Algérie

«La famille protectrice s'est écroulée, il faut protéger l'individu»



- Selon vous, quels sont les problèmes qui se posent dans la prise en charge des victimes '
Toutes ces associations, une quinzaine au moins, regroupées au sein du collectif ayant organisé cette rencontre, ont de l’expérience dans la prise en charge des victimes de violences, et ce depuis 1990, à travers les structures qu’elles gèrent comme les centres d’écoute ou d’accueil. Le problème auquel toutes se heurtent est l’absence de moyens matériels. La majorité fonctionne avec des aides accordées par des organismes étrangers. Les fonds locaux leur font défaut. Sur le plan juridique, la prise en charge est aussi insignifiante. Les bribes arrachées par-ci par-là sont insuffisantes. C’est un constat de faiblesse face à une violence qui crée en même temps une forte demande sur le terrain puisque celle-ci devient de plus en plus énorme et multiple.   - Cette violence est-elle en train de connaître une hausse importante dans la société ou s’agit-il simplement du fait qu’elle soit plus visible qu’avant '
Elle existait, mais aujourd’hui elle est rendue visible. Elle n’est pas propre à l’Algérie, elle est partout dans le monde. Mais nous disons que l’Etat, qui dispose des moyens pour y faire face, a le devoir de prendre en charge ce fléau, de faire en sorte de changer la situation. Il y a des conditions juridiques et matérielles qui créent la violence, comme l’injustice dans les affectations de logement, le chômage, l’égalité dans la distribution de la richesse, etc., et qui ne peuvent être éliminées que par l’Etat. Il est important pour les associations d’exiger des institutions de la République une plus grande protection des femmes. Nous sommes surpris de voir que les autorités ne nous ont pas autorisés à tenir le colloque pour commémorer la Journée internationale, instituée justement pour lutter contre les violences à l’égard des femmes. Nous estimons qu’il s’agit là d’un refus de toute expression en dehors des institutions de l’Etat. Ce qui est très grave…
- Quelle lecture faites-vous de ce refus '
C’est une bourde. Quinze associations réunies autour de l’Association du planning familiale qui demandent une autorisation un mois à l’avance et qui invitent l’ensemble des institutions de l’Etat suffisamment à l’avance se voient déboutées à la veille de l’ouverture des travaux, alors que les invités étrangers et nationaux étaient déjà sur place ou en route. Pourtant, il s’agit d’une rencontre qui vient en apport à la stratégie nationale  du gouvernement  pour lutter  contre les violences à l’égard des femmes. Malheureusement, nous nous rendons compte que nous n’avons pas droit à l’expression. Ceci étant, il est de notre devoir de dénoncer toutes les formes de violence et nous continuerons à le faire quel qu’en soit le prix.
- Dans tous les types de violences faites aux femmes, pourquoi, selon vous, celles dites conjugales sont les plus importantes en Algérie '
Ce constat vient du fait de la structure familiale qui n’est plus ce qu’elle était avant. Il faut se rendre à l’évidence que cette famille a connu des bouleversements qui lui ont fait perdre son statut de protectrice.
La grande famille, el ayla, n’existe plus. Chacun de ses membres se bat pour trouver du travail ou un toit. La crise du logement, le chômage, le terrorisme ont eu des incidences directes sur elle, au point où elle ne peut plus assurer la protection et l’unité d’avant. Aujourd’hui, il est fondamental de revenir à l’individu, qui a besoin d’être protégé par l’Etat.
Il y a des phénomènes terribles auxquels fait face cet individu comme la prostitution, les femmes vivant dans la rue, l’inceste, la mendicité des enfants, la pédophilie et autres fléaux apparus avec l’écroulement de la famille.
A quelques exceptions près, celle-ci n’a plus les moyens de protéger ses enfants. Le second élément qui a fait que la violence conjugale soit plus importante est le volet juridique. Les lois ont fragilisé la femme. Nous avons une grande reconnaissance envers nos aînées – comme Mamia Chentouf, Nafissa Hamoud ou Aldjia Benallègue – qui avaient, sous l’ère coloniale, refusé les lois qui figeaient les rapports sociaux. Aujourd’hui, les textes algériens manquent de cohérence. Le droit à l’égalité avec les hommes nous est interdit par le code de la famille, qui instaure le principe de «wali».
La loi fondamentale reconnaît aux femmes le droit d’être élues même au poste de chef de l’Etat, mais ce même code la considère incapable de gérer un enfant. Il y a un long combat juridique à mener pour éliminer les sources de ces violences.
Un combat qui nous mène sur tous les terrains parce qu’une loi n’est élaborée qu’à partir des alliances politiques. Tout est lié. Vous partez du terrain juridique, vous arrivez nécessairement à celui de la politique, du social et de l’économique. Comme l’a si bien défini le philosophe de droit Habernas, «la lutte des femmes sur le terrain doit éclairer sur la situation de la société».
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