Algérie

La diaspora de l'intelligence : un apport considérable pour une vision du futur



La diaspora de l'intelligence : un apport considérable pour une vision du futur
CHEMS EDDINE CHITOUR PUBLIÉ LE 16-02-2022 dans le quotidien Le Soir d’Algérie



Par le professeur émérite

Chems Eddine Chitour École polytechnique, Alger

«Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose... Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer.»

(Antoine de Saint-Exupéry)

Résumé

Les Algériennes et les Algériens se sont émus pour un non-évènement, à savoir la «fuite» de 1 200 médecins qui sont allés monnayer leurs compétences acquises chèrement dans le pays auprès d’un pays qui siphonne, sans état d’âme, la fine fleur du pays. Il ne faut surtout pas croire que ce départ est une singularité. Chacun sait qu’il est naturel de prétendre, à juste titre, à une vie meilleure. Nous avons rapporté le départ de milliers d’ingénieurs de haute performance. Les articles de journaux ont été excessifs. Nous citons les phrases : «Au-delà des considérations purement salariales, cette expatriation dévoile un profond malaise de la profession. Une véritable saignée, s'étendant, d'année en année, à toutes les pépinières de compétences que compte le pays ‘’Ils fuient… !’’, un chiffre qui n'a ‘’jamais atteint cette ampleur’’. Que cache l’ampleur des départs de médecins algériens vers la France ?»

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces scoops manquent d’objectivité car le problème est, non seulement ancien en Algérie, mais surtout dans le monde : il eût fallu, par honnêteté intellectuelle et sans prétendre donner des leçons, aller jusqu’au fond des choses, parler des insuffisances du pays dans ce domaine, certes, mais dans le même temps ne pas essentialiser le cas des médecins, sans parler d’une autre hémorragie tout aussi importante, celle de l’élite scientifique et technologique qui se barre, aidée en cela par des appâts qui font qu’à titre d’exemple, c’est une véritable entreprise de body shopping chaque année à travers les plateformes qui consistent à ces pays de faire leur marché en toute facilité.

Si ces départs sont normaux comme dans tous les pays, nous devons revoir nos priorités dans ce XXIe siècle de tous les dangers où tout est lié au savoir, à sa place dans la hiérarchie sociale mais aussi à la nécessité d’inventer en mettant en place des défenses immunitaires qui nous protégeront mieux qu’une rente sur le déclin. Qu’on se le dise, cette élite est aussi patriote que chacun d’entre nous. C’est aux pouvoirs publics de savoir quoi demander à notre diaspora à partir d’une vision du futur. Nous n’avons pas besoin du retour de nos élites — sauf en vacances —, nous allons les solliciter à distance. Nous avons besoin de leurs neurones pour inventer une nouvelle révolution dans tous les domaines, notamment la médecine 3.0. Un Institut de la transition énergétique à Sidi Abdallah, mais aussi la mise en place d’un plan informatique ambitieux d’un million de laptops (ordinateurs)/an pour le système éducatif, autant d’utopie de chantiers qui peuvent mobiliser notre diaspora organisée en lobby partout.

Introduction

Mon attention a été attirée par une publication concernant l’exode des médecins. C’est un non-évènement, car essentialiser uniquement la fonction médicale sans parler des autres hémorragies n’est pas porteur de solution. Je n’ai pas remarqué de proposition solution mis à part une contribution d’un expert. Il faut analyser objectivement les causes. C’est un fait que, malgré des efforts remarquables en 2020, la priorité était de respecter les grands équilibres en assurant l’essentiel pour ne pas tomber dans les griffes des créanciers du FMI et autres. Les différents secteurs assurent globalement la paix sociale dans un contexte d’héritage d’une inertie qui stérilise toute initiative. Traverser ces deux années post-Hirak sans que l’État s’écroule du fait des défis de la démesure. Un pétrole à moins de 30 $, un reliquat des anciennes pratiques, auquel s’ajoutent la pandémie du Covid-19 et une société en impatience de tout et tout de suite. Cela ne fut pas facile. Des efforts ont été faits pour asseoir les institutions. Il fallait assurer l’essentiel. Beaucoup d’idées généreuses se fracassèrent sur le mur de la réalité, faite d’inertie et de priorités, des priorités qui amènent à toujours différer des chantiers importants.

