Présentation Sur le flanc sud de l’Ouarsenis, les habitants d’un minuscule village aux toits de torchis ocre et lumineux, entourent Ameur, le patriarche des Beni-Ghalia, qui vit ses derniers instants. Alors qu’une multitude de souvenirs défilent devant ses yeux sans larmes, de sa voix grave, il martèle la même phrase : « Prenez garde à votre flanc droit, les vents de l’Ouest ne pardonnent pas! Méfiez-vous des hommes qui accompagnent les vents, ils nous ont toujours apporté malheurs et regrets ».
«Ici, tout avait commencé, il y a déjà très longtemps, avec le vent», écrivit Djilani pour raconter à sa façon la vie tourmentée des siens. Ce vent devait venir de plus loin que les yeux et la mémoire de Ameur ne pouvaient se porter. Il charriait avec lui les souvenirs du passé glorieux des ancêtres. Le vent redessinait sans arrêt le territoire mythique perdu à jamais. Le paysage lui-même prenait d’autres contours, les collines déboisées reverdissaient subitement et grouillaient d’une faune exceptionnelle. Le vent avait façonné le mode de vie de ces anciens guerriers nomadisant sur d’immenses espaces. Il était leur compagnon éternel, s’insinuant partout où ils allaient et ne leur accordant nul répit.
Générations présentes et vie des ancêtres Youcef Tahari nous a donné là un joli roman historique qui couvre une période allant depuis l'ère précoloniale jusqu'à la parution du décret Crémieux. Il retrace la vie pastorale d'un minuscule village de l'Ouarsenis, Chemorah, depuis que l'ancêtre, une femme, Ghalia, avait décidé d'emmener sous sa conduite toute sa population à travers des défilés à pic dans la montagne vers des cieux et des pâturages inconnus, plus rudes mais plus sûrs que ceux où ils avaient habité jusque là.
Au coeur de tout cela il y a les valeurs profondes menacées, les fondements d'une longue tradition de paix et de fraternité, les souvenirs de pérégrinations d'une population pour qui " subsister c'est fuir le plus loin possible, se réfugier le plus haut possible là où la nature est ingrate et repoussante " loin des riches plaines où règne le goût de la possession, du luxe et l'instinct prédateur. Il brosse les difficultés et les conflits de la vie quotidienne, les escarmouches sur les questions de bornage de territoire avec la tribu voisine, le choix d'un nouveau chef à la mort de l'ancien, le Conseil des Sages, les descentes et les raids des janissaires turcs pour faire rentrer les impôts, la résistance de la population qui mène une vue précaire, sa subsistance frugale au jour le jour, la dissidence individuelle d'une femme qui choisit de vivre en marge avec les pénalités qu'elle encourt, la place du fou dans la communauté, celle du poète épique jardinier expert en greffe.
Il y a le personnage de Djilani dont on pressent qu'il est un peu le double de l'écrivain, l'écrivain public lettré versé dans le Coran qui tient la chronique du village...
Youcef Tahari dépeint les bouleversements entraînés par la conquête française, les alliances nouées par des éléments de tribu avec l'envahisseur, les combats avec ce dernier, les départs ou les défections isolées vers la plaine de la Mitidja en pleine transformation avec l'arrivée des européens, agriculteurs, entrepreneurs, gendarmes. Dans la dernière partie, l'auteur évoque l'aventure individuelle d'un personnage descendu de son douar dans la montagne vers la plaine de la Mitidja à la recherche de travail.
On voit le réseau de solidarités avec d'autres membres du village partis eux aussi, le mal de vivre nouveau, les métiers et les rapports inconnus jusque là, brutaux ou familiers voire chaleureux, avec le contremaître européen espagnol ou italien, le rôle de la paie et de l'argent, le surgissement de la passion hors des liens tribaux et coutumiers, l'apparition de la figure d'une femme en rupture de ban devenue chanteuse, la rencontre avec la Loi des français et la prison. Un monde est né avec ses individualités, ses sentiments nouveaux, l'instauration d'une loi étrangère aux mœurs, des codes inconnus jusque là dont il faut faire l'apprentissage, ses espaces et ses possibilités.
Youcef Tahari a tenté là avec beaucoup de succès l'exploration du passé des femmes et des hommes de l'Algérie d'aujourd'hui sous une forme qui, mieux que beaucoup de discours, renoue le fil coupé des générations présentes avec la vie de leurs ancêtres. La langue elle-même est agréable et efficace, elle sait déployer des ailes poétiques quand cela est nécessaire et suggérer les émotions sans jamais tomber dans l'idéologie en noir et blanc ni dans le pathos. Un livre élégant, évocateur du passé particulier de femmes et d' hommes d'aujourd'hui dans le vaste monde.
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Posté Le : 03/11/2007
Posté par : nassima-v
Source : dzlit.free.fr