Toujours et
encore EL Harez. Une complication s'impose à lui.
Peut-on se reprocher de commettre une trahison lorsque la somnolence ou la
verve romanesque vous fait dire des choses à peine croyables, surtout envers
des personnes justes, droites, braves, généreuses ?
El Harez* personnage chimérique, devenu mythique est en fait
un peu partout. Derrière chaque écritoire, bureau il y en a un. Mais aussi
derrière chaque échelon d'une hiérarchie. Il se confine donc, dans cette somme
de prestation de service. Cette main-d'Å“uvre intellectuelle. Cette maîtrise
d'ouvrage. Il est, telle une déclinaison qui s'arc-boute pour accomplir des
ouvrages complexes et indéfinis. C'est à peu près un monsieur tout le monde de
la fonction publique. Quant à Nour El hakim, voire El Hakem il n'est
qu'une unité innommée qui traduit sémantiquement la sagesse et l'hardiesse d'un
responsable quel qu'il soit. Avec ses tares et ses vertus. Il est censé être le
dépositaire d'une certaine autorité peu importe le niveau où elle s'exerce.
Ainsi, si El Harez n'est forcément pas un
administrateur, un fonctionnaire ou un quelconque citoyen ; El Hakim, aussi
n'est forcément pas un wali. Il se peut qu'il se glisse dans la peau de tout
responsable. De tout commis. Ou de tout citoyen. La corrélation qui relie l'un
à l'autre est dépouillée pragmatiquement de toute spontanéité sentimentale.
Elle n'est en finalité qu'un rapport de graduation non élaboré dans les manuels
procéduriers. Ni l'un, ni l'autre n'ont une réalité qui pourrait prêter à
équivoque. Le besoin de la trame romanesque a fait que la métaphore utilisée,
étant par définition une fiction ; soit plus proche d'une vérité qui dans un sens n'existe que dans l'interprétation, parfois éclopée de
certains esprits en mal de sensationnel. L'allégorie, comme la parodie puise
justement toute sa puissance de la candeur ou de la crédulité de ceux qui
prennent la virtualité pour une réalité.
El Harez ne cessait de s'agiter sous le poids de sa couverture
en laine quasi-usée. Dehors il fait très froid. En cette saison la ville où il
vit est bien connue pour son hiver rude et rigoureux. Ce matin est un matin
comme ceux de tous les vendredis. Il est ce qu'est un dimanche maussade pour un
parisien. Le jour ne finit pas, s'allonge, s'étire et se fait dans la
grisaille.
Il refuse de voir
le jour ; préférant toujours la lumière de ses rêves. Le lit, son matelas
poreux c'est tout le règne dont il en a besoin. Le sommeil lui procure, une
fois terminé; souci et angoisse ; mais lorsqu'il s'y
trouve c'est l'extase et les délires. Un royaume. Il s'aperçoit par ailleurs
que parfois ce sommeil devient un gibet de potence, une épreuve ardue pour
entretenir les séquences noirâtres et fantomatiques qui vont se dérouler sous
ton oreiller sans que tu aies le moindre moyen pour faire des arrêts, pauses ou
les éteindre. Il se dit quand bien même que dormir c'est partir et mourir un
peu, c'est aussi se rendre rebelle à l'égard des dures réalités qu'il doit
affronter de demain. Continuer d'écrire ses vives mémoires.
Réveillé sans
façon aucune, il tend sa main vers le paquet de cigarettes, contenant encore
quelques unes parmi celles rescapées, la veille. Il en tire une, l'allume et en
tire intensément une première bouffée. Il se dit qu'il se sent mieux ainsi.
Le gobelet tenant
lieu de cendrier qui est déposé à même le sol semble lui causer des tracas car
l'obligeant à faire des efforts pour tendre son bras et finalement y déposer la
longue cendre. Il arrive malgré tout à le faire et refaire jusqu'au bout du
filtre qui, par une sensation nauséabonde lui rappelle que cette autre
cigarette est finie. Les mêmes gestes se répètent tant qu'il se trouve toujours
sous les plis disparates et émoustillants de sa couverture. Il aurait bien aimé
écrire ses mémoires tout en étant affalé sur son lit.
