Algérie

La darija honnie par le pouvoir, célébrée par le peuple



Lorsqu'il était encore en état de tenir des discours, le président Bouteflika affirmait ne pas comprendre la langue que parle son peuple : «Ce n'est qu'un mauvais mélange, des propos hybrides que l'on comprend à  peine. Prenons l'exemple le terme mayixistiche (cela n'existe pas), qui ne peut àªtre compris que par l'Algérien du XXIe siècle.»
Pour le sociologue Lahouari Addi, qui avait fait un travail sur les langues parlées en Algérie, la darija est soupçonnée d'être inadéquate pour véhiculer l'imaginaire religieux encore pertinent dans la culture, y compris par les Algériens eux-mêmes. «Le refus des autorités officielles de reconnaître la darija, est soutenu par la majorité de la population. Cette langue n'est pas stigmatisée, comme l'écrit Foued Laroussi, ou bien elle l'est par ceux-là mêmes qui la parlent. La relation des locuteurs à  leur langue parlée est complexe et ne peut àªtre approchée rigoureusement que si l'on se place du point de vue de l'acteur», a-t-il expliqué. Il y aurait, d'après lui, comme un déni de soi en rapport avec le complexe d'infériorité assigné à  la langue parlée, complexe compensé par la survalorisation de la langue écrite, respectée pour le patrimoine qu'elle renferme. Identité algérienne Mais le parler populaire avait eu en le romancier Kateb Yacine son plus grand défenseur. Celui qui considérait le français comme «un butin de guerre» n'hésitait pas à  faire traduire ses œuvres en darija pour les rendre accessibles au plus grand nombre. La question de la langue déterminait tout, à  ses yeux, étant donné qu'elle est liée au complexe arabo-islamique. «Puisque la langue est liée à  la religion et puisque, à  l'heure actuelle, tout ce qui se fait en Algérie, contre le peuple algérien, se fait au nom de la religion et au nom de la langue arabe. Et, à  l'heure actuelle, je crois que notre combat, c'est ça», disait-il. Plus de vingt ans après sa mort, les mots de Kateb sonnent encore juste.
Le fait est que cette langue que nous parlons et dans laquelle nous pensons est la seule qui unisse les différentes facettes de l'identité algérienne. L'humoriste Fellag, qui est passé au français ces dernières années, a formidablement décortiqué la relation intime de l'Algérien avec sa langue. Il se dit, dans l'une de ses interviews, «contre tous les purismes». «Je suis pour le mélange, je suis pour l'utilisation libre de toute contrainte. Je ne suis pas linguiste, mais je pense que c'est comme ça que les langues sont faites, en se mélangeant à  d'autres langues. Travailler ces langues, ça m'amuse aussi ; c'est riche, on s'adapte tout de suite ; un mot qui manque en arabe dialectal, hop ! on le prend au français et on le conjugue en arabe, on le triture et on en fait un mot», affirmait-il. Fellag rapporte une discussion sur la langue qu'il a eue avec sa mère ; il lui disait : «Tu sais en kabyle, il y a beaucoup de mots arabes et français ; par exemple, jami (jamais), c'est du français…» Et sa mère lui répond : «Jami de la vie ! Jami, c'est du kabyle !»
 


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