Pour revenir à cette échelle sociale, le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’est pas proportionnelle au savoir. J’avais l’habitude de citer les ingénieurs informaticiens. J’avais évalué leur salaire à un vingtième en moyenne d’un joueur moyen qui gagne en une saison le salaire d’un chercheur en vingt ans ! De ce fait, des dynamiques souterraines se font jour et devraient être analysées. Beaucoup de parents ont compris et se bousculent pour tenter d’inscrire leurs enfants dans les clubs de foot. D’autres se saignent dans les écoles privées pour former des petits génies qui font les grandes écoles pour être récupérés par les pays développés sans aucune contrepartie. Dans tous les cas, le pays doit aider à la mise en place d’une diaspora de l’intelligence. L’avenir du pays ne pourra pas se faire sans nos élites.

Dans le même ordre, ces propos d’une internaute enseignante me paraissent pleins de bon sens. Je cite : «Le départ à l’étranger de 1 200 médecins est une piqûre de rappel, le spectacle de l’intelligence marginalisée, méprisée dans notre pays et qu’ils perçoivent confusément comme leur destinée future, cela alors que la médiocrité arrogante plastronne. L’intelligence est la seule richesse inépuisable, non pas les hydrocarbures. Et l’Algérie déborde de cette intelligence, qu’elle vive et active en Algérie ou à l’étranger, prête à servir, dans des formes adaptées, la patrie. La grande urgence, le grand impératif pour l’Algérie, vital, est de restaurer la dignité de son intelligence, lui donner le statut qu’elle mérite. Lui permettre, à l’instar de ses aînés de Novembre, de construire sa propre légende et faire de l’Algérie la puissance émergente qu’elle mérite d’être. Ne plus permettre à la médiocrité de tuer la sève nourricière de cette terre qui nous est sacrée. (Cri du Cœur d’une internaute enseignante Noralinda pris sur Facebook).

Le body shopping : une tendance planétaire

Selon les Nations Unies, environ 200 millions de personnes, soit 3% de la population mondiale, vivent en dehors de leur pays de naissance. L'attractivité de la société de consommation provoquée par la diffusion mondiale des médias occidentaux amplifie le phénomène des grandes migrations. L'histoire des mouvements migratoires est en fait l'histoire du monde. Plus aucun État ne l'ignore et ne peut accepter une déperdition systématique des compétences accumulées en ses frontières, sans remettre en cause ses capacités de développement endogène et sa place dans la société mondiale en constitution. Lorsqu'un informaticien travaille pour une entreprise américaine tout en étant chez lui, on parle de body shopping (achat corporel). C’est une mobilisation sans déplacement physique. Dans ce monde, les biens, les marchandises et les capitaux circulent de plus en plus facilement, tandis que la libre circulation est de plus en plus difficile pour les gens du Sud, notamment les plus pauvres et les moins qualifiés (harragas), la mondialisation accroît la fracture entre le Nord et le(s) Sud(s). Les plus qualifiés répondent aux appels explicites ou implicites des pays développés, où la connaissance est, aujourd'hui, considérée comme la source fondamentale de la création de richesses et le facteur primordial de la compétitivité internationale.(1)