Il se met
directement face à ce micro, qui continue à faire apparaître en écran de veille
des poissons faisant leur glouglou. La scène vécue, hier au retour d'une visite
faite auprès de son ancien saint-patron est toujours
omniprésente dans son cerveau mille fois depuis, objet à convulsion. Il vient
tout juste de s'apercevoir que tout ce trajet s'est fait en pleine rêverie. La
journée passée n'était pas paisible ni sans grande émotion. Tous les relents
d'une colère jugée maintenant imméritée commencent par faire surface.il se dit que son instinct d'homme est allé un peu
loin. Même dans ses songes. Il s'est éloigné quand bien même d'une réalité pour
permettre à l'effroi de l'ire qui le tenait en hameçon de prendre une tangente
d'apaisement. Tout simplement il se dit, à ce réveil cauchemardesque ; qu'il
aurait dû temporiser pour asseoir définitivement tout jugement. Le courroux
aveugle bien des consciences et obstrue tout chemin vers une reconnaissance ou
une gratitude. Tout ce qu'il a marmonné hier en plein sommeil n'était en fait
que le produit d'un excès imaginatif. L'agitation de la journée, le non respect
de ses posologies médicales, l'écart du régime alimentaire ont
fait que l'homme, alourdi est devenu balourd. Lourdaud. Le rêve comme le
fantasme offre bien des chemins en dents de scie. Il fallait qu'il se rappelle
que durant la journée d'hier, il s'est vu dans la peau d'un fonctionnaire
aigri. En proie à la perception d'ingratitude dévisagée à l'égard de sa personne
par Nour El Hakim, son ego aplati et pestiféré ; il
s'est fait la promesse de dévoiler la profonde nature de son ex-parrain. Une
complication s'impose à lui. Peut-on se reprocher de commettre une trahison
lorsque la somnolence vous fait dire des choses à peine croyables, surtout
envers des personnes justes, droites, braves, généreuses ?
Evoquant Nour El Hakim, en qui toutes ces qualités se greffent, il
incrustera dans le blanc de sa page word, fraîchement
ouverte ; que s'il existe sur terre un être ingrat et oublieux c'est bien
l'inconscience individuelle. La myopie de l'âme. Que cet homme-là n'était en
fait qu'une immense générosité remplie de bienséance et d'amabilité. A repenser
ce que Morphée, ce dieu du sommeil, lui dictait en pleine nuit pluvieuse, comme
jugement sur le monsieur, il rougissait et suait à fortes gouttes. Son
tempérament est ainsi fait. Il ne peut prendre l'audace pour une description,
même dans ses illusions. Seulement le délire peut amener, écrit-il vers
l'égarement et l'hallucination. Il ne peut pas donc se garder de croire aux
mauvais tours que lui avait joués ce mauvais Dieu de Morphée. El Harez est une personne qui ne conçoit la vie que dans un
pragmatisme avéré. Certes, souvent il s'essaye à prendre l'utopie pour un état
de présence effectif, mais la réalité, esprit cartésien aidant ; le surprend à
plus d'une fois. Ainsi, dans ses aveux, ce fonctionnaire délaissé et
s'apprêtant devant les déconvenues à faire valoir ses droits à la retraite, ira
jusqu'au bout de son raisonnement. Face à son destin, il fait montre d'une
reconnaissance inégalée à son ancien patron. Les actions de ce dernier
tellement profuses et inidentifiables, se condensent en série dans sa tête. Il
se rappelle de tout. Il ne peut omettre toute l'attention dont sa femme fut
couverte lors d'un grave incident de santé qui a failli le rendre aussitôt
veuf. Sans le réconfort moral et l'assistanat de Nour
el Hakim, écrit-il, j'aurais été estropié, mutilé, abandonné.
