Algérie

La Fédération de France, accélérateur du combat final



Claude Chayet, représentant de De Gaulle : «Maintenant nous sommes venus délégués par le président de la République, pour commencer les discussions sur l'intégrité du territoire. Le président de la République (de Gaulle, ndlr) est très inquiet des mouvements de foules du 17 octobre .» Benkhedda à partir de Tunis : «Dans l'intérêt des négociations sérieuses avec le gouvernement français, nous nous devons de ne pas relâcher cette pression populaire sur Paris .»Ceux qui ont déclenché la guerre de Libération de l'Algérie la voulaient une révolution authentique et populaire. Elle avait pour objectif l'émancipation citoyenne pour, selon la terminologie des colons, les indigènes qu'étaient les véritables fils de ce pays. Le combat politico-militaire de l'Algérie profonde et des quartiers musulmans des agglomérations a fait l'admiration des peuples, des politiciens, des hommes d'Etat, des intellectuels et des artistes.
Ce combat est déclenché par des hommes visionnaires qui rêvaient mais qui étaient porteurs de courage et de convictions. Ils se sont donné les moyens de leur combat : leur dévouement sans faille et leur sacrifice. Ils ont posé le premier jalon de l'Histoire de l'Algérie du XXe siècle. Ils conservent même, des décennies après leur disparition, l'admiration de leurs compatriotes.
C'est heureux que des jeunes se revendiquent en 2021 de leur esprit et de leur combat, comme on le constate dans les marches du Hirak. Malheureusement, à partir du 19 mars 1962, peut-être avant, cette Révolution est devenue, pour des gens qui étaient en arrière-plan avec leurs « marsiens » (les militants du FLN et les moudjahidine du 19 mars), une course de qui prendra le trône. On n'échappe pas à cette amère conclusion dès lors qu'on discute avec un acteur témoin qui a la parole libre.
À ce jour, le pays traîne péniblement ce boulet. Le 19 mars, il y a eu certes le cessez-le-feu avec l'ennemi puis les accords d'Evian validés par un double référendum et qui ont acté la séparation avec la France. C'est le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) qui a réalisé cette action voulue par le peuple, privé de sa terre depuis 132 ans. Mais il a eu la contre-offensive de ceux qui ont pris le pouvoir. C'est la grande désillusion.
Le GPRA et la Fédération du FLN en France (FFF) furent les premières victimes de ceux qui étaient au chaud alors que le maquis était à feu et à sang. L'histoire du pays n'oubliera pas les militants et les djounoud du 19 Mars.
Soucieux de ne pas faire couler le sang des Algériens par les Algériens, les légalistes du GPRA et de la FFF se sont retirés. Certains ont été, par la suite, réprimés pour les neutraliser. Le silence de certains anciens hauts responsables de la Fédération de France, encore vivants, reste à ce jour incompréhensible. Mais le nuage jeté sur la contribution de la FFF au combat se dissipe peu à peu, grâce à quelques personnages qui veulent que justice soit rendue à cette instance.
Justement nous allons replonger, avec un acteur témoin de cette épopée, dans le climat de l'avant et de l'après-19 Mars, surtout de l'avant, avec Mohamed Ghafir dit Moh Clichy, ancien haut responsable de la Fédération de France, pour prendre connaissance des évènements qui se sont subitement accélérés en France, grâce à la FFF, pour obliger De Gaulle à revenir à la table de négociations sérieuses.
Ghafir, qui a la passion de faire connaître aux Algériens et aux Algériennes l'histoire de la guerre qui s'est soldée par la libération de leur pays surtout ce qu'a accompli la communauté nationale à l'étranger particulièrement en Europe, est, en plus, une véritable mine d'or en détails. L'ancien chef de la Super zone de la Wilaya 1 (Paris-Sud) est convaincu que les évènements dramatiques du 17 Octobre en France ont été un formidable accélérateur de l'Histoire de l'Algérie pour aboutir au 19 Mars, puis à l'indépendance du pays.
Il cite Jean-Luc Einaudi qui a écrit 7 livres sur le combat de la FFF, et l'un d'eux porte le titre 17 Octobre la dernière bataille du FLN à Paris. Lui, l'acteur témoin de ce qui s'est passé le long des rives de la Seine, ne manque pas d'arguments sur ce qu'il avance. De plus, il n'est pas astreint au discours en décalage avec l'histoire de la guerre d'Algérie imposée par des appareils politiques.
Pressions sur de Gaulle
En préambule de notre discussion, notre interlocuteur révèle : « 10 jours après le déclenchement des manifestations du 17 Octobre, c'est-à-dire le 28 octobre après les évènements de Paris, de Gaulle avait demandé la reprise des contacts avec le GPRA.
Il y a eu auparavant 3 contacts, le dernier datait du 30 mars 1961. Il était question de la reprise des négociations le 7 avril 1961. Mais avant cette date, l'OAS avait assassiné le maire d'Evian. Le rendez-vous du 7 avril est donc annulé. Seulement, le 17 Octobre avait changé la donne. La France se retrouvait, en effet, au centre d'une gigantesque campagne de protestation à la suite des massacres du 17 Octobre. L'ONU est également intervenue. De plus, la guerre contre la colonisation se déroulait en France. Le 20 mai 1961, une autre reprise de contact de pourparlers. Le 28 juillet, la délégation du GPRA a quitté la table des négociations. Pour de Gaulle, il n'était pas question de négocier le Sahara qui, pour lui, fait partie de la France.