L’exemple le plus connu est celui des informaticiens indiens. «L’étude du développement de l’industrie informatique indienne démontre le rôle majeur de la mobilité des hommes dans ce processus. Initiée entre l’Inde et les États-Unis, la circulation des informaticiens indiens s’est progressivement mondialisée en reproduisant et transformant le modèle du body shopping. Dans un second temps, les entreprises d’informatique et de nombreuses multinationales se sont implantées sur le territoire indien pour tirer profit de ces talents à la source. Dans les années 1990, l’industrie informatique mondiale a souffert d’un manque de main-d’œuvre dans les pays de l’OCDE (les États-Unis). La réserve de main-d’œuvre est trouvée principalement en Inde, la seule à pouvoir fournir des contingents de jeunes diplômés en informatique qui parlent anglais. (…). Ce modèle économique a permis le décollage de l’industrie informatique indienne dont les exportations sont passées de 12 millions de dollars en 1982 à 4 milliards en 1990. En 1988, 65% des exportations indiennes de logiciels étaient réalisées par l’exportation de leur main-d’œuvre sur le site des sociétés américaines (…).(2)

Les migrations des cerveaux même entre les pays développés

Dans cette chasse au neurone, chaque pays, même développé, voit ses élites partir vers des cieux plus cléments. Ce n’est donc pas une singularité qui consiste à diaboliser le gouvernement au nom d’un problème vieux comme le monde et qui touche tous les pays, à des degrés divers : «De plus en plus de Français au CV bien rempli quittent le territoire. Les gros bataillons sont, en fait, de jeunes diplômés qui ont quitté la France pour trouver un emploi et n’envisagent pas forcément d’y revenir. 85% s’installent dans des pays de l’OCDE. Leurs principales destinations sont le Royaume-Uni, le Canada, l’Allemagne, la Suisse, mais aussi les États-Unis. Chaque pays y va de sa solution pour attirer sa diaspora. C’est souvent le patriotisme comme dans le cas de la Chine ou de l’Iran, l’idéologie sioniste, comme c’est le cas des scientifiques israéliens qui ont deux nationalités et à cheval sur les deux pays. C’est aussi l’offre de conditions de travail assorties d’un passeport, comme c’est le cas des pays du Golfe.»(3)

Le bond en avant chinois grâce aux physiciens expatriés

En novembre 1957, le roi de Suède remettait le prix Nobel de physique à deux savants américains de Princeton. Peu après la cérémonie, les deux savants se rendirent à l’aéroport où les attendait leur avion et disparurent. Quelques heures plus tard, Robert Oppenheimer, alors directeur de l’institut de Princeton, recevait une lettre : les deux prix Nobel américains étaient chinois, assuraient Robert Oppenheimer de leur amitié et de leur reconnaissance et lui annonçaient que, leur pays ayant un besoin urgent d’hommes de science, ils estimaient de leur devoir de retourner dans leur patrie. «On prête au grand Mao l’anecdote suivante au plus fort de la guerre froide, il invite deux physiciens chinois qui ont réussi brillamment aux États-Unis. A la fin du repas, Mao se lève et porte un toast en leur honneur en leur disant : ‘‘Soyez de bons Américains, mais n’oubliez pas que vous êtes aussi chinois !’’»(4)

Naturalisation : les expatriés choyés par les pays du Golfe

Même les pays du Golfe s’y mettent. Dans le but de diversifier leurs revenus avant la fin de l’ère du pétrole et d’attirer vers eux des compétences, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis octroient désormais leur nationalité à des expatriés triés sur le volet.

En janvier 2021 cependant, le Premier ministre des EAU et émir de Dubaï, le cheikh Mohamed Ben Rachid Al-Maktoum, a annoncé sur Twitter que le pays allait modifier la loi pour permettre aux «investisseurs, aux talents spécialisés et aux professionnels, notamment les scientifiques, les médecins, les ingénieurs, les artistes, les auteurs et leurs familles» d’obtenir la citoyenneté émiratie. Il a déclaré que le nouvel amendement visait à «attirer les talents qui contribuent au développement [des EAU]». L’Arabie saoudite a par exemple annoncé en novembre 2021 qu’elle allait accorder la citoyenneté à des expatriés «exceptionnels», le critère d’homogénéité est respecté dans la mesure où les bénéficiaires sont arabes et musulmans. Deux différences qui distinguent sa trajectoire sociale de celle des EAU.(5)

Du «brain drain» au «brain gain»