En plus, il se
rappelle dans un état de haute vivacité d'esprit, cette fois-ci il n'est plus
sous ses draps ; que La ville sous le règne de Nour
El Hakim a pris des allures d'une métropole. Une grande métropole. Des milliers
de logements y sont construits, tous segments confondus. Du participatif au
locatif passant par le promotionnel et le personnel, le logement semble devenir
le couplet le plus entonné dans la cité. Le projet «la colombe» véritable
cosmos de civilisation, un cadre de vie, allait confondre la ville et la mouler
dans un type architectonique semblable aux normes du «Manhattan». Le tramway,
les buildings, les débarcadères, les chemins de promenade devaient, tous être
érigés sur cet espace désagricolisé qu'El Harez, y voit maintenant se faire des show-rooms et autres
garages bidon et hideux. El Hakim détient tous les records des applaudissements
qui se font dans un silence général. Il est le titulaire des droits d'auteur de
la formule LSP dans le pays. Ce wali ne cultive pas les feux de la rampe, ni se
complait à se placer sous l'éclairage public. Il agit dans la douceur et la
mesure paisible. L'on voyait en lui, écrit El Harez ;
un nouvel élan-moteur dans le développement
économique régional. Les projets sous Nour El Hakim
sont des entités vivantes. Tout est presque fini. Le complexe sportif, le
centre anticancéreux, la méga-zone à activités
multiples, le pôle universitaire, les campus, les périphériques, les
contournements ; sont venus d'un seul coup revivifier la mémoire de ce
fonctionnaire. C'est justement tout ça, de peur que ces efforts s'en aillent au
gré de l'humeur et des desiderata intuitu-personae de
certains, qui fait grincer les dents au pauvre témoin. Il a peur aussi le
pauvre, de voir cette concentration réflexive et effective dans les
réalisations gigantesques sous le sceau de ce chef partir dans les petites
envies d'un autre.
Toute une masse
d'inspiration spontanée vient l'encombrer dans son style de narration. Les
informations sur Nour El Hakim regorgent dans sa
mémoire. Il est comme un bruit percutant. Il force sans arrêt les gens à s'en
rappeler, une fois ses Å“uvres sont visibles. Ce fut un cadre d'une rectitude
irréprochable vis-à-vis de son entourage. Respectueux, bon apprenant et bel
enseignant. El Harez se souvient de tout. Il sait que
c'est grâce au travail presque de fourmi que ce chef ait pu arriver à faire,
enfin ôter la laideur qui balafrait le ciel de la ville. Cette laideur se
trouvait confinée dans l'immense bâtiment, faisant face au siège de la wilaya
sous forme de tours que le gris bétonnier et les
alvéoles défiguraient tout l'environnement. Il en fit une bataille, qu'il gagna
en deux tours et une opération. Il sut à merveille mettre son cran et sa
pugnacité pour finir avec brio, là où tous ses prédécesseurs ont pratiquement
échoué. Le sourire naturel, le charme discourant et la passion persuasive du
métier ont fait le reste. Cet immeuble à grande
hauteur qu'El Harez dénomme pompeusement IGH, est
maintenant opérationnel. Un hôtel de grand label international y a élu
domicile. Un centre commercial, des bureaux d'affaires, un musée d'art
contemporain, des galeries de peinture, des officines et autres espaces de
convivialité en font également partie. Il ne cesse de
le contempler jour et nuit. Il est l'endroit idéal du décor.
