Algérie

"La crise résulte du système politique" MOHAMED LAKHDAR MAOUGAL, UNIVERSITAIRE, À L'EXPRESSION


«Il y a une situation de crise grave dans notre pays»
Auteur d'une dizaine d'ouvrages traitant de la problématique sociologique et politique en Algérie, Mohamed Lakhdar Maougal ne rêve que d'une chose: «que le citoyen algérien vive libre et indépendant de toutes les idéologies obscures et rétrogrades». Dans un entretien accordé à L'Expression il livre ses impressions sur la situation sociopolitique en Algérie, sur fond de révoltes arabes.
L'Expression: Contraire- ment à la classe politique qui ne se manifeste qu'à l'approche des élections, la société civile, les syndicats, ne cessent de revenir à la charge pour revendiquer leurs droits socioprofessionnels. Qu'en est-il de votre lecture de ces mouvements de protestation'
Lakhdar Maougal: Je ne sais pas si on peut caractériser ces mouvements d'expressions de la société civile. Je ne suis pas tellement chaud pour ce concept. Par contre, je pense qu'il y a une situation de crise grave dans notre pays. On peut déceler de cette situation au moins deux éléments saillants très importants. Il y a la révélation de la polarité et la richesse de l'Algérie qui est gangrenée par la corruption, et en face, une grande polarité de pauvreté, de dénuement où les gens commencent à prendre conscience. Il faut qu'on essaye de lier ces deux aspects, parce que la prise de conscience n'est pas liée à la prise de conscience politique par rapport aux institutions ni aux partis politiques. Elle est liée avant tout, aux révélations de la presse.
Ensuite au travail de la société politique qui est elle-même en lutte dans le sens où des fractions veulent donner naissance à d'autres fractions.
Celles qui sont les plus fragilisées aujourd'hui sont celles qui sont pourries par la corruption, car elles ont beaucoup profité du système qui, apparemment, commence à les lâcher et à les livrer en pâture. Ces mouvements de masses sont des mouvements de jeunes et c'est très important à souligner. Car, ce sont des jeunes désoeuvrés, des jeunes en âge de se marier et qui ne peuvent pas travailler, ce sont souvent des jeunes, victimes du système éducatif. C'est aujourd'hui qu'ils se révèlent dans ce système de producteurs, de chômeurs diplômés. Donc, ce sont des gens qui ont des compétences et qui ne leur ont servi à rien. Ces jeunes ne sont pas politisés, donc, ils peuvent faire l'objet de manipulations. C'est la démobilisation de la société, c'est un dépérissement de l'esprit civique et de l'esprit citoyen. Donc, pour moi, je ne peux que soutenir les jeunes et voir un signe de vitalité de la société pour quelque chose de prometteur. J'ai des doutes sur les objectifs et je m'interroge beaucoup sur les tenants et aboutissants. Je ne peux pas dire qu'ils sont manipulés par X ou Y. Il y a beaucoup de gens de la société politique qui se mettent en avant en essayant de tirer la couverture vers eux. De manière générale, je ne crois pas du tout que ce sont des actions de la société civile et je ne crois pas aussi, qu'il y a un lien direct entre la politique et la société civile.
Le phénomène de la corruption revient souvent dans l'actualité nationale, ces derniers mois. La corruption est-elle liée à la nature du système du régime'
La corruption en Algérie et comme partout dans le monde, n'est pas liée à la nature du régime, mais elle est dans le système.
C'est le système actuel qui fonctionne avec un certain nombre de données qui sont incompressibles à l'échelle mondiale.
On a trois données fondamentales. D'abord, le terrorisme alimente la guerre, la guerre alimente la corruption, et la corruption alimente le terrorisme. C'est un cercle infernal. Aujourd'hui, la corruption fait partie du fonctionnement à l'échelle mondiale. En Algérie, la corruption a pris des proportions folles. Elle est présente à toutes les échelles de la société. Elle n'est pas seulement dans les secteurs financier, économique et bancaire, mais à tous les niveaux, y compris dans les institutions qui gèrent le religieux. C'est un secret de polichinelle. Tout le monde sait qu'il y a un réseau semi-mafieux qui récupère l'argent des hadjis par les agences. Même dans le domaine du sacré, la corruption est présente. Dans le reste, il y a d'autres formes de corruption. Ce sont des formes attentatoires à la souveraineté nationale. Il y a eu une grande opération d'exposition culturelle et artistique de l'«Année de l'Algérie en France». Mais, après dix ans, il n'y a toujours pas de bilan. Il y a eu un clash énorme au sujet des mosaïques. Où en sommes-nous' Combien a coûté leur entretien et leur assurance' Ont-elles été restituées à l'Algérie' Je me pose des questions souvent et pourquoi' Nous sommes dans un Etat voyou. Je m'explique. Il ne s'agit pas d'une insulte. Mais, la notion de l'Etat voyou est un concept utilisé dans la science politique. L'inventeur, Antonio Negri, qui est un philosophe, politicien, et Chomski qui parlent d'Etats voyous. Les plus grands Etats voyous, sont les Etats-Unis et Israël qui ne respectent pas la législation internationale, ni les lois qu'ils ont mis eux-mêmes en avant, et c'est le cas de l'Etat algérien.
