Algérie

La délicate question de l'alliance avec l'islamisme politique



L'islamisme politique est souvent un acteurde premier plan dans les pays musulmans. Faut-il chercher des alliances avec cecourant, au pouvoir ou dans l'opposition ? Quelques éléments de réponse.Comment tenterdes alliances avec les islamistes sans se faire avaler ? Comment négliger cettealliance face à des régimes oppressifs alors que l'islamisme politiqueconstitue souvent la principale mouvance de l'opposition ? Ces questions ontdonné lieu à un long débat lors du congrès de l'association « Arab ReformInitiative » qui s'est tenu le week-end dernier à Amman. Brutalement posée, la question renvoie à desdogmes et des réponses idéologiques sans fin, et sans issue. L'Algérie a connucette situation, avec des refus violents, ou des compromissions opportunistes.Mais les participants au congrès de Amman ont déblayé le terrain pour arriverfinalement à poser de manière totalement différente les termes du débat. Les mouvements islamistes violents sont ainsiexclus de ce débat, car ils ne répondent pas aux obligations premières, cellesde mener des réformes démocratiques, par des voies pacifiques, visant à mettreen place un système qui garantisse les libertés. Seuls des partis ayantpubliquement souscrit à ces objectifs peuvent donc être approchés pour trouverdes terrains d'entente. Cette démarche n'exclut cependant pas ladérive. Amr Shubaki, chercheur au centre d'études stratégiques d'Al-Ahram, aainsi noté que les mouvements islamistes affirment pour la plupart leursconvictions démocratiques avant d'arriver au pouvoir. Faut-il pour autant leurfaire confiance ? Il a noté qu'il est facile de se faire une idée surl'expérience soudanaise, où les islamistes sont arrivés au pouvoir en allianceavec des auteurs d'un coup d'Etat. Dans ce type de situation, on a affaire àl'alliance de deux totalitarismes. Par contre, a-t-il noté, exiger des partisislamistes de prendre position de manière publique sur la démocratie n'a pas desens, car seule l'expérience du terrain finira par montrer si tel partiislamiste comporte des convictions démocratiques ou non. Rien n'empêche unparti de changer de discours, ni même de changer de direction pour justifierune radicalisation éventuelle. Plus délicate encore apparaît la situationdans des pays qui ne sont pas encore engagés dans des phases de transition.Faut-il s'allier avec les islamistes, en sachant que des franges de cettemouvance pourront se transformer en oppresseurs ou basculer dans la violence ?La réponse est délicate, d'autant plus que les islamistes sont souvent lespremières victimes de la répression dans de nombreux pays. Hmida Neifer, professeur de civilisationmusulmane à l'université de Tunis, note de son côté l'absence de dialogue avecles islamistes, même s'il y a peu d'exemples où cette expérience a réussi. EnTunisie, a-t-il noté, l'expérience de la Ligue tunisienne des droits de l'hommeest jusque-là encourageante. La Ligue, a-t-il rappelé, rassemble des militantsde courants très divers, dont des islamistes, ce qui ne l'a pas empêchée degarder fermement le cap sur des principes incontestés. Un parti tunisien, leParti démocratique du progrès, rassemble trois ailes: des islamistes éclairés,des nationalistes et des militants de gauche. La cohabitation d'idéesdifférentes dans un même parti a donné lieu à des débats qui ne peuvent êtreorganisés ailleurs. Amina Messaoudi, professeur de sciencespolitiques, a cependant noté que l'expérience du terrain a montré lespossibilités d'alliance comme leurs limites. Elle a insisté sur la nature desalliances: sur quels thèmes se font-elles ? Se font-elles pour permettre auxislamistes d'avancer vers le pouvoir en attendant d'avaler leurs partenaires,ou peuvent-elles amener les islamistes à intégrer la pensée démocratique dansleur démarche ? Plus précis encore, Azmi Chouaïbi, directeurde l'organisation Amane de lutte contre la corruption, a affirmé qu'il fautchercher des alliances sur des thèmes politiques et sociaux, mais exclurecomplètement des alliances qui peuvent amener à des concessions sur le thèmedes libertés. Tous les sujets relatifs au statut personnel notamment devraientêtre exclus des programmes communs. Il s'est demandé jusqu'où les islamistespeuvent aller dans le débat. Peuvent-il envisager de discuter de l'égalitéhommes-femmes sur la question de l'héritage ? Sujet délicat, a-t-il noté, maisla Tunisie a interdit la polygamie, et le sujet, qui répond à une nouvelle situationsociale, ne semble pas faire l'objet d'une contestation particulière. Ces questions se posent dans la plupart despays musulmans, mais avec une acuité différente, selon la situation danslaquelle se trouve chacun d'entre eux. Les démocrates détenus dans les mêmesprisons que des islamistes envisagent la situation de manière différente deceux qui sont tentés d'intégrer le pouvoir et voient dans les islamistes unemenace totalitaire. Cette difficulté a été exprimée par Khalil Shikaki, duCentre d'études politiques palestiniennes. Chercher des alliances pour faireavancer la démocratie est a priori une démarche positive, mais il faut faire ensorte que l'alliance visant à faire avancer la démocratie ne puisse débouchersur la fin de l'expérience démocratique elle-même. Avec une note d'humour, un chercheur libanaisa abordé la question de la nécessité et de l'utilité des alliances avec lesmouvements islamistes face à la faiblesse des forces démocratiques dans denombreux pays. « Il est utile et nécessaire d'étudier ces alliances sous toutesles coutures. Il faut notamment examiner le rapport de force au sein de cesalliances. Qui y a intérêt, qui en tire profit, et surtout, qui l'impose ? »,s'est-t-il demandé. Avant de conclure: « nous discutions pour savoir si lesdémocrates doivent nouer des alliances avec les islamistes, et comment lefaire. Encore faudrait-il que les islamistes l'acceptent ». On note, parailleurs, un décalage dans la perception de l'islamisme politique dansdifférents pays. Ceux qui ont subi le terrorisme ont une réaction de rejet plusviolente que d'autres de l'idée de l'alliance avec des courants islamistes,notamment au Maghreb. Dans d'autres pays où l'islam est d'ores et déjàdominant, de manière officielle et dans la société, comme en Arabie Saoudite etdans le Golfe, la perception est plus nuancée. « En Arabie Saoudite, quelqu'unqui aspire au changement de manière lucide doit chercher appui auprès desoulémas les plus ouverts, car il est absurde de vouloir affronter brutalementquatorze siècles d'histoire », note un chercheur libanais.


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