Les situationspolitiques et les mutations sociales et culturelles ont laissé des séquellessur la vie psychique de nos concitoyens, mais aussi des traumatismes et deshandicaps, qui nécessitent une prise en charge, sur le plan médical etpsychologique. Mon interrogation porte sur la formation de nos psys. Commentsont-ils formés ? Quelles sont les grandes écoles de psychologie qui lesinfluencent ? Fort de troisannées d'expérience en tant que psychologue dans un centre d'handicapés àAlger, je vous apporte mon témoignage. Je tiens à préciser que mon parcoursuniversitaire est le fruit de l'école fondamentale algérienne. Je vous parleraidu contenu du programme universitaire et des grands courants de la psychologieexistant en Algérie. Puis, j'aborderai les obstacles auxquels sont confrontésles psychologues sur le marché du travail. Tout d'abord, la psychologie en Algérie estintégrée dans les départements des sciences sociales. Or, elle a pris sonautonomie et elle est une science. Dans les grandes universités on trouve undépartement de psychologie avec des laboratoires et des blocs de recherche surl'addiction, le sommeil, l'apprentissage, etc... Le contenu du programme estdaté de la fin des années soixante-dix et début des années quatre-vingt.Pourtant, la psychologie est une science où les champs de recherche ontbeaucoup évolué pendant la dernière décennie. Chaque année, il y a de nouvellesrecherches et de nouveaux champs d'applications. Les neurosciences, parexemple, nous apportent chaque jour de nouveaux éléments pour comprendre lescomportements humains et les appréhender, expliquer les phénomènes sociaux,culturels, spirituels (...), et pour accéder à cette discipline, les futurspsys doivent connaître la neurobiologie et la neurophysiologie, notions exigéespour comprendre les phénomènes d'apprentissage, d'addiction et la gérontologie(par exemple, maladie d'Alzheimer). La pharmacologie est aussi indispensable,en particulier pour les cliniciens, pas uniquement pour connaître les noms despsychotropes, des neuroleptiques, des thymorégulateurs et des antidépresseursmais pour connaître et maîtriser leur substance ainsi que leur mécanismed'action au niveau synaptique (comment influent-ils sur les comportementshumains ?). On peut citer d'autres modules, auxquels les programmes ne fontaucune allusion, comme la psychologie cognitive assurée par des séminaires surl'imagerie mentale, sur la motivation, sur l'éducation, sur les pathologies del'adulte et de l'enfant, mais aussi sur le vieillissement (cela fait partie dugrand chantier que les responsables n'ont pas pris en considération, car ilspensent que les personnes âgées sont prises en charge par la famille. Parcontre, l'individualisme gagne du terrain dans les pays émergents et dans sonsillage, la notion du confort est sa substance. La prise en charge médicale enfait partie, et celle-ci nécessite un personnel qualifié). En outre, j'insistesur l'importance de l'enseignement de la théorie de l'évolution, qui estenseignée dans toutes les grandes universités du monde, y compris dans les paysdu golfe, afin de comprendre la conscience humaine et l'évolution de l'homme,loin des explications religieuses. L'étudiant va entrer dans le mondescientifique qui va lui donner l'esprit critique et la curiosité scientifique.Dans le même ordre d'idée, la philosophie est un module indispensable à laformation du psychologue, pour connaître les grandes écoles philosophiques,mais aussi pour distinguer ce qui est scientifique de ce qui est philosophique(entre psychanalyse et psychologie scientifique). À ce titre, le contenu nedoit pas se limiter à la philosophie islamique et arabe (c'est toujours le cas)mais il doit intégrer des cours sur la philosophie dite occidentale. Cependant,les enseignants en charge de biologie par exemple, doivent être diplômés dansleur domaine (neurosciences, biologie, etc...). Or, je me souviens que leprofesseur du cours de biologie était une orthophoniste, et que celle qui étaitchargée des TD était une étudiante