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la crise de liquidité étouffe les entreprises



la crise de liquidité étouffe les entreprises
Entreprise de réalisation, de production, de services ou sous-traitants, toute l'activité économique en Algérie est liée d'une manière ou d'une autre aux dépenses publiques et aux revenus pétroliers.La crise ayant conduit le gouvernement à baisser ses dépenses d'équipement, c'est presque logiquement que des milliers d'entreprises se retrouvent en difficulté. Si des entreprises ont été directement touchées par les coupes budgétaires, d'autres subissent les dommages collatéraux d'une situation qui ralentit le rythme de croissance économique.Dans le cadre des marchés publics, la régularisation des situations financières a commencé à prendre de plus en plus de temps et les projets à avoir des retards de paiement. La situation a été aggravée par les instructions du gouvernement qui ont commencé à fuser soit pour le plafonnement des dépenses d'équipement, soit pour le gel des projets en phase de lancement ou même en cours. Dans d'autres secteurs, c'est en 2015 que les difficultés ont réellement débuté.«La situation a commencé vers la fin de l'année dernière, mais depuis février dernier, c'est le chaos. Nous avons des commandes, mais il n'y a pas de paiement», témoigne Amar Moussaoui, chef d'entreprise. Celle-ci fabrique des chaussures de sécurité, ses clients sont divers et peuvent être des sociétés de gardiennage, des revendeurs ou d'autres entreprises industrielles. Et tout le monde souffre. «Quand on réclame notre argent, on nous rétorque : ?'Nous aussi, nous n'avons pas été payés''», affirme Moussaoui. Le secteur du bâtiment est sans doute celui qui en pâtit le plus. «Le maître d'ouvrage vous dit je n'ai pas d'argent, car le ministère des Finances ne suit pas le rythme de réalisation. Le secteur du bâtiment est sans doute celui qui en pâtit le plus. Et depuis la dernière loi de finances, il a la possibilité de délocaliser le budget à sa guise», déplore Djamel Chorfi, à la tête d'un bureau d'études en architecture.Hassen Khelifati, PDG d'Alliance Assurance confirme : «On a des entreprises qui ont des difficultés à payer leurs échéances d'assurances dans tous les secteurs mais dans le bâtiment en particulier. Elles ont des difficultés parce qu'elles-mêmes n'ont pas été payées. Le plus gros de l'activité vient de la commande publique». Pour certains experts, la situation s'explique. «L'Etat était jusque-là le principal acteur économique, il est normal que la crise se répande», explique un banquier.DélaisPour les entreprises de réalisation, les paiements se font donc de plus en plus longs. «Si avant ça prenait trois mois, aujourd'hui il en faut 6», indique Nasser Hideur, directeur général d'Al Salam Bank Algeria. Cela se répercute sur les banques, car les entreprises ont du mal «à rembourser les avances sur marchés obtenus auprès de leur banque en raison du retard dans le règlement de leurs factures ou situations par les organismes contractant».Et quand enfin elles se font payer «ça prend encore plus de temps pour rembourser la banque, car il y a d'autres charges plus urgentes à régler.» Si la situation est critique, c'est que le manque de liquidité augmente considérablement les délais de recouvrement, et c'est parti pour durer. Selon un cadre du ministère des Finances, «l'Etat ne peut plus désormais payer cash. Les entreprises doivent s'y faire».Les entreprises ont du mal à récupérer leur argent et la situation se fait ressentir sur leur trésorerie. «Avant, la facture qu'on déposait au niveau du maître d'ouvrage prenait approximativement 15 jours pour être honorée», nous dit un opérateur dans le secteur du bâtiment, dont l'entreprise issue du dispositif Ansej est en activité depuis 2010. «J'ai trois factures en attente de payement depuis juin et je ne vois rien venir.» L'entreprise est engagée dans un projet de réalisation d'une auberge de jeunes dans la wilaya de Béjaïa.Depuis une instruction du ministère des Finances impliquant le plafonnement des dépenses, l'été dernier, c'est le cauchemar. «Les délais ont été démultipliés. Avant la crise, la régularisation de la situation ne devait pas dépasser une semaine chez le maître d'ouvrage. Aujourd'hui, nous avons des cumuls de situations qui durent depuis 4, 6 mois, voire plus», abonde dans le même sens Djamel Chorfi.Dans d'autres secteurs, comme les médias, la situation n'est guère mieux. «Les délais de recouvrement ont augmenté de 80%», déplore le patron d'une entreprise médiatique. «Avant la crise, on se faisait payer dans les deux mois qui suivaient la facturation. Aujourd'hui, ça peut prendre 5 à 6 mois facilement et si