Justement, bon nombre d'observateurs et spécialistes remettent en cause le système éducatif national qui est à l'origine de la dégradation de la situation...
Le système éducatif algérien a commencé à dériver à partir du moment où on a remis en cause quelque chose de fondamental qui avait été construit à la fin de la période coloniale pour gérer les périodes de transition. Je me souviens qu'en 2001/2002, une des premières mesures prises par Bouteflika, d'ailleurs avec beaucoup de tapage, fut la réforme du système éducatif et j'étais membre de la Commission nationale. Mais dès que j'ai compris de quoi il s'agissait, je me suis retiré. Le deuxième projet, c'est la réforme de l'Etat. Aujourd'hui, il n'y a qu'à voir l'état dans lequel se trouve l'Etat pour comprendre la nature de cette réforme. Il ne faut pas sortir d'une grande académie de sciences politiques pour comprendre la chose. La France coloniale avait sa langue officielle, l'Algérie l'a communiée. Mais, suite à la pression des milieux patriotes anticolonialistes qui sont nombreux en France et les nationalistes algériens, elle a été obligée d'introduire des enseignements essentiellement en langue arabe. La langue arabe était devenue la deuxième langue des enseignements du temps de la colonisation en Algérie. Les gens l'oublient. Elle a créé donc des institutions. Ces institutions ont formé un certain nombre de générations composées de gens bilingues, comme le défunt Mustapha Lacheraf, entre autres. Cela a fait l'objet dès les premières années de l'indépendance d'une lutte atroce menée par des aventuriers. Je le dis bien, des aventuriers qui sont allés ramener des diplômes douteux et des formations bancales du Moyen-Orient qui sont venus en donneurs de leçons. Ils ont terrorisé les politiques de l'époque. Le système éducatif qui a été mis en place a été mis de côté et il a fallu attendre le sursaut du défunt président Houari Boumediene, en 1976, pour rappeler Mustapha Lacheraf en lui donnant la responsabilité du ministère de l'Education nationale. Parce que la politique de l'éducation a été tellement bousculée et fracturée que Boumediene s'est enfin décidé à la nomination de Mustapha Lacheraf qui a manqué de courage... En préférant un poste d'ambassadeur plutôt que d'affronter l'association de défense de la langue arabe. Et aujourd'hui, on paye le résultat du système éducatif national qui a été mis en place par ces aventuriers. Depuis, cela a continué.
Il y a un fer de lance de la déconsidération et de la déconfiture de notre enseignement. Cette association de défense de la langue arabe et la commission de la réforme de l'arabisation portent une lourde responsabilité dans la décomposition du système éducatif algérien. Ce n'est pas une affaire d'idéologie, parce qu'on a dit que l'école est sinistrée et l'école est infiltrée par les islamistes, mais il faut savoir que cela n'est que la conséquence de ce qui a été décidé. A partir du moment où le système éducatif est mis aux normes «fantasmatiquement», on a écarté tout ce qui se rattache à la culture universelle. Les valeurs fondamentales de l'éducation ne sont pas propres aux Algériens et à tous les systèmes d'enseignement dans le monde.
A une année de la présidentielle de 2014, le régime est-il en train de préparer son candidat comme d'habitude au lieu de laisser le peuple élire librement son président'
Je crois que la chose n'est pas près de changer. Parce qu'on ne fait pas ex-nihilo une culture politique. C'est le résultat d'une évolution. Le système est ainsi.
Autrefois, la crise de gouvernance était interne. Maintenant, il y a des facteurs exogènes qui interviennent dans la crise. Ces facteurs sont liés à des multinationales, aux intérêts des puissances étrangères qui réduisent considérablement la part de souveraineté nationale. Voila le drame dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui.
La Constitution de 1996 est la première Constitution démocratique dans le pays. Respect de l'alternance, limitation des mandats.
A moins que la classe politique puisse renverser la tendance. C'est cela la question. Il nous reste une année, il peut y avoir des choses ce n'est pas perdu, sauf qu'il y'a toujours l'initiative prise d'en haut et on ne laisse pas l'initiative venir de la base.
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