On sait qu’un million de personnes hautement qualifiées quittent l’Inde chaque année, contre 20 000 en Afrique. Il y a aujourd’hui plus de scientifiques et d’ingénieurs africains aux États-Unis qu’en Afrique. Cet exil touche les chercheurs et les techniciens mais aussi les enseignants, les infirmières et les médecins (...). Des pays émergents comme l’Inde ou la Chine prennent des mesures incitatives (double nationalité, réduction d’impôts sur les investissements...) pour faire revenir les cerveaux et transformer le brain drain en brain gain (gain de compétences). Les expatriés ramènent dans leurs valises des savoirs acquis à l’étranger. Pour les pays qui ne peuvent pas miser sur un retour de leurs émigrés, des programmes de coopération comme celui du Pnud, Tokten, permettent d’organiser des séjours de courte durée de trois semaines à trois mois pour un apport de compétences lors de séminaires ou de travaux en coopération.

La révolution de l’intelligence artificielle dans la formation médicale du futur

Un problème important est celui de la formation d’une élite médicale capable de servir un levier de la coopération. Le développement des nouveaux savoirs et les défis actuels amènent l’Intelligence artificielle à jouer un rôle de plus en plus important dans les vertigineuses mutations qu’elle va déclencher et en particulier dans la façon d’enseigner la médecine. La rapidité d’apprentissage de l’IA est multipliée par 100 chaque année. Il faut trente ans pour former un ingénieur ou un radiologue, quelques heures pour éduquer une IA !

Au cours des 10 dernières années, cet enseignement a été bouleversé par l’arrivée de nouvelles technologies. Les connaissances médicales sont désormais en accès libre et gratuit (Google, Pubmed, etc.), encore faut-il que les facultés de médecine sachent s’emparer d’outils innovants. C’est ainsi que sont apparus en un court laps de temps les centres de simulation, les enseignements facultaires en ligne, les cas cliniques interactifs, le développement de l’adaptative learning et celui de nouveaux médias. Désormais, les étudiants passent leurs examens sur tablette numérique, s’évaluent, s’entraînent à des gestes sur des mannequins de simulation. Ce changement de paradigme était indispensable.(6)

Pour Louis Malachane : «nous sommes à l’ère de la médecine 3.0. La médecine 1.0 est l’héritière de la médecine hippocratique. La médecine 2.0 est celle de l’échange et de la participation. Elle est la médecine du web et de l'avènement du patient savant. Grâce à elle, les patients sont devenus les acteurs de leur maladie. Les innovations les plus actuelles façonnent la médecine 3.0. Elle est caractérisée par la donnée et les échanges à haut débit. L’immense quantité de données est acquise par la multiplication des objets connectés (IoT Internet of Things). De nombreux services (comme la téléconsultation) et outils font progressivement leur apparition et permettent aux patients et aux praticiens de répondre précisément aux nouvelles demandes de santé : accompagner le développement de la médecine prédictive et de la médecine personnalisée.»(7)

«L’IA excelle dans les tâches de perception : elle est en train de changer la radiologie diagnostique, l’ophtalmologie et l’anatomopathologie. L'Intelligence artificielle fait déjà ses preuves dans la médecine de diagnostic, à commencer par l'imagerie médicale et la dermatologie. Les algorithmes de séquençage du génome ouvrent la voie à une médecine prédictive et personnalisée. Mille milliards de données : voilà la quantité phénoménale d'informations que pourrait contenir votre dossier médical vers 2030 si on en croit les prédictions du chirurgien et essayiste Laurent Alexandre. La technologie commence même déjà à s'affranchir de l'homme. La filiale Verily de Google sait déjà réaliser un bilan cardiovasculaire fiable à partir de la photographie d'un fond d'œil. À l'avenir, les algorithmes vont s'avérer bien utiles pour lutter contre les épidémies.»(8)



Ce qui attend l’Algérie : la notion de patriotisme au XXIe siècle

Peut-on dire que le patriotisme est passé de mode ? Non ? Personne n’a le monopole de l’amour du pays. Si l’on veut aider à l’émergence d’une nouvelle République, il faut répondre à tous ces défis. Il faut tracer une perspective pour le pays. Tant que l’État ne protège pas ses élites, tant que des îlots de compétence ne sont pas érigés, cela ne marchera pas. Que faisons-nous pour remédier à cela? Nous avons un système éducatif poussif qui continue à faire dans le quantitatif malgré les efforts à souligner.