on ne fait pas jouer les relations personnelles, ça peut être beaucoup plus». Le secteur est intimement lié aux investissements publicitaires, dont les principaux acteurs sont l'automobile ou les télécommunications. «Le secteur des services est notre principal client, or il a été sévèrement touché par la crise».ConséquencesLa restriction sur les importations et sur les sorties de devises a impacté des acteurs importants du marché, il est normal que dans leur sillage ils entraînent d'autres. «Le secteur automobile était l'un des principaux annonceurs du marché et il a été anéanti». En période de crise, les investissements publicitaires sont les premiers à en faire les frais et le peu qui est maintenu est réglé au compte-gouttes. Comme dans une réaction en chaîne, c'est l'ensemble des acteurs en interaction qui est impacté et son activité compromise.Amar Moussaoui affirme que le rythme de l'activité a diminué de 60%. Dans le bâtiment, la conséquence sur l'achèvement des projets est claire. «Nous sommes à un taux d'avancement de 50%, nous serions à 70% si nous n'avions pas ces difficultés», explique le chef d'entreprise, en précisant que 5 autres entreprises sont dans le même cas que lui.«J'ai dû libérer 4 équipes de travailleurs à la tâche et le rythme de mon activité a baissé de 80%». Et les difficultés se décuplent. «Les fournisseurs me harcèlent au téléphone, me traitent d'escroc. J'ai entre 10 et 12 fournisseurs et je leur doit à tous de l'argent. J'ai été obligé de signer des chèques sans provision, ce qui me place sous la menace d'une action en justice et j'ai vendu ma voiture pour pouvoir payer les travailleurs pendant la fête de l'Aïd.» L'entrepreneur passe son temps entre tenter de faire patienter les uns et obtenir de l'aide des autres. Mais sans grands succès.Créances«Je suis à découvert au niveau de ma banque. Elle pourrait me faire une avance sur facture, mais mon banquier m'a dit qu'il n'avait reçu aucune instruction dans ce sens.» Pendant ce temps, les créances s'accumulent. La crise impacte «la capacité des entreprises en tant que débiteur à honorer leurs échéances également vis-à-vis des banques», explique Nasser Hideur.Habituellement, les banques accordent des crédits d'exploitation pour aider les entreprises à prendre en charge leur problème de trésorerie. Or, quand les banques ont des problèmes de recouvrement, «elles ont tendance à ne pas renouveler les facilités aux entreprises qui ont des difficultés structurelles ou sans perspectives. La crise réduit la capacité de la banque à donner des crédits parce qu'il y a plus de prudence», dit-il.Cependant, ces banques «continueront à soutenir les entreprises qui ont des problèmes de trésorerie conjoncturelles mais disposant d'un potentiel de redressement réel afin de ne pas aggraver davantage leur situation financière et compromettre du coup leurs capacités de remboursement.En bref, il s'agit pour la banque de rechercher ce point d'équilibre entre le crédit abusif et l'interruption abusive de crédit.» Chez Alliance Assurance, les créances détenues sur les entreprises ont augmenté de 15 à 20%, selon Hassan Khelifati. Pour d'autres, elles se chiffrent à plusieurs millions de dinars. C'est le cas de l'entreprise d'Amar Moussouni, dont elles sont estimées à 20 millions de dinars.Pour le chef d'entreprise dans le secteur du bâtiment, l'enveloppe détenue sur le maître d'ouvrage s'élève à plus de 10 millions de dinars. «L'entreprise n'a perçu que la moitié de ce qui lui ait dû», confie le patron. Mais ces entreprises ne sont pas les seules.Depuis 2014, les créances du secteur bancaire ont augmenté de 12% (13% sur le secteur privé) et la part des crédits destinés en principe à couvrir les besoins de trésorerie a baissé dans leur portefeuille.«Comme les banques sont à court de ressources, elles font moins de crédit. Or, si une entreprise est face à un banquier qui réduit ses crédits de trésorerie, elle sera obligée de faire attendre ses prestataires, fournisseurs, etc., qui feront attendre les leurs, et la chaîne est bouclée», nous explique un expert dans le secteur bancaire.Baisse de l'activité, hausse des créances, endettement, les conséquences sont multiples et leur onde de choc n'épargne personne. Mais pour beaucoup d'entreprises qui détiennent des créances sur leur client, le recours à la justice est exclu. Peur de se faire des ennemis, de ne plus avoir accès aux marchés publics, d'hypothéquer l'avenir de l'entreprise, sont entre autres raisons invoquées. Seulement avec les sombres perspectives de l'année 2017 et les risques avérées d'accentuation de la crise, ces craintes pourraient vite s'estomper.
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