Algérie

«La donne politique pèse de tout son poids dans le choix des hommes»



- Quelle lecture faites-vous des récentes déclarations du P-DG de Sonatrach 'Pour décrypter les récentes déclarations du P-DG de Sonatrach, les facteurs suivants doivent être présents à l'esprit : depuis quelques années, on assiste à une explosion de la demande interne en produits hydrocarbures. Cette situation crée un déficit pour satisfaire les besoins en exportations.
Elle va pousser Sonatrach à renforcer ses capacités pour augmenter sa production gazière afin de satisfaire la consommation locale et dégager des quantités supplémentaires orientées à l'exportation. Ce qui suppose principalement un renforcement des capacités de production et l'intensification de la prospection du sous-sol grâce à un investissement international.
En matière d'emploi, Sonatrach a clôturé l'année 2014 avec un effectif global de 59 304 agents, soit une baisse de 2,5% par rapport à l'exercice 2013 (60 843 agents) et le recrutement externe de 1458 agents contre le départ définitif de 3093 agents, selon son rapport annuel de 2014. Ces recrutements sont opérés pour remplacer les départs à la retraite ainsi que des départs volontaires vers d'autres pays où les conditions de travail et de rémunération sont nettement plus avantageuses.
La haute direction de Sonatrach a connu ces dernières années des changements fréquents. Les raisons de l'écartement des différents P-DG ne sont jamais connues officiellement, mais on arrive à deviner, tout de même, le sens de ces mises à l'écart. Le choix d'un haut responsable gestionnaire d'une entreprise nationale économique n'obéit pas uniquement aux critères de la compétence managériale exigée dans le domaine après obtention, même brillamment, d'un diplôme auprès d'une prestigieuse université ou grande école étrangère.
La donne politique pèse de tout son poids dans le choix des hommes. Et c'est bien ce dernier critère qui semble expliquer les changements fréquents au niveau de la haute hiérarchie managériale. Ces changements se traduisent par une forme d'instabilité dans le bon fonctionnement de l'entreprise. Un excès dans le rythme du changement peut être une source d'inquiétude pour les employés et aussi pour les partenaires.
En outre, ces changements fréquents entraînent dans leur sillage une modification dans la composition des équipes responsables directement liées à la haute direction. Des positions sont ainsi acquises, pour beaucoup, et ces changements sont de nature à remettre en cause ces situations. Dans tout changement, il y a des perdants et des gagnants !
Un autre fait majeur à souligner se rapporte à l'environnement international du groupe Sonatrach. Après une longue période d'aisance financière avec des prix du baril de pétrole qui dépassaient les 100 USD, on se retrouve maintenant dans une situation où le prix oscille pour le mieux autour de 60 USD.
Cette baisse des cours de pétrole représente un choc violent pour Sonatrach. Il fallait donc réagir et prendre des mesures adéquates pour absorber le choc. Sonatrach le fait avec un certain décalage et visiblement cela est dû à des changements fréquents opérés à la direction pour enfin trouver le profil adapté à conduire ce changement.
Enfin, un dernier point relié au précédent se rapporte à la conjoncture internationale où on remarque que les principaux pays industrialisés ont mis en place des politiques d'économie de l'énergie, surtout d'origine fossile. Par exemple, l'introduction progressive des voitures propres moins consommatrices d'énergie fossile et plus respectueuses de l'environnement. Ces voitures hybrides sont actuellement une réalité dans beaucoup de pays développés.
En plus, récemment, l'Algérie a pris des engagements quant à la mise en ?uvre des décisions de l'Accord de Paris sur les changements climatiques en 2015 et le Sommet international sur les changements climatiques de Bonn (COP23) qui s'est tenu en novembre 2017. L'Algérie s'engage à réduire de 7% ses émissions de gaz causant le réchauffement climatique à l'horizon 2030, un taux qui pourrait atteindre 22% si l'Algérie obtenait l'aide financière et technologique nécessaire.
- Justement, quelles conditions pour assurer les changements annoncés '
