Omar Carlier va rectifier une idée reçue en estimant que «la réunion des Vingt-Deux scelle le sort du CRUA qui ne sera plus opérationnel'».
Le Groupe des 22 a fait l'objet d'une conférence animée hier après-midi au CRASC par Omar Carlier, de l'université
Paris 7. Cet ancien Oranais d'adoption qui a effectué et encadré un nombre appréciable de travaux de recherche sur le mouvement national, notamment à l'université d'Oran, est revenu aujourd'hui pour tenter de cerner les contours de «cette réunion (juin 1954) qui n'a pas dépassé une journée mais dont les conséquences ont été énormes sur la suite des événements, car l'évènement matérialise et incarne le moment décisif du passage à l'action armée».
La conférence s'inscrit dans la dynamique de célébration du 50e anniversaire de l'indépendance et l'orateur rappelle que, depuis une dizaine d'années, les écrits sur la guerre d'Algérie se sont multipliés et qu'il était opportun de revenir sur l'un des moments marquants non pas le 1er Novembre et la guerre elle-même, mais les prémisses de la révolution. «L'événement lié à la réunion des Vingt-Deux est à la fois très bien connu, car présent dans la mémoire militante, dans les champs discursif, médiatique et historiographique, et en même temps mal connu du fait qu'il reste à questionner en tant que tel.» Il fallait avant tout pour le chercheur restituer cet instant en regard de tout le processus historique et en tenant compte des avis contrastés sur le rôle qu'ont eu les acteurs présents et sur ce qui s'est réellement dit, à défaut d'un compte rendu, d'un procès-verbal de réunion ou de document ayant pu servir de source majeure. Sur la base de questionnements multiples, Omar Carlier a développé cinq grands axes en s'intéressant, dans un premier temps, à la dénomination par le chiffre (le Groupe des 21, la relation avec le groupe des 5 puis des 6 et des 9, etc.). Son idée est que le chiffre assure l'anonymat et règle la question du chef (pas de chef identifiable, pas de grade') en tenant compte de la crise ultime du MTLD (survenue à la même période) et le conflit entre messalistes et centralistes.
En deuxième lieu, il avance une espèce d'unité dramaturgique de temps, de lieu et de groupe en interrogeant la date (juin 1954), le lieu (Clos Salembier) et l'origine des acteurs, tous issus du PPA et anciens de l'OS, sauf le groupe d'Alger dont Othmane Belouizdad, Merzougui et Zoubir Bouadjadj qui appartenaient, néanmoins, à une structure de réserve. Concernant le lieu, il va démontrer comment la socialisation politique de l'ENA et du PPA va se développer entre les années 1930 et 1950 à l'intérieur du sous-ensemble urbain du Grand Alger (axe sud-est) et toucher graduellement les communes dites prolétariennes faisant que les niches historiques, comme La Casbah, ne soient plus représentatives de la majorité des Algériens musulmans.
Le redéploiement urbain et le développement de la ville verront en même temps l'apparition d'une couche moyenne salariée (traminots, cheminots) qui ont la possibilité d'acquérir des terrains sur les hauteurs, d'où le choix de la maison de Lies Derriche, le 22e membre du groupe.
A propos de groupe, Omar Carlier va d'abord rectifier une idée reçue en estimant que «la réunion des Vingt-Deux scelle le sort du CRUA qui ne sera plus opérationnel» pour dire que l'événement n'a rien à voir avec le Comité pour l'unité et l'action.
Il mettra ensuite en avant le rôle joué par Boudiaf en osant affirmer que le Groupe des 22 c'est le groupe Boudiaf validé par Ben Boulaïd. «Quand la réunion se dessine, les 5 sont déjà là», indique-t-il en qualifiant de coup de force l'action de Boudiaf validée par Ben Boulaïd qui était lui-même un élément stratégique, car étant déjà à la tête de plusieurs hommes. Boudiaf a échappé à l'arrestation qui a suivi la découverte de l'OS. Il se retrouvera de fait le plus haut gradé du groupe alors que, au sein du PPA, il était moins placé que Ben Boulaïd par exemple.
En analysant les parcours de chacun des membres, le chercheur universitaire rétablira aussi quelques vérités concernant les origines sociales des acteurs, en expliquant que les situations conjoncturelles (avoir travaillé comme ouvrier à un moment donné de sa vie) ne traduisent pas toujours les vraies conditions sociales des individus, car il faut aussi tenir compte des héritages symboliques.
De manière plus générale, l'événement a été également étudié à la lumière des situations régionales (luttes des nationalistes marocains et tunisiens) et internationales (la guerre d'Indochine, la guerre froide, etc.).
Les acteurs qui étaient amenés à prendre une décision majeure sur une question majeure ont, pour Omar Carlier, étudié leur action en fonction du présent, du passé (les expériences du mouvement), mais aussi en fonction des perspectives d'avenir, chose qui paraît facile après coup, mais qui n'était pas du tout évidente dans le contexte de leur époque. D'ou l'intérêt de ce travail en chantier que le chercheur compte approfondir après sa retraite, car il compte revenir se réinstaller à Oran.
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Posté Le : 16/04/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Djamel Benachour
Source : www.elwatan.com