Algérie - Revue de Presse

La France a-t-elle empoisonné l'Emir Abdelkader ?



L'étude del'hypothèse médicale du toxicologue suédois Sten Fofshufvud, émise en 1961grâce aux méthodes d'analyse impliquant la pharmacothésaurismose surl'empoisonnement à l'arsenic de l'empereur Napoléon par l'Angleterre pendant sadétention à Sainte-Hélène après sa défaite et son abdication à Waterloo,hypothèse officiellement réfutée en raison probable de son caractèrepolitiquement incorrect dans le contexte de la «construction de l'Europe» etqualifiée de romanesque, m'impose, déformation professionnelle obligepeut-être, associée à des événements troublants relevés par la lecture del'histoire de la détention de l'Emir en France, d'évoquer un sort semblablepossible réservé à cet autre illustre captif de l'Histoire.Et, curieuxparallèle de celle-ci, les deux grands hommes partagent également lerapatriement de leurs cendres respectives vers le pays natal. De plus, lesaffaires récentes du «polonium russe» et des dioxines du Président ukrainienremettent au goût du jour l'histoire du politique et du poison comme moyend'alternance du pouvoir, si efficace depuis l'Antiquité. Il est indéniable quel'Emir Abdelkader, libre, captif ou même mort, gêne la France. Son prestige aconquis les quatre coins de l'univers. De l'Amérique au Caucase, il n'y a pasaujourd'hui un lieu, une ville, une rue, un buste sur une place qui ne sesouvienne de l'illustre Algérien. Même Paris, capitale de l'Empire qui l'a combattu,s'incline à son tour et immortalise son souvenir.L'Emir était unsavant (âlem), un poète, et «son génie organisateur ne le cédait en rien à sescapacités diplomatiques et militaires» (Charles-André Julien). Ses Traités sontrestés aussi célèbres que ses batailles et même sa reddition négociée,concertée au sein de sa smala, qui ne sacrifie rien à la gloire d'un chefalgérien qui a consommé, en dix-sept années de guerre, cent vingt (120)généraux français, quatre princes et seize (16) ministres de la Guerre, est unacte empreint de sérénité morale et de réalisme politique épargnant à sonpeuple des souffrances supplémentaires évitables, «enfumades de tribusentières» et «terres brûlées», apanage peu glorieux mais efficace de générauxen mal de stratégie. Au lendemain dela signature du Traité de la Tafna, à l'Emir qui réclame le retour de Tlemcencomme le stipulait l'accord, sinon »la paix ne sera qu'un trêve», le généralBugeaud ne défie pas Abdelkader dans une bataille frontale déclarée ni dans unduel chevaleresque, mais répond ainsi d'une promesse qui ne grandit pas lemilitaire: «Aussi longtemps que durera la trêve, je ne détruirai pas lesmoissons»! N'est-il pas navrant, pour l'art militaire, de constater que desofficiers passent des années entières à apprendre dans les grandes écoles ceque le criquet fait naturellement: détruire les moissons ! L'Emir est noble(sharif), descendant du Prophète mais son combat est pur de tout fanatismereligieux et sert une grande cause, la liberté de son peuple; il est d'unegrande loyauté et d'un grand humanisme, comme le témoignent ses égards dûs auxprisonniers de guerre et sa défense des chrétiens d'Orient durant son exil. Saspiritualité profonde empreinte de tolérance est d'une étonnante modernité et initiele dialogue des religions et des civilisations. Mais la France faillit à sesengagements envers l'illustre «ennemi intime» qui négocie une redditionmilitaire contre un exil au Moyen-Orient, convoitise, déjà, des ambitionsimpériales de la France, l'Angleterre, la Russie face à la décadence ottomaneamorcée. Au Fort Lamalgue à Toulon, l'Emir subit un «emprisonnement cruel etdéloyal «qui émeut Lamartine qui propose une «demeure salubre», le château dePau. L'Emir, qui avait déclaré à Bugeaud après le Traité de la Tafna: «Nousavons une religion qui nous oblige à tenir notre parole; je n'ai jamais trahila mienne !», s'offusque profondément du manquement français et redoute le pired'un ennemi déloyal.Abdelkader, mêmecaptif, s'avère un hôte encombrant de la France et même son exil auMoyen-Orient, s'il venait à être exaucé, pourrait «déstabiliser la région» auprofit de la Couronne d'Angleterre qui courtise l'Emir et le verrait bien enSultan des Arabes, lui un descendant du Prophète et brave guerrier, pourl'opposer aux Ottomans et devancer la