Algérie

La fin du mort-né




Ingmar Bergman a eu une naissance difficile due à l'état grippal de sa mère au cours de sa grossesse. Il en souffrira toute sa vie depuis ce 14 juillet 1918 où il voit le jour, jusqu'à ce 30 juillet dernier où il s'éteint à l'âge de 89 ans. Il a subi l'éducation rigide de son père, pasteur luthérien, et l'adhésion de sa famille aux idées nazies, avant de prendre ses distances pour se frayer un chemin, le sien. L'homme s'est créé des repères dans la vie en s'inspirant de ses lectures difficiles d'oeuvres aussi célèbres que celles de Dostoïevski, Balzac, Flaubert, Nietzsche, mais surtout le socialiste Auguste Strindberg dont les oeuvres étaient traversées par les courants naturaliste et expressionniste. Bergman a eu l'art de raconter la complexité des choses simples en les abordant dans la simplicité complexe du péché. Ses titres étaient choisis dans la parole simple. «Il pleut sur notre amour», réalisé en 1946 d'après l'oeuvre d'Oscar Braaten, raconte une simple rencontre d'un homme qui héberge une femme après avoir raté leur train. Le train de la vie. Le reste est une histoire qui paraît ressembler à n'importe quelle autre histoire, sauf que le texte n'est pas n'importe quel texte. La même année, prend fin le procès de Nuremberg. Lorsqu'en 1960 il réalise «La Source», il raconte l'histoire de « Karin, fille de paysans aisés partant à l'église, accompagnée d'une servante. En traversant la forêt, la servante prend peur et Karin poursuit seule son chemin. Elle croise trois bergers, dont un enfant, et partage avec eux son déjeuner en signe d'innocence et de générosité. Au moment de les quitter, ils se jettent sur elle, la violent et la tuent, sous le regard du plus jeune. Ils trouvent ensuite l'hospitalité chez les parents de Karin. La mère découvre leur crime. Le père, Töre, les tue à son tour. Se rendant dans la forêt, il interroge Dieu sur les raisons qui Le poussent à laisser s'accomplir de telles horreurs. Au moment où ils soulèvent le corps de Karin, une source surgit ». Un fait divers, dirait un policier limité par le peu d'exigence intellectuelle de son métier. Une image d'une société qui se cache derrière les vertus religieuses, ignorant l'ignorance des bergers, ces exclus du monde des humains pour que la bête survive aussi par la vengeance. Et le crime appelle le crime. Lorsqu'en 1972 il réalise »Cris et chuchotements», Bergman fait le « portrait de quatre femmes, réunies pendant l'agonie de l'une d'elles. C'est l'occasion d'aborder des thèmes essentiels: la nostalgie de la jeunesse, la peur de vivre et de mourir, les relations conjugales, mais aussi les conventions de la morale puritaine ». Cette même morale qui, en plus de véhiculer l'hypocrisie nécessaire aux équilibres des relations entre les êtres, devient leur propre prison où les non-dits expriment cette volonté de s'en sortir, sans succès, que celui de disparaître. Il s'agit bien entendu de la société suédoise que Bergman fouille avec un souci du détail qui révèle sa complexité et la met à nu. N'est-ce pas d'ailleurs le sort de toutes les sociétés, à quelques variantes près ? Les décors et les couleurs de Bergman demeureront uniques dans l'histoire du cinéma, mais elles conservent cette rigidité reflétant son vécu déchiré. En fait, l'homme a toujours vécu seul parmi les autres. Il s'est nourri de cette solitude au point de la rendre bruyante de paroles recherchées dans une mise à contribution de la philosophie, du théâtre et de la peinture. Sa vie controversée l'a amené à se marier cinq fois, en dehors de ses liaisons avec ses principales actrices, des femmes qui avaient les mêmes points communs, le talent et la beauté. Presque la perfection. Il en a eu neuf enfants et elles ont gardé de lui sa grandeur dont elles faisaient état en termes toujours élogieux. Ses «Fraises sauvages» n'étaient en fait que ses «Scènes de la vie conjugale». C'est ce qui lui fait dire, dans une interview accordée à Reuters en 2001: « Les démons sont innombrables, ils apparaissent aux plus mauvais moments en créant panique et terreur. Mais j'ai appris qu'en maîtrisant les forces négatives et en les attelant à mon char, je pouvais les faire agir à mon profit ». Il les a emportées avec lui dans son dernier souffle qu'il devait à la vie. Mais comme le déclare Fredrik Reinfeldt, le Premier ministre de la Suède, « Je crois qu'il est difficile de saisir pleinement l'apport d'Ingmar Bergman au cinéma et au théâtre suédois». Avec cette nuance près: c'est que son apport était universel. Son oeuvre est déjà immortelle. Elle lui survivra certainement puisqu'elle a surpassé l'homme lui-même.


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