Algérie

La détention provisoire doit être décidée "collégialement" et non par un seul magistrat



Le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH), Me Farouk Ksentini, a qualifié la détention provisoire de "signe implicite" de culpabilité, recommandant que cette mesure soit prise "collégialement" et non par un seul magistrat.
Cette recommandation aurait le mérite de "mieux protéger la présomption d'innocence et celui qui en bénéficie", a plaidé Me Ksentini dans une opinion intitulée "La détention provisoire ou la culpabilité par le signe", rendue publique mercredi.
Dans cette opinion, qui se veut une réflexion sur la situation de la détention provisoire en Algérie et son impact sur la jouissance des personnes privées de liberté de leurs droits fondamentaux, Me Ksentini relève qu'en matière délictuelle, "très souvent la détention provisoire procède d'un abus de pouvoir et ne sert strictement à rien".
Partant de ce constat, il appelle notamment à "la création d'une chambre des libertés adossée aux juges d'instruction d'un même tribunal".
"Les propos développés à l'occasion des observations qui vont suivre ne visent pas à être désagréables à ceux qui ne partagent pas le point de vue selon lequel le pouvoir de priver même momentanément une personne de sa liberté physique est trop exorbitant pour être confié à un magistrat unique qui décide seul dans le secret de sa conscience et de son cabinet, mais à rendre mieux perceptible une réalité judiciaire dont souffre aussi bien ceux qui la subissent et leurs familles, que le procès pénal lui-même appelé à être fixé subséquemment afin qu'il soit tranché sur le fond et sur le tout", explique-t-il.
Pour Me Ksentini, ceci étant précisé, il est nécessaire de souligner que la détention provisoire est une "question majeure et trop importante pour être ramenée à la dimension d'une polémique plus ou moins entretenue par les parties qu'elle oppose".
"La détention provisoire ne se résume pas à une simple querelle de statistiques que l'on peut substantiellement alléger selon un mode de calcul fondé sur une définition inexacte de ce qu'elle est au point de vue de la loi, mais une véritable question juridique et morale à la fois complexe et manichéenne dont il est rendu difficile de débattre en toute sérénité", argumente-t-il.
"Si elle représente un mal nécessaire comme se plait à le soutenir un grand magistrat de mes amis, il se rattache néanmoins à la détention provisoire un effet pervers, toxique et indésirable qui transforme la présomption d'innocence proclamée par la Constitution elle-même en une présomption de culpabilité contre laquelle l'inculpé est totalement désarmé (et) auquel il est ainsi imposé, de facto, d'apporter lui même la preuve de son innocence, la détention provisoire étant par ailleurs au plan de la procédure perçue comme un signe implicite et muet de culpabilité", s'insurge Me Ksentini.
Dans son argumentaire, Me Ksentini explique encore que la détention provisoire, vécue par l'inculpé comme une "agression physique" et une "punition préalable et imméritée", a pour effet de le "fragiliser" et de le mettre dans un "état d'infériorité" à tel point que le juge chargé de se prononcer sur l'affaire, "prend systématiquement de l'ascendant sur lui, ce qui l'empêche de se défendre comme il l'aurait souhaité de peur de déplaire à celui qui l'interroge et de délivrer de lui-même l'image d'un personnage retors et de mauvaise foi".
"Enfin et surtout, fait valoir le président de la CNCPPDH, en matière délictuelle, très souvent la détention provisoire procède d'un abus de pouvoir et ne sert strictement à rien, car compulsé après renvoi devant le tribunal correctionnel, le dossier de l'instruction ne s'avère être que la reproduction à peine étayée du dossier de l'enquête préliminaire de police ou de gendarmerie établi dans les délais très restreints de la garde à vue".
Dans ces conditions et "s'il l'on ne peut sérieusement songer en matière délictuelle à supprimer la détention provisoire, mal nécessaire s'il en fut, il serait temps cependant, recommande Me Ksentini, d'en modifier la procédure par la création d'une chambre des libertés adossée aux juges d'instruction d'un même tribunal et dont le rôle serait celui de décider collégialement de la détention provisoire, au cas où le magistrat instructeur aurait envisagé une telle mesure, et de mieux protéger ainsi la présomption d'innocence et celui qui en bénéficie".
Cette chambre des libertés, présidée par un magistrat du siège, serait également composée de deux assesseurs de formation universitaire annuellement tirés au sort, ce qui aurait, avec par ailleurs le rétablissement des jurés au nombre de six ou de huit dans la composition du tribunal criminel, pour effet de conférer à la justice pénal un "caractère populaire dont elle s'est départi depuis quelques années au détriment de son indépendance souveraine et de sa crédibilité institutionnelle", conclut Me Ksentini.


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