Algérie

La France à la Sarkozy


Huit mois après son élection, Nicolas Sarkozy apporte-t-il la "rupture" promise après 30 années d'immobilisme français ? Surnommé ?l'hyper-président" par des médias perplexes, il a lancé une grande série de réformes, dont beaucoup étaient considérées autrefois comme des suicides politiques. Il vise de nombreux domaines – notamment les universités, la justice, la politique étrangère, l'immigration, la fiscalité et l'environnement – mais c'est l'économie qui jouera le rôle décisif. Le slogan de Sarkozy, ?travailler plus pour gagner plus," lui a valu un soutien considérable. L'épreuve cruciale sera sa capacité à réformer le marché du travail, dont les rigidités sont largement considérées comme la cause principale de la performance économique relativement mauvaise de la France, avec un taux de chômage qui n'a jamais été inférieur à 8% au cours des 25 dernières années. Si le gouvernement a déjà lancé de nombreux projets, à peu d'exceptions près, comme les cadeaux fiscaux pour les plus fortunés, la plupart sont encore en cours d'élaboration. Les plus importants concernent les fonctionnaires, les retraites, le droit du travail, la durée du temps de travail, qui provoquent tous des résistances féroces. La principale raison de cette lenteur – tout en notant en passant que les présidents précédents n'avaient rien fait du tout – est une loi de 2005 qui stipule que toutes les mesures affectant le marché du travail doivent d'abord être négociées de bonne foi avec les syndicats. Naturellement, ceux-ci entravent les négociations autant que possible. Par conséquent, la France est susceptible de bientôt dépasser la Suède dans la catégorie des plus grands dépensiers des deniers publics du monde. Tous les ministres des Finances français se plaignent qu'ils n'ont qu'une marge de man?"uvre très étroite pour réduire les dépenses, étant donné l'étendue des droits sociaux, particulièrement en termes de salaires et de retraites des fonctionnaires. La moitié des fonctionnaires d'aujourd'hui prendront leur retraite au cours des dix prochaines années, et Sarkozy s'est engagé à n'en remplacer qu'un sur deux. En 2007, le taux de non-renouvellement était de un sur trois, ce qui ne correspond pas à son engagement, mais constitue tout de même un renversement brutal par rapport aux décennies précédentes, au cours desquelles le nombre de fonctionnaires a crû bien plus vite que celui des emplois du secteur privé. Sarkozy estime qu'il bénéficie d'un mandat populaire pour pousser ses réformes du marché du travail au Parlement, où il contrôle une vaste majorité. Les syndicats lui opposent quant à eux qu'ils bénéficient d'une "légitimité sociale", revendication qui peut en surprendre certains ailleurs qu'en France, mais qui possède une emprise considérable dans un pays où manifestations à grande échelle et grèves prolongées sont interprétées comme une représentation valable de la volonté populaire. Dès le début, les deux camps se sont attendus à un combat circonscrit, qui est survenu en novembre dernier quand le gouvernement a décidé d'aligner l'âge de la retraite des fonctionnaires sur celui des travailleurs du secteur privé. Quand le premier gouvernement du président Jacques Chirac avait tenté une telle réforme en 1995, les cheminots, qui peuvent partir à la retraite à 50 ans ou 55 ans, avaient mené la résistance. Après presque trois semaines d'arrêt total des trains, le gouvernement avait cédé et perdu les élections législatives peu de temps après. La grève de 1995 est devenue un symbole de la "légitimité sociale," la terreur de tous les gouvernements suivants. Mais cette fois, les syndicats ont cédé au bout de neuf jours, principalement parce que la réforme avait été expliquée et promise au public pendant la campagne présidentielle. La légitimité démocratique a gagné une grande bataille sur la légitimité sociale. Voilà qui ouvre la voie à des réformes plus nombreuses et plus profondes. Une loi limitant les grèves de transport est entrée en vigueur le 1er janvier, et Sarkozy a l'intention de mettre fin à la semaine des 35 heures, bien qu'indirectement. Au lieu d'abroger la loi, il facilite les heures supplémentaires qui deviennent relativement peu chères. Il prépare aussi un relèvement de l'âge de la retraite, qui devrait passer de 60 à 61 ans. Les prochaines étapes sont encore plus provocantes : il envisage de modifier le contrat de travail standard et de faire voter tous les travailleurs après huit jours de grève. La mesure la plus fondamentale est sans doute la transformation radicale du mode de fonctionnement des syndicats. Leur rôle est actuellement codifié par une loi d'après 1945 leur accordant énormément d'influence, alors même qu'ils ne concernent plus à l'heure actuelle que 8 % des employés. Le projet, qui n'en est qu'au stade d'ébauche, envisage de les rendre responsables devant tous les travailleurs, plus seulement leurs membres, ce qui est une autre façon de promouvoir la légitimité démocratique, mais cette fois au c?"ur du système social. Une des raisons pour lesquelles Sarkozy a pu réussir là où d'autres gouvernements n'avaient jamais osé s'aventurer, outre le mandat populaire dont il bénéficie pour ses réformes, est une stratégie "gagnant-gagnant" par laquelle des réformes réussies impliquent des compensations substantielles. Par exemple, Sarkozy a promis que la moitié des économies réalisées grâce aux réductions du nombre des fonctionnaires seraient consacrées à des augmentations de salaire – éventuellement basées sur le mérite, nouvelle horreur pour les syndicats. Mais Sarkozy n'en est pas encore à transformer la France, pays hostile depuis longtemps aux réformes vers une économie de l'offre, en ce que beaucoup considèreraient comme une économie normale. S'il a de bons instincts en termes de marché du travail, il reste très français sur les autres sujets. C'est un fervent avocat des politiques industrielles, ce qui le poussera à de vives confrontations avec la Commission européenne et nombre de ses collègues. Il nourrit aussi un profond manque de confiance dans les marchés financiers, prêche souvent pour davantage de régulations, et considère l'euro fort comme une menace pour l'industrie française et une conséquence de la spéculation, ce qui a déjà provoqué de sérieux désaccords avec la Banque centrale européenne. Sur tous ces sujets, la plus grande partie du pouvoir décisionnaire a été transférée à l'Union européenne, ce qui réduit considérablement la marge de manoeuvre de Sarkozy. Mais la France occupera la présidence tournante de l'UE pendant le deuxième semestre de 2008. Personne n'est parfait, Sarkozy encore moins que les autres, il faut donc nous attendre à quelques exaspérantes initiatives. Traduit de l'anglais par Bérengère Viennot
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