À titre d’exemple, se pose la question : le moment n’est-il pas venu d’améliorer la formation en médecine en érigeant une école de médecine 3.0 le plus rapidement, adossée à un CHU de top niveau ? Ceci nous permettra de gagner en savoir, voire même profiter des savoirs récents de nos médecins expatriés. Le Pôle scientifique de Sidi Abdallah pourrait aussi abriter cette école de médecine 3.0. Même le Président avait parlé d’un CHU aux normes internationales. C’est aussi un chantier qui apportera un plus au pays et permettra à notre élite médicale d’intervenir à distance.

Dans ce cadre des projets d’envergure dans la durée, nous pouvons citer la mise en place d’un plan national informatique pour le système éducatif. Chaque membre de notre élite expatriée se sentira concerné par cette cause nationale. Si on évalue notre élite expatriée à 100 000 membres et si chaque membre offre 100$/an, il est possible d’acheter 100 000 ordinateurs (les prototypes existent même en open source du MIT). Dans le même ordre, l’autre grand challenge du pays est la mise en place de l’Institut de la transition énergétique à Sidi Abdallah. Notre élite bien installée pourrait intervenir valablement pour justement la formation de l’élite visant à réussir cette transition énergétique inéluctable vers le développement humain durable.



Inventer un nouveau dialogue avec nos élites expatriées

Plus que jamais, l’Algérie devra compter sur ses diasporas pour survivre et pouvoir, ce faisant, rayonner. Dans ce cadre, il nous paraît évident que l’action en direction de la plus forte diaspora en France n’est qu’un maillon d’une stratégie d’ensemble. À bien des égards, sans perdre de vue l’extraordinaire diversité des situations individuelles, le lien culturel et politique avec notre diaspora en France reste largement à construire : il ne sert à rien de saupoudrer au gré des conjonctures des actions sans lendemain.

Après 132 ans d’une colonisation atroce, sans état d’âme, l’Algérie s’est retrouvée en 1962 avec moins d’un millier de diplômés. Tout était à faire. Nous avons dû faire appel à l’Unesco et au Pnud. Soixante ans plus tard, plus de quatre millions de diplômés dont plusieurs dizaines de milliers sont à l’extérieur, dont la majorité en France. Il est hors de doute qu’il y a un contentieux de culture et près de deux millions de citoyens tenant aux deux rives. Il nous faut présenter un projet globalement cohérent qui s’inscrit dans la durée.

Ainsi et pour ne parler que des scientifiques expatriés, des diasporas de l’intelligence se constituent d’une façon aléatoire autour d’un certain nombre de référents identitaires et aussi religieux. Cette «diaspora de la connaissance» n’est pas moins beaucoup plus influente ; socialement intégrée dans le pays d’accueil, elle est capable d’actions positives envers la mère patrie. La question de l’apport des scientifiques «algériens» expatriés demande à être approchée, non pas sentimentalement, mais avec un certain réalisme politique et une intelligence de la situation qui évacue les comportements affectifs. À l’heure de l’internet, le besoin de la présence physique de nos élites en Algérie n’est pas une condition indispensable. De ce fait, et pour les conforter dans leur lieu d’intégration, le moment est venu pour l’Algérie de compter sur eux pour réaliser de grands chantiers. Ceci peut même être complété par la dimension culturelle. L’enseignement de la culture, de la civilisation algérienne, l’enseignement de l’histoire et du fait religieux contribueront, indépendamment de leur intégration harmonieuse sous les lois de la République du pays d’accueil, à ancrer dans leur espace civilisationnel ces Algériens de cœur et d’esprit.

