaient-ils prévisibles 'Ces attentats n'étaient pas seulement prévisibles mais prévus. Mais la réalité surprend toujours.- La France craint-elle le retour des «djihadistes» partis combattre en Syrie et en Irak aux côtés de Daech et du Front Al Nosra 'La France se trouve dans une position comparable, sinon analogue, à celle de l'Algérie des années 1990, qui voyait le retour des «Afghans». Elle va subir de plein fouet une agression encore plus violente.- Le renseignement français a-t-il échoué à prévoir ces attentats ou bien est-il prisonnier de la «complaisance» des responsables politiques à l'égard des «djihadistes» 'C'est un peu les deux. Je pense que les «professionnels» sont à la hauteur de leurs responsabilités, mais que les politiques jouent avec le feu en abordant un domaine, celui de la subversion violente, qu'ils ne maîtrisent pas. Les postures politiques se paient cher.- L'absence de relations diplomatiques entre la France et la Syrie, empêchant toute coopération entre les services de renseignement des deux pays en matière de lutte antiterroriste, pénalise-t-elle la France 'A coup sûr. Il faut changer de cap et collaborer avec les services syriens comme je l'ai fait en son temps.- La politique de la France envers la Syrie n'a-t-elle pas favorisé le terrorisme 'Il est certain qu'appeler les jeunes Français à aller combattre Bachar Al Assad n'est pas très «opérant».- Pensez-vous que la politique française envers la Syrie changera au lendemain de ces attentats terroristes 'Je crois surtout qu'au-delà des postures politiques ou diplomatiques, la DGSI doit se rapprocher de son homologue syrienne et engager une véritable coopération, ainsi qu'avec les Russes. Mais pas avec les Iraniens.- Craignez-vous de nouveaux attentats terroristes en France 'Je ne les crains pas mais je les vois venir. La machine de la terreur ne s'arrête pas si facilement.- Quelle signification donneriez-vous à l'instauration de l'état d'urgence 'C'est une mesure d'ordre général qui ne change pas fondamentalement la situation. Elle est d'ordre psychologique plus que pratique.- Pensez-vous que les mesures prises, dont l'instauration de l'état d'urgence, sont suffisantes pour empêcher de nouveaux attentats 'Rien ne peut arrêter le déroulement de nouveaux attentats dès lors que les auteurs potentiels sont prêts à mourir pour les commettre. Il faut se situer dans une perspective à long terme et arrêter des mesures aussi radicales que le rétablissement du service militaire.- La France devrait-elle continuer à armer les «rebelles» en Syrie 'Il est toujours aléatoire sinon dangereux d'«armer» des combattants dont on ne sait pas grand-chose. A fortiori quand ils sont soutenus par des régimes «équivoques».- La capacité de nuisance n'a-t-elle pas été renforcée, avec l'ingérence militaire étrangère menée par Sarkozy en Libye, et aujourd'hui le soutien, par son successeur François Hollande, à des organisations armées en Syrie 'C'est tout à fait exact. L'intervention en Libye confine au désastre. Celle que Poutine nous à interdite de faire en Syrie aurait été du même effet. Restons fidèles à nos engagements contractuels en Afrique subsaharienne et laissons l'«Orient compliqué» (comme disait le général de Gaulle) à son destin.