France.En Afrique duNord, avant sa reddition, Abdelkader entraîne le roi du Maroc, conquis par leséclatants succès de l'Algérien, vers une alliance «maghrébine» contre laFrance; mais le bombardement de Tanger entame l'esprit fraternel du souverainqui révise son engagement et pourchasse l'Emir vers la frontière à portée desgoumiers de Lamoricière. Abdelkader observe alors une halte, en territoiremarocain, près de la frontière, dans l'attente, dit une légende, d'une frégateanglaise chargée de l'extirper de l'étau franco-marocain; elle ne viendra pas,autrement, peut-être, le destin de l'Algérie aurait pris une directiondifférente. La France connaît des remous importantscontemporains de la captivité de l'Emir; la République s'installe... L'Empire, leSecond, est restauré... La malédiction de «l'oiseau d'Afrique» semble punir latrahison du Duc d'Aumale et de Lamoricière. Mais la crainte de la France estautrement plus «stratégique» et moins mystique; Tocqueville, en 1841, endéfinit la réalité: «Il est à craindre qu'Abdelkader ne soit en train de fonderchez les Arabes un pouvoir plus centralisé, plus fort, plus expérimenté, plusrégulier que tous ceux qui se sont succédé depuis des siècles dans cette partiedu monde. Il faut donc s'efforcer de ne pas le laisser achever ce redoutabletravail». Des évènements intrigants vont conforter l'idée que la France décidede se débarrasser insidieusement d'Abdelkader pendant sa détention: unemortalité effarante de l'entourage de l'Emir à Pau puis à Amboise, surtoutrelative à une population fragile transplantée (enfants en bas âge) et destroubles de santé affectant électivement des femmes autorisent la présomptiond'un empoisonnement (à l'arsenic ?) de L'Emir Abdelkader qui ne devrait sonsalut qu'à des facteurs et des antécédents personnels: l'austérité des moeurs(hygiène de vie rigoureuse) et sa résistance physique exceptionnelle. Le séjourrelativement bref au château de Pau, six mois, est émaillé d'événements douloureuxà répétition suspecte pour les hôtes captifs, soucis de santé graves, mortd'enfants en bas âge...; les conditions de l'habitat (l'ensoleillement duchâteau, les longs travaux de restauration antérieurs à l'arrivée de l'Emir,l'alimentation en eau potable et le réseau d'évacuation fraîchement aménagés)ne sauraient être mis en cause !Le 30 avril 1848:Zineb, une petite fille de deux mois est morte à quatre heures du matin. Le 1mai: Abdallah Abdelkader, dix-huit mois, fils de l'Emir, meurt à trois heuresdu matin, plongeant le père dans un profond chagrin et une grande «méditation».Le 12 mai 1848: la mère d'Abdelkader tombe subitement malade; la gravité de sonétat oblige l'Emir à rester à son chevet et annuler les audiences prévues. Le20 mai: l'épouse est à son tour gravement malade; les religieuses de lacongrégation des Soeurs de la Charité, appelées à la rescousse, car elle refuseénergiquement la visite d'un médecin, évoquent le diagnostic d'une «affectionqui pourrait provenir d'un séjour prolongé dans un milieu où l'air (?) est vicié(!); la présomption de l'intoxication, l'empoisonnement est légitime, en dehorsde tout symptôme, fièvre ou autre qui aurait certainement attiré l'attention,de nature à évoquer une origine infectieuse. Le 21 juillet: Mohamed, huit mois,est mort à dix-sept heures. Le 11 août: Rihane, six ans, fille du frère aîné del'Emir, décède dans un tableau de »convulsions»; dans ce cas aussi, l'absencede la fièvre, symptôme manifeste et banal qui ne peut être méconnu et qui n'estpas relevé, peut écarter une étiologie infectieuse (méningite... ). Le 7octobre: Khadidja, dix-huit mois, fille de l'Emir, décède au château à dix-huitheures... etc.L'EmirAbdelkader, la cible probable, n'a probablement dû son salut, comme annoncéplus haut, qu'à l'austérité rigoureuse de ses moeurs et sa résistance physiqueextraordinaire dont témoigne un contemporain, Gouvion: «l'austérité des moeursde l'Emir n'avait d'égale que sa bravoure», «souvent, une poignée de blé grilléou de figues était son unique nourriture, pendant de longues journées, aumilieu de courses sans repos et de combat sans trêve», «ce n'est pas une seulefois qu'on l'a vu faire soixante lieues dans la nuit, ou rester glaive à lamain soixante-douze heures sans mettre pied à terre».


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