En précipitant la dissolution de l'Autorité de régulation des services publics de l'eau, le ministre ne s'attendait pas à ce que sa décision devienne problématique.Le ministre des Ressources en eau, Hocine Necib, fait face à une situation embarrassante... provoquée par ses soins. Une décision précipitée le met en porte-à-faux avec la loi. De quoi s'agit-t-il. Zoom sur une affaire qui risque de faire scandale. Début janvier de l'année en cours, le ministre des Ressources en eau convoque une réunion avec les directeurs centraux de son département. Selon des documents auxquels Liberté a eu accès, à l'ordre du jour était inscrite la dissolution de l'Autorité de régulation des services publics de l'eau. Une structure "dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière", et qui "veille au bon fonctionnement des services publics de l'eau dans l'intérêt des usagers et dans le respect de la législation et de la réglementation en vigueur", conformément aux attributions qui lui ont été données par le décret exécutif n°08-303 du 27 septembre 2008, signé alors par le chef de gouvernement, Ahmed Ouyahia.
Aussitôt après cette réunion, Hocine Necib procèdera à l'affectation du personnel de l'Autorité de régulation vers d'autres services relevant de son département. Le document y attestant, et dont Liberté détient une copie, est daté du 17 janvier. Le personnel affecté est appelé à assumer d'autres fonctions à partir du 1er février. Le président de l'Autorité, Brahim Nessala, nommé à ce poste par décret présidentiel, en mai 2014, pour un mandat renouvelable de cinq ans, reste cependant en poste.
C'est à partir de là que l'opération de dissolution de l'Autorité prend une tournure juridiquement embarrassante. En effet, avant de procéder à la dissolution de l'Autorité, Hocine Necib avait saisi le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui donnera son avis favorable par écrit. Le ministre prépare alors un projet de décret pour dissoudre l'Autorité. Mais à sa grande surprise, confient nos sources, le secrétaire général du gouvernement (SGG), lui retourne ledit projet de décret pour le motif suivant : l'Autorité de régulation des services publics de l'eau ne peut être dissoute par un décret exécutif, du moment que sa création est prévue par l'article 65 de la loi 05-12 du 4 septembre 2005 relative à l'eau qui stipule que "la régulation des services publics de l'eau peut être exercée par une autorité administrative autonome". En clair, parallélisme des formes oblige, la dissolution de l'Autorité passe forcément par l'amendement de la loi, laquelle pourrait intervenir par un vote parlementaire ou sur ordonnance du président de la République, durant l'intersession parlementaire.
Hocine Necib s'était donc précipité de dissoudre de manière "informelle" l'Autorité et affecter son personnel, alors que les formes et les conditions légales et juridiques n'étaient pas encore réunies.
Mais pourquoi le ministre des Ressources en eau souhaite coûte que coûte se débarrasser de cette instance de contrôle ' Contactée, la directrice de la communication du ministère des Ressources en eau, Nassira Medebbed, a expliqué que "dans l'état actuel des choses où l'eau est subventionnée et son prix administré par l'Etat, l'Autorité n'est pas encore appelée à jouer un rôle très important. Demain, s'il y a ouverture du secteur au privé, on pourrait toujours la recréer pour veiller à ce que les règles de la concurrence soient respectées. Mais pour l'instant, nous préférons économiser un budget et rendre 15 employés utiles dans d'autres services". Cette instance serait donc sans utilité, pour le moment. Pourtant, les attributions de cette Autorité, fixées par le décret exécutif n°08-303 du 27 septembre 2008, ne souffrent aucune ambiguïté. Elle a, en effet, pour mission de "veiller au respect, par les concessionnaires et les délégations des services publics de l'eau, des obligations qui leur incombent, examiner les réclamations des usagers des services publics de l'eau et formuler toutes recommandations utiles, observer et évaluer les indicateurs de la qualité du service fourni aux usagers par les organismes exploitant les services publics de l'eau, procéder à l'analyse des charges dans le cadre du contrôle des coûts et des tarifs des services publics de l'eau, contribuer à l'établissement des cahiers des charges-types relatifs aux opérations de délégation de gestion, formuler un avis sur les opérations de partenariat pour la gestion des activités des services publics de l'eau mises en ?uvre par les filiales d'exploitation...". Aussi, l'Autorité de régulation "contribue, par voie conventionnelle, à la mise en ?uvre du dispositif de gestion des services publics de l'eau et notamment aux opérations de délégation de gestion", et "soumet annuellement au ministre chargé des Ressources en eau un rapport portant sur ses activités et sur ses propositions visant l'amélioration de la gestion des services publics de l'eau". Les attributions de l'Autorité montrent clairement que celle-ci joue le rôle de "garde-fou". Quant à son budget, il ne dépasse pas les 20 millions de dinars.