Ce que le GPRA rejetait avec force. » Ghafir revient à la date du 28 octobre, et la reprise des contacts entre le GPRA et le gouvernement français, pour mettre en exergue l'importance qu'avait prise, à l'époque, la FFF dans la cartographie du combat politico-militaire. Il nous confie à ce propos : « À la reprise des contacts qui ont abouti, cinq mois plus tard, au cessez-le feu et aux accords d'Evian, les deux délégués du GPRA, en l'occurrence Rédha Malek et Mohamed-Seddik Benyahia, ont interrogé les deux délégués et hommes de confiance de De Gaulle pour savoir si les négociation concerneront tout le territoire algérien. Sur ce, l'un des deux, Claude Chayet, avait répondu : « Maintenant, nous sommes venus délégués par le président de la République pour commencer les discussions sur l'intégrité du territoire.
Le président de la République est très inquiet des mouvements de foules du 17 Octobre.» Réponse immédiate de Benkhedda à partir de Tunis : « Dans l'intérêt des négociations sérieuses avec le gouvernement français, nous nous devons de ne pas relâcher cette pression populaire sur Paris. »
Cette double déclaration démontre que le travail politico-militaire réalisé par la FFF était hautement stratégique pour le GPRA qui conduisait la guerre et les négociations. D'aucuns pensent malheureusement que ce travail a été, par la suite, piétiné.
La grande usurpation
La discussion avec l'auteur de l'essai Droit d'évocation et de souvenance sur le 17 Octobre 1961 à Paris devient passionnante, notamment lorsque l'après-19 Mars a été abordé. Pas de résignation chez Ghafir, mais de la colère, certainement. Il dit tout haut ce que certains de ses compagnons murmurent. Pour lui, « le 19 Mars est une date cruciale, mais on tente par tous les moyens de l'effacer de la mémoire des Algériens.
C'est parce qu'il s'agit du GPRA, légitime et même légale, puisque le peuple a approuvé par 90% de oui au référendum sur l'indépendance ce qu'il a négocié avec le gouvernement de l'Etat occupant et qui s'est imposé devant l'Etat français comme l'interlocuteur incontournable.». Ce que ne dit pas Ghafir, c'est que les gens qui ont mené ce travail de sape, les observateurs disent d'eux que ce sont ceux qui n'ont joué aucun rôle dans la Révolution et qui n'avaient ni la compétence ni l'envergure d'hommes d'Etat pour avoir un rôle important.
Ils se sont appuyés sur les militants et les djounoud du 19 Mars pour renverser le rapport de force en leur faveur. Ecoutons Ghafir sur quelques évènements en France de l'après-indépendance : « Après l'indépendance, nous avons eu des problèmes. Alors que nous faisions face aux exactions de l'OAS, Ben Bella nous a envoyé des gens qui criaient sur tous les toits ''le comité de soutien au bureau politique de Ben Bella''. Ces gens voulaient, par la suite, créer un problème entre arabophones et berbérophones. Il y a eu des morts causés par les envoyés de Ben Bella qui voulait mater la Fédération de France, légaliste, qui est restée loyale au GPRA légitime. »
Au fait, Ghafir est pour la dissolution du FLN. Il le dit tout haut.
Pour lui, ce parti désormais terni par les scandales de la corruption avait terminé sa mission en 1962. « À son retour, Boudiaf a dissous le FIS et voulait protéger le FLN qui n'appartient à personne, mais qui fait partie de la mémoire de la Nation. »
Vers la fin de la discussion fort passionnante, afin de démontrer l'importance de la FFF, Moh Clichy revient sur plusieurs épisodes. Il nous a relaté l'intervention de Didouche Mourad au sujet du financement de la Révolution. Il rappelle ainsi que « lorsque les Six se sont réunis pour préparer le lancement de la guerre, ils ont examiné les moyens dont ils disposaient. À part quelques armes rudimentaires chez Krim et Didouche, ils n'avaient rien, surtout pas d'argent. Alors Didouche, le plus fougueux parce que c'était le plus jeune, leur dit : «Nous chargerons notre communauté à l'étranger. Nous connaissons l'esprit nationaliste chez cette immigration .»
Les bilans des deux GPRA font état de 80% du budget de la révolution qui a été collecté et versé par cette immigration. C'était pour lui le bon moment de revenir aux porteurs de valises qui ont pris des risques pour soutenir la bataille du FLN en France, et le soutien à l'indépendance de l'Algérie par certains intellectuels français grâce à la FFF. Lors du procès de certains porteurs de valises, Jean-Paul Sartre avait déclaré : « Nous ne sommes pas des porteurs de valises. Nous sommes des porteurs d'espoirs. Nous défendons l'honneur de notre pays. Si Johnson m'avait demandé de porter des valises et héberger des militants du FLN, je l'aurais fait sans hésiter. »
Rappelons, par ailleurs, le Manifeste des 121 dénonçant la guerre faite aux Algériens par l'armée française. Ce manifeste est signé par des intellectuels français de renommée mondiale. Les quelque 2 000 Français qui se sont engagés, en France, aux côtés du FLN, l'ont fait parce qu'ils avaient affaire à des gens sérieux, déterminés et qui les ont convaincus. Ces gens faisaient partie d'une instance politique sérieuse. Ghafir conclura avec fierté : « Nous avons accompli entièrement les trois objectifs que nous avait fixés le Congrès de la Soummam, à savoir : premier point, la structuration de toute notre immigration en Europe. Second point, soutenir l'effort de guerre financièrement.
Et troisième point, éclairer l'opinion française et étrangère sur notre lutte de libération. » Un jour, peut-être, l'Histoire rendra dans le calme et la sérénité à la Fédération du FLN en France son mérite.
Abachi L.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)