Algérie

La désinformation, inversion du réel



On oublie trop souvent qu?informer n?est pas un acte neutre. A l?éternel conflit, jamais totalement résolu, entre une « objectivité » idéale presque impossible à atteindre et la subjectivité réelle ou supposée de ceux qui font et transmettent l?information, s?ajoutent de véritables stratégies de désinformation, destinées à influencer les opinions publiques. Au point, parfois, de les faire acquiescer à leur insu à des thèses auxquelles elles auraient d?autant moins adhéré volontairement qu?elles s?inscrivent en rupture totale avec les valeurs du groupe visé par cette manipulation.Fondée sur des techniques classiques mais subtiles et sans cesse réinventées, la désinformation est difficilement repérable. Seul, un minutieux travail de décryptage permet de l?identifier. C?est à cette tâche ardue et délicate que s?est consacré Guillaume Weill-Raynal, avocat au barreau de Paris, dans son nouveau livre Les nouveaux désinformateurs, qui paraît ces jours-ci aux éditions Armand Colin, et qui constitue, à bien des égards, la poursuite d?un travail de recherche et d?analyse entrepris par l?auteur dans Une haine imaginaire ? Contre-enquête sur le nouvel antisémitisme, paru en 2005 chez le même éditeur. Dans ce premier livre, GWR s?était déjà attaché à déconstruire minutieusement (notamment par la critique des travaux de Taguieff et de Finkielkraut) l?instrumentalisation en France des thèses sur le « nouvel antisémitisme ». A l?époque, une chape de plomb médiatique (à l?exception de Marianne et du Monde diplomatique) avait étouffé la sortie de l?ouvrage qui, faits concrets à l?appui, pulvérisait pourtant les idées reçues et les mensonges grossiers de ceux qui, d?évidence, n?entretenaient la fiction d?une intelligentsia française gangrenée par l?antisémitisme qu?à seule fin d?empêcher toute approche rationnelle du conflit israélo-palestinien.Mais Une haine imaginaire n?envisageait cette instrumentalisation qu?au regard de ce conflit et sur le seul terrain des médias français. Les nouveaux désinformateurs agrandit le champ de vision et élargit le propos. L?instrumentalisation de la lutte contre l?antisémitisme serait en réalité le principal pivot d?une campagne globale de désinformation conçue, des deux côtés de l?Atlantique, par des officines néoconservatrices, destinée à rallier les opinions européennes et tout particulièrement les intellectuels français à la thèse du choc des civilisations. La thèse pourrait sembler hasardeuse, voire suspecte, si elle n?était solidement étayée par une analyse précise et rigoureuse des concepts et des mécanismes d?une désinformation de « toujours » que les nouveaux désinformateurs ont su rénover et perfectionner avec talent. Tout particulièrement, la Théorie du complot, sur laquelle GWR revient à maintes reprises, est décrite comme un « outil de désinformation d?une particulière complexité »: puisant au vieux fond de l?antisémitisme le plus traditionnel, la théorie du complot fonctionne en réalité comme un « piège en miroir où le réel se dilue dans l?abolition des contraires », un nouvel avatar de l?instrumentalisation de la lutte contre l?antisémitisme qui - couplé à la dénonciation d?un prétendu anti-américanisme des élites européennes - permet d?étouffer toute pensée critique, non plus seulement sur la seule question du conflit israélo-palestinien, mais sur l?ensemble de celles dont les thèmes nourrissent la thèse du choc des civilisations (guerre en Irak, terrorisme, immigration, insécurité, banlieues, voile islamique, communautarismes, racismes(s) et antisémitisme...).La lutte contre l?antisémitisme serait ainsi devenue, entre les mains des néoconservateurs américains et de leurs homologues français, une arme complexe de désinformation d?une redoutable efficacité, identique en tous points à celle de la lutte pour la paix que les Soviétiques surent exploiter par le passé pour rallier les opinions occidentales à des objectifs diplomatiques et stratégiques qui n?avaient, le plus souvent, rien de très pacifique. « A chaque époque, le dévoiement d?une cause inattaquable et insoupçonnable se révèle un procédé inusable », rappelle très justement GWR.Mais le livre de Weill-Raynal ne se limite pas au seul plan de la réflexion théorique. Les nouveaux désinformateurs mérite bien son titre: car, comme dans Une haine imaginaire, la pensée conceptuelle y est sans cesse nourrie et soutenue par des exemples concrets. Loin des simples attaques ad hominem, l?auteur pointe et démonte les propos, les écrits et les comportements de « la petite armada de clercs ou réputés tels, formés depuis longtemps, bien loin du souci de vérité, aux revirements, discours à triple détente, et autres contorsions au sein de groupuscules, chapelles et sectes divers ».Les nouveaux désinformateurs se lit comme une véritable enquête.Des « petits harcèlements » aux « embuscades disparates », en passant par les « guets-apens dans la guerre des images »; de la campagne de harcèlement contre le journaliste Charles Enderlin à propos de la mort du petit Mohamed Al Dura, à L?effroyable imposture de Thierry Meyssan (GWR explore de manière convaincante l?hypothèse selon laquelle le président du Réseau Voltaire, chantre de l?anti-américanisme, pourrait bien n?être qu?une simple marionnette aux mains des... néoconservateurs américains), en passant par la caisse de résonance orchestrée par les « idiots utiles» (Philippe Val, Caroline Fourest, Ivan Rioufol, Pascal Bruckner, etc.), et jusqu?à l?étrange Daniel Leconte, se comportant, au sein de la chaîne Arte, en agent d?influence caricatural ressemblant, à s?y méprendre, à un personnage de fiction tiré d?un roman de Volkoff, c?est à un véritable voyage au pays de la désinformation et du « désapprentissage de la pensée » que nous convie GWR. Un livre à lire absolument.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)