L'enjeu du contrat Suez-Seaal
C'est en quelque sorte le même rôle que joue La Commission de régulation de l'électricité et du gaz (Creg), dans le secteur de l'énergie, un secteur qui, lui aussi, il convient de le préciser, n'est pas ouvert à la concurrence. Comme l'Autorité de régulation des services publics de l'eau, la Creg est dirigée par un comité de direction composé d'un président et de trois membres nommés par décret présidentiel, sur proposition du ministre chargé du secteur. Elle veille, entre autres, à "la réalisation et au contrôle du service public de l'électricité et de la distribution du gaz par canalisations". Il demeure vrai que le directoire de l'Autorité de régulation des services publics n'a pas été totalement pourvu. Hormis son président, les trois membres du directoire n'ont toujours pas été désignés. Ceci alors que si un usager est lésé dans ses droits, ce n'est pas auprès des exploitants ? des sociétés par actions (SPA), à l'exemple de la Seaal, qui est managée par le groupe français Suez, ? qu'il obtiendra réparation, mais plutôt auprès de l'Autorité de régulation. Aussi, il ne se comprend pas que le ministre veuille la dissoudre. À moins qu'il y ait des motifs inavoués. Les mauvaises langues estiment que c'est l'évaluation que fait régulièrement l'Autorité des indicateurs de qualité et des performances des exploitants des services publiques de l'eau, qui gênerait. De la même manière que peut l'être son avis sur les "projets de partenariat". D'ailleurs, le contrat de 12 ans de Suez pour la gestion de la Seaal (deux contrats de 5 ans chacun, plus un avenant de 2 ans), prend fin en août 2018, et les rapports de l'Autorité ne plaideraient pas pour un renouvellement de bail. "À la base, le premier contrat de cinq ans, pour un montant de 117 millions d'euros hors taxes rien que pour une vingtaine d'experts français, stipulait un transfert de technologie. Les experts de Suez devaient former des cadres algériens appelés à prendre la relève et assurer la gestion par la suite. Mais les Français ont arraché un second contrat de cinq ans de 117 millions d'euros également, et un avenant de deux ans de 42 millions d'euros", révèlent nos sources.
Une faveur faite à Sellal
Ce n'est pas sans raison qu'Abdelmalek Sellal, alors ministre des Ressources en eau, a veillé à ce que cet instrument de "contrepouvoir" soit placé directement sous sa tutelle. Une Autorité de régulation, qui est par définition autonome, devrait rendre compte directement au gouvernement et jouir d'un siège indépendant. Mais Abdelmalek Sellal a pu obtenir qu'elle occupe des bureaux au siège de son ministère, où elle demeure à ce jour d'ailleurs, et lui rendre compte directement. En août 2009, il installe Abdellali Tir, à la tête de l'Autorité de régulation. "À l'époque, Abdelmalek Sellal commençait à devenir trop influent, et a pu obtenir cette faveur du chef de gouvernement", confient nos sources. Entre-temps, Abdelmalek Sellal est promu Premier ministre, et Hocine Necib lui succède, en 2012, à la tête du ministère des Ressources en eau, avant d'être remplacé en 2015, par Abdelkader Ouali. À cette époque, confient nos sources, le gouvernement voulait revoir à la hausse le prix de l'eau, et lorsque le ministère des Ressources en eau avait entamé l'étude de faisabilité de la chose, et donc préparer un projet de loi, l'Autorité de régulation a donné un avis défavorable. Le motif est que, soulignent nos sources, "si 15% de la production nationale de l'eau part dans les fuites et 30% dans le piquage illicite, ce n'est pas aux citoyens honnêtes qui payent leurs factures d'en supporter le coût". Si le gouvernement rentabilise ce chiffre (45%) qui représente presque la moitié de la production nationale de l'eau, il ne sera plus nécessaire d'augmenter le prix de l'eau. Ce chiffre sera d'ailleurs confirmé par Hocine Necib lui-même, de retour à la tête du secteur de l'eau depuis mai 2017. Pas plus tard que le 27 février dernier, il en faisait état devant 24 walis réunis au siège de son département, en présence du ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Noureddine Bedoui, pour préparer la saison estivale 2018 et anticiper sur les perturbations et les coupures d'eau qui pourraient surgir. "Avant sa dissolution, problématique, l'Autorité de régulation avait adressé au ministre plusieurs rapports sur les indicateurs de qualité qui étaient au plus bas et sur les contrats de performance qui n'avaient pas atteints leurs objectifs...", confient des sources proches du ministre, qui ajoutent qu'à défaut de pouvoir obtenir, pour le moment, l'amendement de la loi sur l'eau pour dissoudre l'Autorité, "le ministre compte proposer un projet de décret pour geler les attributions de cette instance".
M. M.
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Posté Le : 06/03/2018
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Mehdi Mehenni
Source : www.liberte-algerie.com