Ce que l’on pourrait faire d’une façon graduelle

L’Algérie aura la communauté émigrée qu’elle mérite. Elle est à la croisée des chemins concernant sa communauté émigrée. Nous devons inventer une nouvelle façon de faire perdurer la présence de l’Algérie dans le cœur de nos nationaux expatriés, ensuite dans celui des Français de souche algérienne, la communauté algérienne émigrée en France est la plus importante des communautés émigrées. La volonté d’appel au pays des premières générations va graduellement s’émousser, les nouvelles générations n’ayant pas, à leur corps défendant, la même perception de la patrie de leurs pères. Cependant, si nos actions ne sont pas affirmées avec force et ne s’inscrivent pas dans la permanence, par la force des choses, tout ce qui n’est pas «irrigué» dégénère.

Si elle ne fait rien de pérenne et de solide, elle perdra l’immense réservoir de compétences, de savoirs, de savoir-faire et surtout d’influence quant à sa politique étrangère. L’émigration à la «Tati» a vécu, nous devons faire émerger une diaspora de l’intelligence pour faire vibrer la corde patriotique envers la mère patrie. À l’instar de la diaspora juive, libanaise, il ne faut pas perdre son énergie dans des combats d’arrière-garde.

À nous d’accompagner l’apport bien compris de nos nationaux «expatriés», en les faisant travailler avec les scientifiques restés à demeure. Notre diaspora scientifique existe, elle est dispersée, à nous de l’aider à se constituer en lobby. Pour nous, la vision globale et pérenne de la présence culturelle algérienne dans le monde de deux autres pays voisins devrait faire l’objet d’une attention soutenue. C’est le cas notamment des communautés établies en Amérique du Nord (États-Unis et Canada) pour lesquelles un vrai travail de fond devrait permettre de capitaliser et faire fructifier le capital fidélité à la mère patrie par des actions culturelles pérennes et scientifiques qui s’inscrivent dans la durée et non dans des actions sporadiques style émissions soporifiques «Diar el ghorba», sans lendemain, qui sont devenues, par la force des choses, de véritables repoussoirs.

On peut dénombrer en France une diaspora potentielle de quelque 5 millions de Français d’origine algérienne qui ont en commun l’amour d’identité et la quête de racines. Le but est de construire avant tout, à demeure, un lien solide permanent qui puisse, le temps aidant, se transformer graduellement en un lobby, une diaspora de l’intelligence capable de défendre l’identité algérienne d’une façon apaisée et convaincante. En effet, si on sait y faire, nous pouvons solliciter notre diaspora dans le cadre d’actions bien ciblées qui rentrent de plain-pied dans le développement du pays. De plus, beaucoup de Français nés algériens, en pleine errance identitaire, seraient séduits par cette vision apaisée qu’apporterait l’Algérie qui jouera le rôle d’une force de rappel que l’on peut solliciter. Il s’agit de leur identité originelle et de leur besoin d’âme.(9)

Devoir d’inventaire avec les pays réceptacles

Il peut être important que tout soit mis sur la table. L’image véhiculée par les médias racistes et des plus royalistes que le roi n’est pas seulement celle des harragas, c’est aussi celle des compétences qui participent au développement de la France. On entend souvent regretter que tant de talents s'expatrient définitivement, après avoir coûté beaucoup d'argent à l'État et aux familles. En France, les coûts de formation d'un élève ingénieur pour un établissement s'élèvent entre 10 000 et 12 000 € par an. Soit au moins 60 000 euros/5ans et ceci sans compter le parcours jusqu'au bac. On mesure la manne procurée par un diplômé algérien rapidement opérationnel en France.

