Algérie

«La croissance de la consommation n'a pas été spectaculaire» Ahmed Bouyacoub. Professeur d'économie


«La croissance de la consommation n'a pas été spectaculaire»                                    Ahmed Bouyacoub. Professeur d'économie
-Selon certaines statistiques, les dépenses de consommation des ménages auraient augmenté de plus de 60% entre 2009 et 2011, alors que cette période est marquée par une forte inflation. Comment expliquer cette situation '
En matière de dérèglement du marché (insuffisance de l'offre par rapport à la demande, insuffisance de la demande, variation saisonnière ou spéculative des prix de vente, existence d'agents informels, etc.) on a toujours tendance, en Algérie, depuis longtemps, à accuser les agents économiques, qu'ils soient commerçants déclarés ou non, consommateurs, producteurs également, ou importateurs' d'être à l'origine des dysfonctionnements qui se manifestent brutalement, en réalité par insuffisance ou absence de régulation. En matière de consommation, cette tendance n'a pas changé. On accuse parfois les consommateurs de «trop consommer». Alors que les études dans ce domaine sont rares, et c'est véritablement un domaine sur lequel il y a très peu de recherches scientifiques. A ma connaissance, sur les 115 PNR d'économie (programme national de recherche scientifique) agréés par la DGRSDT (Direction générale de recherche scientifique et du développement technologique) en juin 2011, aucun projet ne porte sur la consommation des ménages !
Plusieurs facteurs expliquent cette situation. Mais, revenons à votre question qui porte sur deux aspects importants : d'abord, selon les dernières données de l'ONS, la consommation finale individuelle des ménages n'a augmenté, en dinars courants, que de 21,60%, entre 2009 et 2011. Quant à l'augmentation réelle (en retranchant l'effet inflation) de la consommation des ménages, elle n'a pas dépassé les 10,8% en deux ans. L'inflation en deux ans aura été de 9,7%. Donc, la consommation réelle des ménages a augmenté de 5,4% en moyenne annuelle entre 2009 et 2011. Ce taux est-il raisonnable ' La réponse doit être nuancée. Non, si on le compare au taux de croissance global.
Le PIB a augmenté de 3,30% en 2010 et de 2,50% en 2011, soit un taux global de 5,88% en deux ans, alors que la consommation des ménages a augmenté à un rythme supérieur. Dans les pays industrialisés, la consommation des ménages tire la croissance, parce qu'elle fait travailler l'économie. En Algérie, cette croissance de la consommation tire plutôt les importations. Oui, d'un autre côté, si on raisonne par rapport au PIB hors hydrocarbures, la croissance réelle de la consommation des ménages entre 2009 et 2011 a été inférieure à la croissance du PIB hors hydrocarbures qui a été de 11,7% en deux ans.
Enfin, en termes relatifs, la consommation finale des ménages représentait 41,6% du PIB en 2000 et seulement 31,7% en 2006, et un peu moins en 2011 avec 31,4% du PIB. On est très en dessous du niveau atteint au Maroc et en Tunisie avec 63 % en 2011.
La croissance de la consommation, malgré l'augmentation importante des revenus de certaines catégories socioprofessionnelles au cours de ces deux dernières années n'a pas été spectaculaire, comme on a tendance à l'affirmer un peu facilement ici et là. Elle n'a concerné que quelques produits.
-Dans l'une de vos analyses, vous soutenez que l'Algérien n'est pas «ce goinfre» qu'on imagine. Si ce n'est pas le cas, pourquoi a-t-on tendance à le croire '
Les choses n'ont pas changé, au contraire. En 2011, en Algérie, la consommation finale des ménages par tête d'habitant a été de 1735 dollars, contre 1959 dollars au Maroc et 2690 dollars en Tunisie. Ces pays sont d'un niveau très inférieur à celui de la Turquie, par exemple, qui a été de 8295 dollars par habitant. Le consommateur algérien a un niveau bien inférieur à celui des pays voisins, à la moyenne du monde arabe qui a été, en 2011, de 2914 dollars, et bien entendu à la moyenne de la zone euro qui a été de 22 560 dollars.
-Où est l'excès du consommateur algérien '
On peut critiquer ces données en avançant que les systèmes de prix sont différents et le dollar américain n'a pas exactement le même pouvoir d'achat dans tous les pays (avec 100 dollars américains, on achète un volume différent de produits d'un pays à l'autre). Pour cette raison, en matière de comparaison internationale, on a introduit le système du dollar en PPP (parité du pouvoir d'achat). Le résultat relatif ne change pas beaucoup. La consommation algérienne par tête d'habitant, en 2011, est de 2945,2 $ PPP, au Maroc elle est de 2944,5 $PPP et en Tunisie, elle est de 5235 $PPP (current international $).
Vous posez la question de savoir pourquoi, malgré la modestie du niveau de la consommation algérienne, on a toujours tendance à penser le contraire ' D'abord, parce que la consommation fait l'objet de peu de débats sérieux, d'études et d'enquêtes systématiques. Il y avait une grande enquête décennale de l'ONS sur cette question. La dernière qui remonte à l'année 2000 n'a pas été réellement exploitée. Ensuite, compte tenu des dysfonctionnements importants (saisonniers et conjoncturels) du marché des biens et services, il est toujours plus facile d'accuser les consommateurs de «mal consommer» et les vendeurs de trop «spéculer» que de réfléchir à de véritables mécanismes de régulation.
La régulation du marché n'est certes pas facile et ne peut être figée et menée de façon bureaucratique. Enfin, en Algérie, la consommation semble alimenter, de plus en plus, les importations et nécessite une partie de plus en plus grande des ressources provenant de la rente énergétique, au lieu de booster la production industrielle nationale.
-Vous évoquez également la consommation inégalitaire. Comment se décline-t-elle et quelles en sont les causes '
Elle est inégalitaire dans le sens où il y a des groupes de consommateurs différents qui correspondent aux groupes de revenus différents. En 2000, selon l'enquête de l'ONS, les 10% de ménages les plus riches d'Algérie consommaient 28,60% de la consommation algérienne. Ce taux était de 32,61% en 1988. Mais qu'est-il devenu depuis ' Les 10% les plus pauvres consommaient seulement 3,20 % en 2000. Leur part a-t-elle augmenté depuis ' Les subventions directes et indirectes (qui se chiffrent à plusieurs milliards de dollars annuellement) bénéficient-elles réellement à ces catégories à faibles revenus ' Il s'agit là d'un autre débat très sérieux et très complexe, qui devrait être ouvert, au moins à l'occasion du débat sur la loi de finances.
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