Algérie

La fascination du Petit Prince


«Raconte-moi une histoire» Quand, il y a quelques mois, on entendait parler de festival du conte à Oran, on ne pouvait pas s’empêcher de penser à ceux des Mille et une nuits ou des contes de notre région par exemple. Tous, vraisemblablement, transmis d’abord par voix orale. Figurant, l’un et l’autre, tel ou tel aspect de notre culture et de notre imagerie profonde. Mais, ce genre littéraire a donné aussi des œuvres inspirées de notre temps. Le Petit Prince de Saint-Exupéry en est le plus représentatif. Il fait partie incontestablement de ceux qui ont interpellé les imaginaires de toutes les cultures, bien que ne s’inspirant d’aucune d’elles. Moderne, il referme tous les ingrédients du merveilleux et du féerique et suggère, sans forcer, plus d’une morale. Après plus d’un demi-siècle de son écriture, on n’a pas fini de le lire, comme pour chaque fois situer l’être dans ses dérives provoquées par le progrès. Par la transparence de son langage, la féerie des situations qu’il referme, «Le Petit Pince» de Saint-Exupéry nous introduit dans une errance dans l’étonnement. Chargé de la nostalgie de pureté, à peine en avons-nous terminé la lecture que nous sommes, comme aux premiers moments d’une nouvelle naissance, éveillés à ces vérités. La première: la signification de nos gestes et actes et l’importance des objets qui nous entourent sont toujours relatives; la deuxième: encrassés par l’âge, la vision brouillée voire pervertie par les artifices sociaux, nous en arrivons à oublier certaines évidences; la troisième: les choses ont la valeur que leur confère l’intensité ou la nature du rapport que nous entretenons avec elles. Evidemment, rappelées ici de la sorte, ces vérités font figure de banalités. Mais revisitées dans la halte de vivre, dans la rupture d’avec le temps social, elles revêtent l’éclat d’une prophétie, fruit d’un recueillement dans lequel le texte du Petit Prince nous aura petit à petit installé. Tout un monde de magie nous est distillé par une parole aussi hésitante, aussi fragile que pénétrante. Une parole qui, à bien voir, puise cette force de pénétration de la pureté de sa source (d’énonciation) et de son théâtre: Saint-Exupéry a choisi l’enfance et le désert, deux personnages qui portent en eux toute l’énergie et les significations qui vont engendrer l’esprit du texte et en multiplier les résonances. L’enfant pétri d’innocence et de fraîcheur, venu d’ailleurs de surcroît, peut encore voir et juger avec «l’œil du cœur»; le désert, nu et sans borne, sans repère, offre un champ dégagé à la vue mentale. Le petit prince (personnage) se manifeste au pilote (posé dans le désert à la suite d’une panne de moteur) comme une éclaircie, une épiphanie de l’incessante enfance enfouie en nous, au milieu d’une vaste nudité du monde qui la rend visible, perceptible. L’enfant venu s’enquérir de l’état de l’être et remettre les valeurs à l’endroit par des questions sur les conduites et croyances sociales de l’homme. Ce récit devient alors comme un exercice mystique de dévoilement: une force de pureté nous fait avancer, par petits coups, vers le centre, vers la source de soi; une force qui épluche, dénude jusqu’à atteindre le noyau. «Le petit prince» est aussi le voyageur de l’espace silencieux, le héros de l’odyssée sans conflits externes ni dieux: il est le seul juge dans le monde des valeurs. Il racontera qu’après avoir quitté son astéroïde, et avant de se poser sur la terre, il fut le visiteur de plusieurs autres petites planètes. Celles-ci sont les lieux de la simplicité des combinaisons. Métaphoriquement, ces planètes, où le petit prince ne rencontre à tous les coups qu’un seul individu, sont la sphère de l’enfermement, de l’aliénation, le lieu de la fermentation de la schizophrénie: des personnes vivant seules, chacune prise dans son obsession. Conditionnées par une image qu’elles se sont faite d’elles-mêmes, elles ne mesurent plus l’inutilité de leur geste, l’incongruité de leur attitude: «boire pour oublier la honte de boire», «compter parce qu’il faut compter», «gouverner sans sujet à gouverner»... Sur la planète Terre, le petit voyageur de l’autre monde est face à la même absurdité. Il tirera l’enseignement: «seuls les enfants savent ce qu’il cherchent», en voyant les hommes courir sans but; ou «si j’avais cinquante-trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine» en voyant le marchand de pilules à apaiser la soif dans le seul but d’économiser le temps. Cette réflexion va d’ailleurs, par la bouche du pilote qui l’aura intégrée, s’exprimer dans toute sa profondeur à la faveur de l’événement de la découverte du puits: «cette eau était bien autre chose qu’un aliment; elle était née de la marche sous les étoiles, du chant de la poulie, de l’effort de mes bras. Elle était bonne pour le cœur, comme un cadeau.» Mais avant les hommes, le Petit prince rencontre, sur la terre, des animaux et des plantes auprès desquels, paradoxalement, il engrangera une moisson de leçons. Dans le désert, le serpent et le renard apparaissent certes tristes et abandonnés mais lucides et sans illusions sur leur condition. En réalité, à travers ces deux exemples, il est fait référence aux être non sociaux, ou marginaux en général. Le serpent lui apprendra qu’on «est seul aussi chez les hommes» et le renard «qui n’était qu’un renard ressemblant à cent mille autres» et qui est devenu «unique au monde» parce qu’il «en fait son ami», l’aidera à prendre conscience que c’est le temps et l’effort qu’on a consacrés aux choses qui fait leur importance ou « qu’on devient responsable pour toujours de ce que l’on a apprivoisé». En somme, ce voyage du Petit prince, fait d’irruptions tranquilles de questions et de répliques aussi évidentes que lointaines déjà pour nous, nous restitue toute la fraîcheur perdue de l’être et le bonheur de l’essentiel. C’est l’enfant qui, souvent, se réveille en nous pour faire le point sur l’état de notre lucidité, notre pouvoir d’humanité. Mais par-delà des lectures, cette œuvre exercera toujours une fascination étrange, du fait qu’elle donne le sentiment de receler des sens multiples, certains insoupçonnés. Car en elle aussi «parfois on ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence».
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)