Cette stratégie n'a d'ailleurs pas été divulguée, ni explicitée, ne serait-ce que dans ses grandes lignes. Mais on peut supposer que ce plan vise à revoir la répartition des droits d'extraction, l'exploration, la production et aussi la protection de l' environnement pour faire face aux défis nationaux et internationaux posés.
Il reste la question délicate et controversée de l'amendement de la loi sur les hydrocarbures qui, selon les dirigeants de Sonatrach, doit être revue afin de permettre d'attirer de nouveaux investisseurs avec pour conséquence un accroissement de la production, et partant, un relèvement des recettes suite à l'augmentation du volume des exportations d'hydrocarbures. Il se murmure également qu'il faut rendre ce cadre légal plus favorable aux nouveaux investisseurs pour permettre une intervention au niveau de la prospection et de l'exploitation des hydrocarbures.
Car il ne faudrait pas oublier que les puits commencent à s'épuiser, certains même à se tarir, et ainsi la question du renouvellement des réserves se pose avec acuité. Cette situation ne peut être remédiée qu'à travers une participation des partenaires étrangers qui amèneront la technologie adéquate que Sonatrach ne possède pas.
A ce propos, le P-DG de Sonatrach, lors d'une émission sur les ondes de la radio au début du mois d'octobre 2017, a déclaré que la règle 49/51 ne pose pas de problème particulier à Sonatrach. Par contre, ce qui est envisagé, c'est de revoir les taxes, certainement à la baisse, pour attirer des partenaires étrangers. Financièrement, cela risque de contrarier la politique nationale d'une plus grande mobilisation des ressources.
- Quid de la gestion des ressources humaines '
Côté gestion des ressources humaines, l'introduction d'un programme de formation interne, le «e-learning» est envisagée. C'est une demi-solution qui a l'avantage de ne pas coûter cher à Sonatrach et surtout à assurer le maintien de la ressource humaine concernée sur place sans l'aventure du perfectionnement dans les écoles spécialisées, où le risque de déperdition est énorme.
On peut remarquer que cette action de perfectionnement de la ressource humaine et de son rajeunissement ne passe pas par les nombreux instituts spécialisés que Sonatrach a implantés à travers le territoire national, sans compter les formations spécialisées assurées par quelques universités algériennes. Cela aurait pu être l'occasion d'un renforcement du lien entre les universités et instituts algériens du pétrole et Sonatrach. C'est un partenariat de recherche ? développement qui fait défaut en Algérie.
- Quels sont les autres éléments qui montrent l'urgence d'une nouvelle politique '
Un autre facteur qui pèsera beaucoup sur le marché des hydrocarbures est l'exploitation du pétrole de schiste qui ne cesse de se développer et de s'étendre. L'Algérie semble tout à fait prédisposée pour se lancer dans cette voie compte tenu des potentialités et des exigences de suppléer à l'abaissement de la production de pétrole.
Terminons par souligner que l'Indice de gouvernance des ressources naturelles 2017 révèle que Sonatrach fait face à beaucoup de défaillances dans la gestion du secteur des hydrocarbures. L'Algérie est classée au 73e rang sur 100 après l'Arabie Saoudite, le Qatar, les Emirats arabes et d'autres pays pétroliers du Moyen-Orient.
Ce sont tous ces éléments, pris ensemble, qui vont peser sur la nécessité de revoir la politique énergétique de Sonatrach, son organisation, son fonctionnement et sa position stratégique dans la conduite d'une politique de développement économique et sociale du pays. Les exigences de l'environnement international vont accentuer la nécessité de revoir sa gestion qui doit être beaucoup plus efficace.
- Comment '
Cela passe inévitablement par une amélioration de la gouvernance de Sonatrach. Les agents de cette dernière souhaitent se baser sur les pratiques des entreprises publiques les plus performantes. Parmi ces pratiques, la mise en place de conseils d'administration indépendants, des nominations au mérite, selon des procédures bien définies et enfin la mise en valeur de l'expertise technique plutôt que de l'influence politique.
Ce sont tous ces facteurs conjugués qui permettent d'interpréter les déclarations récentes du P-DG de Sonatrach et particulièrement sur la nécessité d'opérer une réorganisation du groupe d'une façon «intelligente» afin d'être en phase avec les contraintes nationales et internationales.


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