Algérie - 05- La période Ottomane


La Domination Turque
L'éclat d'une ville comme Tlemcen ne saurait pallier l'état de faiblesse dans lequel des luttes perpétuelles avaient mis l'Algérie. Cet état devint manifeste quand les Espagnols, ayant chassé les musulmans de leur pays, entreprirent de les poursuivre sur la terre africaine.
Dans les premières années du XVIèmesiècle, les Espagnols occupent Mers et Kébir (1505), Oran (1509). Bougie (1510) et obligent les villes de la côte à envoyer en Espagne des émissaires qui se soumettent au tribut. C'est le cas de Ténès, de Mostaganem, de Cherchell, de Dellys. Alger, ville alors autonome, se laisse même imposer l'humiliation d'une garnison sur l'îlot (alors séparé de la terre ferme) sur lequel s'élève le Penon et où s'installe une garnison espagnole.

Si précaire que fût la vie de cette garnison, suspendue aux relations par mer avec la métropole; les Algérois étaient incapables de la chasser. La puissance turque, qui s'était élevée sur les ruines de la dynastie abasside, s'étendait alors sur la péninsule balkanique, l'Asie occidentale, l'Égypte. Cependant les Algérois ne s'adressèrent pas à elle pour obtenir des secours. Ils demandèrent ceux des frères Barberousse.

Ces quatre frères, dont deux seulement, Arroudj et Khayr ed Din, appartiennent à l'histoire, étaient des aventuriers. Fils d'un potier de Metelin (Mytilène), ils devaient leur richesse et leur renommée à la piraterie, qu'ils avaient exercée d'abord, avec des alternatives de succès et de revers, en Méditerranée orientale, puis, avec un plein succès, en Méditerranée occidentale.

L'aîné, Arroudj, fut appelé d'abord par un prince de la dynastie hafcide, pour reconquérir Bougie. Il échoua une pfemiére fois en 1512 et une seconde fois peu après. Mais l'époque était favorable aux aventuriers. Arroudj fit triompher un prétendant en Kabylie, et, avec les 5.000 hommes que lui fournit son obligé, et qui vinrent renforcer ses compagnons, il entra dans Cherchell, puis dans Alger.
Là se posait toujours la question du Penon. Arroudj, n'ayant pu la résoudre immédiatement, fut menacé par une grave révolte, qu'il mata énergiquement. Les Espagnols envoyèrent une nouvelle expédition qui échoua complètement. Mais l'événement avait montré les hésitations du sultan de Ténès, et du Beni Abd el Ouad de Tlemcen après avoir soumis dans sa marche Médéa et Miliana, Arroudj les battit l'un et l'autre, et s'installa à leur place. II fut assiégé sans succès par les Espagnols dans Tlemcen et mourut. Mais son domaine était singulièrement étendu.

Khayr ed Din Barberousse, son frère, qu'il avait laissé dans Alger, consolida définitivement sa puissance par un acte politique adroit et par la prise du Penon. Il se reconnut le vassal de la Porte, qui lui envoya 2.000 janissaires et permit à 4.000 volontaires turcs de le rejoindre. Quant au Penon, après l'avoir enlevé, il réunit l'îlot à la terre ferme par une digue, donnant ainsi à Alger un port étroit mais sûr. Il quitta Alger pour aller mourir à Constantinople (1546). Il avait désigné comme son successeur I-lassan Agha, avec le titre de beylerbey (émir des émirs).

Toute la puissance d'Alger à sa belle époque reposait sur la milice des janissaires, toute sa richesse sur les corsaires. Ces conditions suffisent à expliquer que le gouvernement n'ait jamais pu être fort. La guerre sainte, qui était son principe le plus ferme, ne fut qu'un prétexte à des exactions : à l'extérieur par la course; à l'intérieur par une administration purement fiscale. Le jour où la décadence de la course et de la milice des janissaires fit disparaître le prétexte même, l'Alger turque ne put plus se maintenir et son pouvoir ne fut plus considéré que comme de l'oppression.

