Algérie

La femme, un acteur majeur du hirak



La lutte des femmes est avant-gardiste vu qu'elles sont victimes d'une double oppression aujourd'hui : celle du pouvoir et de ses lois et celle de la société et de ses convictions conservatrices.Le constat est unanime : lorsqu'en février 2019, le mouvement populaire avait décidé d'investir, de façon inédite et spectaculaire, la rue pour dire "non" à un cinquième mandat, peu de voix pariaient sur une forte présence féminine. L'appréhension tenait à la fois des pesanteurs sociologiques, mais aussi de la crainte des dérapages dans un pays qu'on a décrété à tort de "violent", et de la dépolitisation dont on affublait ce segment de la société.
Pourtant, au troisième vendredi, coïncidant avec le 8 Mars, elles étaient des milliers, dans plusieurs wilayas du pays à rejoindre les manifestations pour crier, elles aussi, leur refus de l'ordre établi et clamer leurs aspirations à une nouvelle Algérie. Cette implication qui ne s'est jamais démentie depuis, a non seulement bousculé l'"ordre moral", subrepticement installé depuis la décennie noire, mais également conféré au mouvement, de l'avis de tous, son caractère pacifique.
S'il faut sans doute se garder de tirer des conclusions hâtives sur tous les aspects de l'apport de cette présence féminine dans le mouvement, il reste que tous s'accordent à dire qu'elle a pu changer le "regard" des Algériens, mais aussi introduit dans le débat, même s'il est amorcé timidement, la place qui lui revient de droit en tant qu'acteur social à part entière. "La présence des femmes dans la rue impose de fait le maintien du caractère pacifique. Nous sommes dans une société qui sacralise la femme en tant que ?mère', que ce soit dans le regard des manifestants ou des services de l'ordre. Il y a aussi la présence des enfants. Ce que je retiens, c'est la présence des femmes dans le débat public, non pas en tant que mère, s?ur ou femme simplement, mais en tant que force politique. Il y a tout un débat qui, pour l'heure, relève de la polémique. C'est une belle avancée", analyse Tin-Hinane Makaci, féministe et journaliste.
Selon elle, cet investissement des femmes a permis également d'entretenir la revendication progressiste et démocratique. "Les femmes posent la question des inégalités, que ce soit en genre ou en économie. De fait, la lutte des femmes est avant-gardiste vu qu'elles sont victimes d'une double oppression aujourd'hui : celle du pouvoir et de ses lois et celle de la société et de ses convictions conservatrices. Elles se battent autant pour changer la société que pour changer le système", résume-t-elle.
Parce qu'elles vivent dans leur chair et en première ligne les effets pervers de la crise sur leur progéniture, comme la harga, la déperdition scolaire ou encore le chômage, que leur implication pouvait apparaître naturelle, imprimant de fait à la formidable mobilisation populaire ce qui prend les relents d'une douce "révolution culturelle" d'autant qu'elle est appuyée par des figures révolutionnaires et historiques de renom, à l'image de Louisette Ighilahriz ou encore Djamila Bouhired et par l'émergence de certaines figures du hirak, telles que Samira Messouci ou encore Nour El-Houda Oggadi. "La femme algérienne investit l'espace public et contribue à changer l'image de la société algérienne. Elle mène une révolution culturelle sur le terrain. Elle prend la parole devant le public et défend ses avis politiques. Le hirak est une opportunité historique pour afficher les transformations positives que vit la société depuis des années", relevait récemment le sociologue, Nacer Djabi.
Il reste qu'au-delà de ces aspects, le chemin vers une véritable émancipation s'annonce encore long. "Le chemin est encore long, car pour le moment les seuls à porter cette lutte, ce sont les féministes", observe, avec un tantinet de dépit, Tin-Hinane Makaci.

Karim K.


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