en second cycle de psychologie. De ce fait,ni l'une ni l'autre n'avait de relation directe avec la biologie. Commentvoulez-vous connaître l'anatomie et le fonctionnement du cerveau avec desconnaissances de bases absentes ? En outre, la majorité des enseignantsn'avaient pas perfectionné leurs connaissances pour aborder d'autres champs. Acela, s'ajoutent leurs problèmes sociaux qui ne sont pas encore pris en charge(lors d'une discussion, un sociologue marocain m'a confirmé qu'au Maroc, unprofesseur à l'université touche 1500 Euro par mois au début, mais qu'il peuxarriver jusqu'à 2500 Euro, par ses publications et avec de l'expérience maissurtout lorsqu'il est attaché à un institut de recherche privé). Dans monparcours universitaire, chaque année, la rentrée était tardive et l'annéeuniversitaire se terminait vers la fin du mois de mai. A vous de juger sur lafin du programme ! Pour la documentation, c'est une autrehistoire ! Les livres en langue arabe sont tellement usés qu'on peut trouverdes pages entières déchirées. Le contenu est vraiment très pauvre. Parfois, onrencontre des difficultés de compréhension car, les traducteurs sont libanaiset utilisent par conséquent une terminologie dont nous n'avons pasconnaissance. Les ouvrages traduits portent en grande partie sur lapsychanalyse et l'interprétation des rêves (imprégnés d'un esprit religieux),sur l'éducation (basée surtout sur la théorie des stades de Jean Piaget) maisaussi sur les statistiques, sur certaines pathologies, le retard scolaire, etc...Les ouvrages sont toujours en français. Ces livres nécessitent non seulement laconnaissance de la langue française, mais également la maîtrise de celle-ci.Or, notre génération a reçu l'enseignement de la langue française tardivement(en quatrième année fondamentale). En effet, il y a des zones où il y a un réelmanque de professeurs de langue française, avec parfois des profs qui n'ontmême pas le niveau Bac. Comment voulez-vous maîtriser cette langue ? Sansentrer dans une polémique sur l'enseignement de la langue arabe, je crois queles dirigeants politiques ont commis un carnage sur le plan linguistique. Quandje compare les étudiants algériens avec les étudiants marocains ou tunisiens,je me rends compte de l'aventure aveugle de nos dirigeants. Un Algérienn'arrive pas à s'exprimer avec une seule langue correctement, par contre lesMarocains parlent et écrivent en langue arabe et en français correctement.Cependant, ma conviction est que l'enseignement de la langue française estprimordial dans l'enseignement des sciences sociales et humaines, ainsi que labiologie, les mathématiques, la physique, etc... En effet, le français facilitel'apprentissage et l'accès à la documentation sans passer par de mauvaisestraductions et il permet d'être à jour et autonome afin de développer un espritcritique et être au fait de ce qui se passe dans le monde des sciences. Nosvoisins marocains ou tunisiens l'ont bien compris, ils ont fait leur choix.Pour l'anglais c'est une autre histoire ! En Algérie on ne peut pas parler de courantsdominants, mais au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, le ProfesseurBoucebci a marqué deux générations. Il a fait beaucoup d'études très connuespar l'approche ethnopsychiatrie. Cependant, comme tout pays francophone, l'Algérien'a pas échappé à l'influence de la psychanalyse dans les prises en charge. Onpeut trouver les ouvrages de François Dolto un peu partout sur le marché dulivre. La majorité des étudiants lisent Freud, bien qu'il ne soit pas étudié àl'université. C'est pour cela qu'on ne peut pas parler vraiment de lapsychologie en Algérie, car la discipline est tout à fait nouvelle dans lasociété où les pratiques traditionnelles sont omniprésentes pour la prise encharge des handicapés mentaux. D'ailleurs, de nos jours, certains imamsutilisent ces méthodes pour prendre en charge par exemple l'angoisse, ladépression, les troubles bipolaires et autres. Pour l'anecdote, j'ai reçu unjour un enfant qui souffrait d'un retard mental. Les