Au moment où
cette hideuse bâtisse, l'envers du décor ; était en état de carcasse, on
l'appelait «El aâli», désormais, les citadins
préfèrent en dire «la tour Nour El Hakim» estime El Harez de transcrire, tout heureux de son témoignage. Il se
lève, en quittant ce micro, juste pour aller encore approvisionner sa tasse de
café, en ce nectar enivrant lui procurant davantage d'égérie. La caféine. De la
cuisine donnant sur la rue, des voix se font entendre. Curieux par nature, il
balance son torse à moitié nu, pour s'enquérir de la provenance sonore, il
constate que ceci est l'émanation de groupes de supporters. Des fans de leur
club. L'entente. Là, sa muse augmente en densité. L'ardeur le tient et
l'efforce à regagner rapidement son déversoir d'écriture. Il y note qu'entre
cette équipe légendaire et Nour El Hakim ; il y a
presque une histoire d'amour. Ce dernier sera à toutes les occasions le
treizième joueur. A vrai dire il est l'équipe toute entière, il est également
le condensé des supporters tant son encouragement et son suivi régulier ont
permis à ce club phare national, de décrocher les plus prestigieux titres dans
le giron continental et arabe. Il ne peut s'empêcher de ne pas transcrire les
intenses moments, vécus juste avant le départ de ce monsieur, lors de la
dernière coupe. Ce fut une euphorie indescriptible. Le monde local pleurait, le
wali aussi. La joie venait de dire à son tour, combien la cité
reste redevable à un Nour El Hakim inégalable. Là, El
Harez, voit à son corps défendant, son cÅ“ur meurtri
quand il sait que cette équipe, hélas se débat dans des conjectures de basse
altitude et voilà toutes les gloires, les exploits, les prouesses, les records
qui s'avachissent au fur et à mesure de l'indifférence du chef en poste et de
son inaction lentement meurtrière. L'entente, croit-il est maintenant
orpheline. La mélancolie le gagne. Le sanglot lent, aphasique et itératif
semble inhabituellement l'étrangler.
A ce moment de
pieuse méditation d'un passé suave et agréable, la sonnerie de son domicile qui
s'est confondue bruyamment avec les cris extérieurs des fans, retentit et le
fait brusquement tressauter. Un vendredi matin, qui peut, ose-t-il dire, venir
le déranger ? Debout comme un magistrat prussien, l'huissier lui notifie une
citation directe. Une procédure d'expulsion lui est actionnée, une seconde
fois. Et par un vendredi ? Acquiesçant à la demande de l'auxiliaire de justice,
il scrute attentivement le libellé, soupire, halète, transpire et regagne son
micro.
Note :
*El Harez dans le contexte de la quacida
El marrakouchia (de El Hadj Houcine
Toulali né en 1924 à Hay Toulal, une localité de Meknès,
ville populaire rivale de l'aristocratie fassie. -
décédé le 7 décembre 1998 à Rabat) était un chanteur, un oudiste
et un pédagogue marocain) poésie unique au milieu de 72 quassidas
ou poésie du «Herraz) se réfère au gardien, cela peut
être perçu dans le texte, aussi en Afrique du Nord on trouve cette tradition
d'allez chez un Wali (plus qu'un marabout, homme éclairé et donc pas un préfet
au sens napoléonien) pour se procurer un «herz» qui est
une lettre ou ce wali écrit quelque chose. Cette lettre est pliée au point d'en
faire une surface de trois centimètre sur deux, approximativement qui est mise
sur une pochette de même taille qu'on suspend au coup. Autre traduction peut
être le cerbère. Un gardien, vigile, un surveillant général. Dans la quacida qui a fait la renommée d'El Harez
; le prisonnier on peut l'imaginer est l'amoureux et non pas son amour. Cette qacida est chantée par une dizaine de ténors du malouf. El
Hadj Gerouabi compris. (source
: www.bladi.net/forum.traduction-el-harraz)
NB/ En fait
l'histoire d'El Harez dans son rôle imagé de
fonctionnaire fait la trame du héros dans l'une des parties d'un roman en cours
d'écriture. «Le quai des fonctionnaires».Tout le fil narratif est puisé dans
cette richesse qu'offre la culture populaire dans toutes ses facettes. Il est
question aussi de drames, de rêves et de désillusions effroyables vécus
alternativement par les personnages, de surcroît cadres et fonctionnaires;
acteurs des récits que contiendra ce roman. La présomption de ressemblance avec
des personnes ou entités reprises, actant les péripéties de l'itinéraire
littéraire n'est pas incidemment dénuée de lien effectif. Toute similitude ne
sera donc pas en toute évidence une pure coïncidence. La fiction comme la
réalité tiennent lieu de canevas de travail. Le reste n'est que le produit de
l'expression d'une sensation, d'un sentiment ou d'une inspiration.
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Posté Le : 22/09/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Yazid Dib
Source : www.lequotidien-oran.com