L’avenir du pays n’est pas dans le fait de vivre dans une vision passéiste et rentière mais dans celle de produire des ruptures scientifiques en regardant le monde droit dans les yeux. L’avenir est dans le Pôle technologique de Sidi Abdallah s’il venait à continuer à se développer rapidement en y mettant les moyens. Au cours actuel du pétrole, une journée de rente permettra de développer le Pôle scientifique de Sidi Abdallah. Pour moi, le départ de ces 1 200 médecins en leur souhaitant de réussir dignement en France est une bonne nouvelle. C’est pour nous la vraie carte de négociation avec les pays réceptacles qui, certes, prend le droit de nous renvoyer en termes indignes nos concitoyens indésirables, mais il faut que dans le même mouvement on puisse évaluer l’œuvre positive de l’Algérie pour la France. D’abord après l’avoir compagnonnée, à son corps défendant, comme tirailleurs chair à canon sur tous les théâtres de guerre et après comme tirailleurs béton pour participer à sa reconstruction.

Ensuite en laissant des dizaines de milliers de diplômés formés à prix d’or (l’Unesco parle de 100 000 dollars pour la formation d’un diplômé de l’enseignement supérieur et dont ce pays dispose sans contribuer avec un seul kopeck. Cela devrait être, du point de vue moral, l’un des dossiers de la coopération et du devoir d’inventaire

Nous vibrons à la fréquence qu’on nous impose une mondialisation laminoir qui nous enjoint de vivre le moment présent (dépenser et non penser) comme l’addiction au soporifique des émissions de l’éphémère. Quand les jeunes tentent l’aventure, c’est un déchirement pour eux et leurs familles. L’expatriation est une aventure personnelle, familiale. Tout y est nouveau : le pays, la culture, les nouveaux amis, le contexte peut être parfois difficile, contraint à s’adapter dans un nouvel environnement social et professionnel. L’expatriation renforce le patriotisme, fait prendre conscience que nous n’avons pas de patrie de rechange. Quand bien même nous avons une nouvelle nationalité qui nous permet de circuler sans visa, nous demeurons étrangers, viscéralement réfractaires à une dissolution identitaire.

Nous avons besoin de cap mobilisateur, une utopie mobilisatrice. La citation de Saint- Exupéry (écrivain de l’ouvrage Le Petit Prince) : «Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose. Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer» est appropripriée. Ce sont les grandes ruptures qui donneront une visibilité au pays. De ce fait, valoriser nos élites expatriées dans le cadre d’une cohérence globale du développement du pays est nécessaire. Mon expérience en tant que professeur lors de conférences en France et au Canada du contact avec nos élites se résume à ceci : «Que peut-on faire pour le pays ? Etant entendu que ces élites ont investi pour faire leur trou dans les pays développés, elles peuvent et doivent aider le pays à distance. C’est à nous, au pays, de nous organiser, de faire appel à eux dans le cadre de missions de courte durée et avec les miracles de l’internet faire des cours, des conférences et même des opérations chirurgicales grâce à la médecine 3.0.

C. E. C.



1. C. E. Chitour «L'Immigration, la forteresse Europe et la montée des populismes». Le Quotidien d'Oran. 23 juillet 2002.

2. https://books.openedition.org/editionsehess/21982 ?lang=fr

3.https:/ /www.nouvelobs. com/culture/ 20060630. OBS3649/le-bond-en-avant-des-savants-chinois.html 30 juin 2006

4. Chems Eddine Chitour La nouvelle immigration entre errance et bodyshopping, Édit Enag 2004

5. Mira Al-Hussein https://orientxxi.info/magazine/ces-expatries-choyes-par-les-pays-du-golfe,526330 décembre 2021

6.https://www.esanum.fr/blogs/innovations/feeds/today/posts/la-pedagogie-medicale-30

7. Leah.carehttps:// www. leah.care /blog/la-medecine-contemporaine/

8. ThomasLestavelhttps:// www.lefigaro.fr/secteur /high-tech/2018/10/09 /32001-20181009ARTFIG00079-l-intelligence-artificielle-peu-a-peu-incontournable-dans-la-sante.php

9. https:/ /www.lexpressiondz .com/chroniques/l-analyse-du-professeur-chitour/recentrage-sur-la-diaspora-algerienne-26981


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