Abattu par
l'examen de conscience auquel l'avait presque contraint l'article sur la fraude
au baccalauréat, il décide de rester chez lui le lendemain. Sérieusement
éprouvé, il veut cuver, seul, sa déception et ne se sent pas prêt à partager sa
déprime avec ses amis comme à son habitude. Pourtant, les nouvelles
malheureuses sur son pauvre pays ne sont pas rares.
Il en commente
chaque jour et au fil du temps, il a forgé les vocables les plus précis, les
plus incisifs pour fustiger tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre,
desservent la société ou lui nuisent; tous ceux qui profitent indécemment d'un
pays profus et généreux; tous ceux qui donnent le mauvais exemple à la
postérité, en commençant par leur progéniture.
Le retour sur son
parcours professionnel et social lui a permis de mesurer toute la relativité de
ses actes. Tout est à la mesure des repères que se donne la société. La plus
louable des actions peut être injuste dans une société qui a choisi, comme jauge,
l'irresponsabilité. Qu'est-ce que la compétence dans une communauté qui évalue
ses membres à l'aune de la ruse et du passe-droit ?
Qu'est-ce que la
légitimité quand la balance sociale est tarée à l'opportunité et au
clientélisme ? Qu'est-ce que le légal quand la concussion est l'aiguillon de la
force publique ?
Qu'est-ce que le
juste quand l'obséquiosité protège mieux que la loi ?
Qu'est-ce que la
morale dans une société qui repose sur les vices de ses membres ?
Il ne peut se
défaire de cette profonde conviction que la plus importante des fonctions de
l'Etat est la fonction pédagogique. L'Etat c'est, en premier lieu, l'éducation
par l'exemple. Il se trouve pourtant ridicule d'avoir consacré le dernier cours
inaugural dont il fut honoré, sa dernière année d'exercice, à la gouvernance
locale et l'équilibre des facultés qu'elle exige. Il a dénombré trois facultés
nécessaires à un exercice rapproché de la responsabilité: l'Intelligence, la
Sensibilité et la Volonté, mais, aucune ne doit être exclusive, toute la valeur
de l'exercice est dans l'équilibre entre les trois.
L'Intelligence
permet de saisir une situation, des actes ou des personnes, de déterminer, pour
chaque cas, les éléments constitutifs et de les classer en données fixes,
variables ou inconnues, de construire des équations et d'envisager les
solutions possibles. Mais ce faisant, le sens de l'homme, de son illogisme, de
son inconstance, de sa grandeur, de sa misère, de ses forces et de ses limites
lui échappe. L'analyse objective, dans son aridité, risque de passer à côté de
ce qui fait réellement les hommes.
La Sensibilité
comble cet écart, ouvre la voie à l'émotion, à la passion, à l'enthousiasme.
Mais elle peut aussi déclencher l'inquiétude, l'incertitude et donc la
contradiction et l'instabilité.
Elle ne peut être
contenue que par la raison. Par ailleurs le passage à l'action nécessite une
autre faculté qu'est la volonté.
La Volonté est
engagement, fermeté, rigueur et surtout assurance. Mais, poussée à ses
extrêmes, elle peut devenir suffisance, entêtement et même autoritarisme.
Elle ne trouve sa
bonne mesure que dans la clairvoyance et le respect des autres.
Ainsi, si les
trois facultés sont nécessaires à l'action des hommes, aucune ne doit être
dominante et si le rôle de l'enseignant est de développer toutes ses facultés
chez ses apprenants, son véritable succès est de les convaincre de la nécessité
de leur équilibre.
La réalité qui
l'entoure le dément chaque jour. L'Intelligence est écartée, marginalisée et
même combattue. Elle gêne, perturbe, donne à réfléchir, oblige à l'attention, à
l'application, à la prévoyance et à la rationalisation. Elle retarde le bonheur
des hommes pressés de jouir avant l'effort.
Elle établit
dangereusement le lien entre le travail et son produit, entre la performance et
le succès, entre l'ingéniosité et le progrès. La Sensibilité est considérée
comme une altération de l'autorité. Une autorité qui camoufle l'iniquité et
masque le droit au respect, à la considération, au service bien fait. Une
autorité qui cache tout simplement à l'homme le droit d'être un homme, le droit
d'aspirer au bonheur dans son pays.
La sensibilité
n'est plus que soupçon, défiance, intrigue. La société est déclarée coupable de
la vulnérabilité de sa gouvernance, de son incertitude, de sa faillite.
Quant à la
volonté, elle n'est plus que vanité et suffisance. Elle est devenue le mépris
de tout conseil et le refus d'écouter et de déléguer.
Il en était là,
de ses réflexions, quand son épouse lui annonce la visite de son meilleur ami,
venu aux nouvelles, inquiet de son absence à leur rendez-vous rituel. Dérangé
dans son retranchement, il apprécie, toutefois, la marque d'amitié de son ami
qui a dû forcer le «barrage» opposé par une épouse décidée à faire respecter
les vÅ“ux de solitude de son compagnon. Après les échanges d'amabilités, il
avoue à son ami la cause de sa détresse mais celui-ci, sans le savoir, allait
l'y enfoncer encore plus.
