Algérie

La fourmi et la cigale



Une autoroute qui coûtera près de 6,5 millions de dollars le kilomètre et qui reliera la frontière Est à la frontière Ouest sur près de 1.700 km, pour un coût total de 11 milliards de dollars c'est peu ou beaucoup d'argent ? Ça dépend.L'ampleur du projet est digne des grands ouvrages qui marquent l?Histoire d'un pays. C'est ce que l'Etat appelle un mégaprojet qui mobilisera près de 3 millions de tonnes de ciment, 5 millions de tonnes de sable, 1 million de tonnes de bitume, 45 millions de tonnes d'agrégats, 1 million de tonnes d'acier, quantité d'explosifs (?), d'énergie électrique, d'eau et de carburant. Un projet qui emploiera 77.191 personnes dont 70 % d'Algériens, particulièrement dans la catégorie des personnels d'exécution. Japonaise à l'Est, chinoise à l?Ouest, notre autoroute sera asiatique à 100 % du fait que les marchés ont été remportés haut la main, par des groupements d'entreprises connues pour leurs sérieux et leurs lettres de noblesse issues de la réalisation de grands projets à travers le monde. Seulement, il ne faut perdre de vue l'historique d'un projet.A ce titre, la presse nationale avait fait état, fin 2003, d'une conférence de presse d'un représentant du Conseil d'affaires algéro-américain qui venait d'identifier des opportunités d'investissements et où il était question d'une autoroute Est-Ouest traversant 20 principales villes d'Algérie, réalisable pour un montant global de 6,378 milliards de dollars appuyé par un management moderne. Il est vrai que le projet proposé par ledit conseil portait sur seulement 1.216 km au lieu des 1.700 km définitivement arrêtés, soit une différence de 484 km que les études validées ont recommandé. Un jeu d'arithmétique basique permet donc de chiffrer le projet actuel à près de 9 milliards de dollars au lieu de 11 figurant dans l'enveloppe budgétaire. Voilà pour les amoureux de la démonstration par les chiffres et les calculettes. Mais il ne s'agit là que d'un simple constat, car tout n'est pas dans les chiffres, du moins pas dans les chiffres officiels selon lesquels tout va toujours très bien et que toute pensée contraire serait inadaptée à la bonne marche du pays.Au-delà des chiffres, il y a la morale, celle-là même qui préserverait la nature en évitant au parc d'El-Kala la destruction de la vie. Première question : Bouteflika a-t-il été élu pour son premier mandat sur la base d'un programme ou d'une autoroute ? Réponse : non. Il est arrivé à un moment où le pays était en panne et qu'il était le mécanicien le plus proche du lieu de la panne. Comme à chaque fois qu'un Président arrive depuis l'indépendance et il n'y a pour s'en convaincre qu'à reprendre les étapes présidentielles de notre Histoire post-coloniale. Il savait parler à la foule, il avait une expérience politique sur le tas, le pouvoir le voulait et il voulait le pouvoir. Une Histoire de pannes successives au sommet d'un Etat en voie de fondation et qui n'arrive à s'en sortir qu'en opposant des projets d'infrastructures à un projet de société, depuis l'indépendance. D'où, l'utilisation de l'argent pour compenser le retard de la pensée et du débat contradictoire ou pour reporter leur destin. 11 milliards de dollars pour une autoroute ? C'est trop et pas assez ? Trop pour espérer redémarrer un appareil productif obsolète au point de tout importer au moment précisément où les prix flambent sur le marché mondial. Pas assez si l'on compte inscrire les actions d'investissements dans une politique globale en leur assurant un prolongement dans le temps, juste pour donner espoir à une jeunesse qui arrive à peine à se lever le matin pour compter un nouveau jour sur un calendrier réduit à quelques heures, le temps de partir ailleurs et de nuit. Des projets grandioses l'Algérie en a vu depuis le premier plan triennal avec l'option socialiste par dette envers son passé, puis avec les réformes par pression des banquiers du monde, puis avec le libéralisme par mimétisme obligatoire. Qu'en reste-t-il ? Des chômeurs nargués par la richesse nationale emprisonnée par une mutation qui échappe à la comptabilité et que seuls en connaissent les dessous quelques initiés. Là-haut. Quelques complexes industriels, touristiques, d'envergure qui ne trouvent pas preneurs et réduits à une casse qui ne fait le bonheur que des ferrailleurs. Deuxième question : Bouteflika a-t-il été réélu sur la base d'un programme ? Réponse : non. Il l'a été grâce à quelques plaques inaugurales d'infrastructures qui ne fonctionnent que sur le papier et grâce à la « réconciliation nationale » qui se voulait un projet grandiose où se mêlaient religiosité, relance économique, emploi, lutte anti-terroriste, développement de l'agriculture dans un ordre incohérent dominé par le pardon religieux au discours vague et incertain. Nous sommes-nous pour autant réconcilier ? Avec qui, diraient les sages ? Pourquoi, diraient les sceptiques ? Comment, diraient ceux qui savent lire entre les lignes et qui n'ont trouvé aucune méthode pour s'en sortir des discours flous de la politique de l'urgence ?Troisième question : Bouteflika sera-t-il réélu pour un prochain mandat ? Ça dépend de l'autoroute dirait Bencherif. Ça dépend de lui diraient ceux qui souhaitent son départ. Ça dépend du peuple dirait un vrai peuple. Nécessairement, diront ceux qui ont profité de la « moussalaha » pour blanchir leur argent et ceux qui ont fait de la corruption un système sans lequel l'Algérie serait bloquée. Le problème réside dans ce supplice qui nous fait refaire les choses en partant à chaque fois de rien comme si nous n'avions droit à aucune pause ni à aucun bonheur. Le supplice c'est cette autosatisfaction que procure la plantation d'un arbre sans se soucier de son irrigation et de sa conduite jusqu'à maturité. Jusqu'à en faire une source d'ombre pour ceux que le soleil brûle à force d'attendre qu'un lit se libère dans leur espace exigu.Le supplice c'est de travestir la fable de la cigale et la fourmi en pardonnant à la cigale son chant strident durant toute une indépendance réduite à une saison pendant que la fourmi arrive à peine à éviter les piétinements des passants qui passent. Le supplice c'est que la cigale survit à la fourmi parce qu'elle sait voler et se déplacer d'arbre en arbre sans être prise. Le supplice c'est d'accepter l'assourdissement par la cigale et le silence de la fourmi.


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