Le moyen de gouvernement de Barberousse et des beylerbey ses successeurs était la milice (odjaq) des janissaires. C'était une troupe turbulente et bien recrutée à l'origine; tous les grades étaient acquis à l'ancienneté, y compris celui du chef suprême (Agha), qui ne restait en fonction que deux mois. La plupart des janissaires vivaient dans les casernes; ils ne se livraient à aucun exercice militaire, leur emploi du temps étant réglé par années (un an en garnison, un an en colonnes pour aider à la collecte de l'impôt, un an de repos). Ils étaient administrés par un divan, et leurs chefs réussirent à s'introduire dans le grand divan, conseil administratif du beylerbey, avec voix consultative d'abord, puis en prenant une part grandissante au gouvernement.

Barberousse lui-même avait eu à se défendre contre leurs empiètements. Ses successeurs, dont le pouvoir était accru par le fait même de leur éloignement de Constantinople et par l'autorité qu'ils avaient à titre de beylerbeys d'Afrique sur les pachas de Tunisie et de Tripoli, furent dans le même cas. L'un d'eux imagina °de former une garde indigène qui fût mieux dans sa main. Ce fait donna lieu au dernier acte effectif de souveraineté de Constantinople, qui, en 1587, remplaça le beylerbey par un pacha nommé pour trois ans, et n'ayant plus autorité sur ses collègues de Tunis et de Tripoli.

A cette époque, la course était florissante, et, encouragée par les pachas, qui y trouvaient un bénéfice personnel en même temps que celui du trésor et de la ville, elle prenait une extension toujours croissante. Dès le milieu du XVIème siècle, ce fait avait inquiété l'Espagne. Mais la grande expédition de Charles-Quint en 1541, contrariée par la mer, se termina en désastre, et une nouvelle tentative en 1567 n'eut pas un meilleur sort. Le renom d'invincibilité d'Alger commença à s'établir, encore favorisé par la politique française, conciliante et pacifique à l'égard des musulmans. Cette politique ne fut pas sans résultats locaux un consul installé par Henri III obtenait des « concessions » (droit d'établissement dans certains ports) et des privilèges (pêche du corail).

Mais les Algériens ne restèrent pas fidèles aux conventions. Les Provençaux, exposés à leurs coups, se défendaient, et leur politique particulière ne correspondait pas à la politique royale. L'instabilité des musulmans et les fluctuations des puissances européennes permirent à la course de devenir vers 1620 un véritable fléau. L'Europe n'arrivait pas à une action concertée : en 1622, les Anglais bombardaient Alger; mais, vers la même époque, un Français, Sanson Napollon, fut sur le point d'obtenir par des négociations l'établissement de relations acceptables entre son pays et Alger. Rien n'y fit, et, vers 1650, on comptait dans Alger environ 30.000 captifs chrétiens enlevés par les Corsaires. Un nouveau bombardement anglais en 1655 restait sans effet.

Alger s'enrichissait. Cette richesse même devait faire sa ruine. La corporation des patrons corsaires, sur qui reposait cette prospérité, était en rivalité avec les janissaires; rivalité armée qui dégénérait en émeutes fréquentes. En 1659, la milice l'emporta, et le pacha, réduit à un rôle purement honorifique, fut remplacé en fait, à la tête du gouvernement par l'Agha, chef des janissaires. Caricature de gouvernement : les pouvoirs de l'Agha ne duraient théoriquement que deux mois; dans la pratique, c'était encore pire : tous furent successivement assassinés. La faction des patrons corsaires l'emporta en 1671 et confia le gouvernement à un dey (oncle) nommé à vie : les quatre premiers furent des marins.

Mais le beau temps était passé. Ces révolutions affaiblissaient Alger. De plus, sans qu'une action concertée des puissances européennes se produisît, Français et Anglais bombardaient la ville, ceux-ci en 1672, ceux-là en 1683 sous Duquesne, puis en 1688, sous d'Estrées. Chacune de ces opérations en elle-même n'obtenait pas le résultat décisif; dans l'ensemble, et combinées avec des croisières fréquentes, elles arrivèrent à diminuer notablement l'importance de la course. Dès le XVIIIème siècle, le nombre des captifs dans Alger tombait à 2.000.