La presse
quotidienne, exposant les taux de réussite à l'examen de passage au collège et
au brevet d'enseignement moyen, s'interroge sur les causes des résultats
exceptionnels. Pourtant l'année scolaire a été émaillée par des grèves longues
et répétitives.
Ces grèves ont
nécessairement perturbé le bon déroulement de la scolarité et le degré
d'exécution des programmes d'enseignement.
Même si des
mesures ont été prises pour en limiter les conséquences, cela peut
éventuellement expliquer le maintien du seuil habituel, mais en aucun cas son
dépassement notable. Les syndicats des enseignants n'ont pas manqué de marquer
leur surprise et même leur inquiétude pour l'avenir immédiat des élèves qui risquent
d'avoir d'énormes difficultés à suivre au second palier et au lycée.
La satisfaction
des parents d'élèves n'a pas, non plus, tout à fait couvert une certaine
appréhension.
L'explication du
ministère est accueillie aussi dubitativement que les scores affichés.
Le volume des
enseignements a été réduit, les sujets n'ont porté que sur les cours
effectivement faits, le niveau de difficulté des examens a été étudié et les
barèmes de correction revus. Ainsi le secteur a choisi de s'adapter aux
circonstances et de prendre les mesures à même de lui assurer les taux de
réussite fixés à l'avance. Il se libère ainsi des normes universelles et crée
ses propres «repères mobiles».
Ceci a pour
avantage de garantir les objectifs du secteur, de retarder les déperditions et
de ne pas déplaire aux parents.
Il écoute son ami
lui expliquer la nouvelle philosophie de l'éducation nationale, l'air absent.
Hier, il
fulminait contre un comportement indigne de la profession mais il nourrissait,
encore, le secret espoir que son indignation soit partagée par les responsables
du secteur et qu'une réaction salutaire viendrait remettre les choses en place.
Aujourd'hui sa religion est faite, le système scolaire a, définitivement,
divorcé avec la logique du mérite.
Il ne s'agit plus
d'un processus de transformation de l'être humain pour découvrir et développer
ses capacités et mieux appréhender son milieu mais du traitement d'une masse
informe et malléable.
Les effectifs
sont accueillis, installés, abreuvés de leçons, déplacés de palier en palier,
pour partie gratifiés d'une attestation puis reversés dans la société. Le cycle
est cadencé par les capacités du système, ses dépressions et ses reprises.
L'évaluation n'a plus de contenu, plus d'âme, elle n'a que des repères chiffrés:
le taux de scolarisation, le taux de réussite, le taux de passage, le taux
d'encadrement. Le langage des chiffres n'est pas nouveau, il a été inventé par
des responsables en mal de politique qui se prévalaient, en guise de
perspectives, de projets programmés, de projets réalisés et de projets en voie
de réalisation.
Un responsable,
interrogé sur les conditions de la rentrée universitaire, a, machinalement,
répondu qu'elles s'annonçaient bonnes en ce sens que l'offre en lits dépasse la
demande et qu'il y a des places pédagogiques en «stock». Cela suffit pour
donner conscience du devoir accompli, d'autant plus que personne ne peut nier
les réalisations physiques. Le système désincarné n'a plus de missions propres,
et obéit désormais à une régulation extérieure.
Mais cela est-il
dû à l'hégémonie administrative ou à la démission des véritables acteurs du
système. A ce propos, une anecdote lui vient à l'esprit: dans son ouvrage,
«Vous avez dit matière grise» paru en 2006 aux éditions Plon, l'ancien ministre
Claude Allègre rapporte un échange entre le ministre Edgar Faure et le doyen
Vedel au cours d'une réunion au ministère à laquelle il a été convié pour
représenter l'Institut de physique du Globe de Paris.
Il attendait dans
l'antichambre du ministre avec un autre monsieur d'âge mûr et d'allure
imposante quand le ministre ouvre sa porte et les salue, le monsieur raide et
impressionnant s'avance vers le ministre qui lui tend la main en l'interpellant
«Alors, monsieur le Doyen, il paraît que vous refusez d'appliquer ma circulaire
sur les inscriptions d'étudiants ?».
Il s'agissait
donc du doyen Vedel qu'il connaissait de renom. Celui-ci, sans se démonter,
répondit: «Monsieur le Ministre, je n'ai pas envie de mettre la pagaille dans
mon service de scolarité». Le ministre rétorque: «Vous savez, mon cher Vedel,
lorsque les facultés de droit ne l'appliquent pas, ça fait désordre».
A quoi réplique
le doyen Vedel: «Peut-être, mais vous savez, j'en suis à mon sixième ministre
et, lorsque vous serez parti, vous ne viendrez pas réparer la pagaille que votre
circulaire aura mise dans mon service.»
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Posté Le : 24/06/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohammed ABBOU
Source : www.lequotidien-oran.com