parents l'avaient emmenéchez un taleb. Celui-ci pensait qu'il était possédé par les djinns et quec'était pour cette raison qu'il ne parlait pas. Aussi, pour le faire parler, ille brûla avec du fer. Il y a beaucoup de cas de ce genre. Chez certains psysalgériens, on ne peut pas parler à proprement dit de courants systémiques,cognitifs, psychanalytiques, neuropsychologies, neurocognitifs, etc... Pratiquer la psychologie en Algérie nécessiteuniquement la détention d'une licence de psychologie option clinique. Mais ontrouve souvent beaucoup de psychologues avec un diplôme de DEUA de psychologie,ou une licence d'orthophonie. En France, pour exercer la psychologie, il fautavoir un master professionnel en psychologie (Bac+5), et l'accès en deuxièmeannée de master se fait sous conditions dont celle d'effectuer de nombreuxstages. Le premier obstacle auquel le psychologue vase confronter, c'est la langue, car il travaille avec des psychiatres ou desmédecins ; les correspondances se font en français avec une terminologiemédicale alors que toute sa formation s'est déroulée en langue arabe ! Ensuite,les tests, s'ils existent, sont tellement obsolètes et majoritairement importésdes pays du Nord, que le psychologue doit les traduire et les adapter à laculture locale. A ma connaissance, il n'y a pas d'institutions qui s'occupentde l'adaptation et de la traduction de ces tests nécessitant des experts.Parfois, le psychologue se trouve devant des cas qui le dépassent. Par manquede formation thérapeutique adéquate, ce dernier se trouve dans l'impossibilitéde suivre une personne psychotique ou un autiste. Ce point m'amène àm'interroger sur l'importance de la formation continue pour combler cettecarence. Or, on ne peut pas réduire cette formation à des réunions dans degrands hôtels ! Les psychologues ont vraiment besoin de formations pratiques,dans les hôpitaux, les centres pour handicapés. Ils ont également besoin dedévelopper des méthodes de prise en charge thérapeutique adéquates au modesocial et au mécanisme de pensée locale, en l'étalonnant à des méthodesscientifiques universelles. Je pense que l'Algérie a vraiment besoin depsychologues pour répondre aux besoins croissants de ses citoyens. Comme jel'ai souligné plus haut, les traumatismes vécus par nos concitoyens nécessitentune prise en charge scientifique de qualité. Pour développer et vulgarisercette discipline, l'institution algérienne doit s'adapter aux réglementationsinternationales en matière de formation et de prise en charge. Cependant, lacoopération avec les autres institutions et universités de qualité est urgente.Il est urgent de légiférer en Algérie sur l'exercice des méthodesthérapeutiques afin de s'éloigner des méthodes charlatanesques. Car, cesméthodes assez présentes dans l'Algérois commencent à se propager à d'autresrégions du pays. Si la population croit encore à la rakia c'est bien parce queles psychologues ne répondent pas encore à ses besoins. « Dans le champ de lapsychopathologie, écrit le Professeur Boucebeci, on reste stupéfait parcertains écrits portant sur le Maghreb, l'Algérie, et aussi du nombred'extravagances voire d'inepties éventuellement fidèlement reprises ettransmises parfois même par des nationaux. Il serait inutile de chercherquerelle à leurs auteurs. Il faut simplement prendre conscience quefaute d'être partie prenante, d'autres le font à notre place. La recherchescientifique se doit d'être ouverture, contestation, critique, excluant ledogmatisme et évidemment la malhonnêteté intellectuelle dont il faut à peinerappeler qu'elle est à différencier de l'erreur, notre lot à tous (...). Ledanger essentiel à l'étape actuelle est le silence ou le cantonnement à desapproches théoriques plus ou moins bien digérées, ou censées se vouloir dansune ligne idéologique ». (Cf. Maladie mentale et handicap mental, p 8-9).
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Posté Le : 26/04/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Haddar Yazid
Source : www.lequotidien-oran.com