En même temps, le recrutement des Corsaires, comme celui des Janissaires, se faisait plus difficile. Les éléments nouveaux étaient médiocres. Dans cette décadence générale la milice conserva son importance avec sa turbulence; la moitié des Deys furent assassinés, les janissaires, comme les prétoriens de la fin de l'Empire romain, cherchant à percevoir le plus souvent possible le don de joyeux avènement.
A ce régime incroyable, Alger ne pouvait retrouver sa splendeur. Une tentative de débarquement espagnol échouait encore dans la seconde moitié du XVIIIème siècle; les petites puissances comme Naples, la Suède, le Danemark, la Hollande, se soumettaient bien à l'humiliation d'acheter la sécurité de leurs vaisseaux; mais les grandes assuraient par la force celle des leurs.

Au début du XIXème siècle, il ne restait plus dans Alger que 1.200 captifs, dont, en 1816, la plus grande partie dut être libérée à la suite d'une démarche énergique de lord Exmouth exigeant, au nom des puissances, l'abolition de l'esclavage.
Le gouvernement du Dey subsista, tel qu'il avait été organisé en principe en 1671, jusqu'en 1830. Les pouvoirs du Dey désigné par la milice sont absolus, et, en fait, il est indépendant de Constantinople, qui lui envoie tous les deux ou trois ans un caftan d'honneur. Il est assisté de son « divan » comprenant les cinq « puissances » ou ministres.

L'organisation des provinces de la régence paraît rationnelle en principe. Le territoire est réparti entre la province d'Alger, dépendant directement du Dey, et les trois beyliks de l'Ouest (Oran, après la reprise sui les Espagnols en 1792), du Tittery (Médéa), et de l'Est (Constantine). Chaque beylik est subdivisé en outan à la tête desquels se trouve un Caïd turc et qui comprennent des douars, dirigés par les Cheikhs et groupés en tribus. Désignés par le Dey, les beys sont à peu prés indépendants; pour se faire obéir, ils disposent, suivant l'antique usage en Afrique du Nord, de tribus privilégiées qui, en échange des services qu'elles rendent, sont exemptes des impôts non coraniques, auxquelles restent soumises les autres. Des colonnes de janissaires, en cas de besoin, participent à la perception des contributions.

Dans la pratique cette organisation ne donne pas grand chose. L'autorité du Dey est bafouée jusque dans la Mitidja. Il n'est même pas en sécurité dans Alger, et, au début du xixe siècle, il doit abandonner son palais situé dans la principale rue, pour se réfugier à la Casbah. En Kabylie, seule une politique adroite fondée sur une parfaite connaissance des rivalités locales permet aux Turcs de se maintenir. En dépit des procédés brutaux qui sont employés (les janissaires et les tribus Maghzen « mangent » les tribus récalcitrantes), l'argent rentre mal; comme la course ne donne plus, le trésor s'appauvrit et ne vit que grâce aux emprunts consentis par des négociants-banquiers comme les Bacri et les Busnach : de là des compromissions d'où naîtra, en somme, l'expédition française de 1830.

L'administration turque ne répara pas les dégâts causés en Algérie par l'invasion hilalienne et les luttes incessantes qui suivirent ; la prospérité, puis la décadence d'Alger ne touchèrent en rien Berbères et Arabes. Seulement, la commune oppression atténua les divergences entre les deux races et provoqua une fusion, en certains cas, assez intime. Mais, en dépit d'un gouvernement réputé unique (et en fait divisé), il ne se constitua pas une âme algérienne. Ce qui subsista, ce fut l'islamisme. Toute prospérité, toute civilisation vivante, a disparu. Il ne reste que des aspirations religieuses mal définies, incapables de produire une évolution vers le progrès, mais douées d'une considérable force de résistance. Les anciens cadres locaux ont disparu, au profit de la classe religieuse des Marabouts.



Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)