Quel est le bilan d'un des premiers
investissements directs étrangers en Algérie, celui de la cession du complexe
sidérurgique d'El Hadjar à ArcelorMittal. Globalement négatif affirme le
syndicaliste Smaïn Koudria, globalement positif, rétorque Daniel Atlan, le Drh
de l'entreprise. Entretiens croisés.
Le secrétaire général du syndicat
d'ArcelorMittal Annaba, Smaïn Kouadria, dresse un bilan assez mitigé de
l'accord signé par l'État algérien et IPSAT en 2001. Par là même, il réclame le
respect des engagements devant être tenus par la direction du complexe.
Smaïn Kouadria, secrétaire général du
syndicat d'ArcelorMittal Annaba, à Maghreb Émergent«Il est temps d'envisager
un accord de partenariat à 51%-49%»
Un rappel des dernières revendications de
la partie syndicale ?
Au mois de mai dernier, la fédération des
travailleurs de la métallurgie, de la mécanique, de l'électrique et de
l'électronique a négocié un avenant à la convention de branche et ce dans le
cadre des dispositions arrêtées par la Tripartite. Cet avenant porte
principalement sur l'augmentation de 13% à 20% des salaires et sur la révision
des régimes indemnitaires. Un taux d'augmentation légitime, puisque
l'entreprise génère d'intéressants bénéfices. La plateforme transmise à
l'employeur pour l'alignement, n'a pas été retenue par la direction d'Arcelor
Mittal. Tous les moyens de dialogue utilisés se sont révélés vains. Les raisons
: les dispositions du cadre juridique et l'espace constitutionnel de la
Tripartite, dont un représentant du patronat y est évidemment présent, n'ont
pas été reconnues et ni mises en application par la direction d'ArcelorMittal.
Cette situation de blocage a abouti à la grève du mois de juin.
Depuis l'ouverture du capital du complexe
d'El Hadjar à ArcelorMittal en 2001, le taux de rendement du complexe et le
ratio employé/ quantité d'acier produit a-t-il augmenté par rapport aux autres
filiales du groupe ?
Depuis la signature d'un pacte avec le patronat au mois de juillet
2009 relatif à la moralisation, à l'éthique, à plus de transparence dans les
transactions et à la mise en place de mécanisme de motivation pour améliorer la
production et instaurer plus de rigueur au travail, tous les paramètres qui
étaient au rouge sont passés au vert. Le bilan dressé tout récemment indique
effectivement une amélioration de la productivité. Les dépenses de l'entreprise
ont diminué de 50%. La mise au mil s'est grandement améliorée. Les ventes ont
augmenté. Les accidents de travail ont diminué. Au mois de juillet 2009 le
ratio employé/quantité d'acier produit était de 73 tonnes d'acier par agent.
Cette année, il est de 114 tonnes d'acier. Ce sont des indicateurs qui
confirment donc une croissance soutenue des activités de l'entreprise depuis 1
an et par conséquent la qualité et les capacités des travailleurs algériens qui
y exercent.
Est-ce qu'ArcelorMittal a les moyens
d'augmenter les salaires? Les réductions d'effectifs depuis 2001
reflètent-elles une stratégie de management d'ArcelorMittal. Quelle est la
position du syndicat ?
Lors des conclusions de l'accord de partenariat avec ISPAT
(l'ancienne appellation d'Arcelor Mittal) en octobre 2001, nous étions environ
12 000 travailleurs. Dans cet accord de partenariat, l'investisseur Mittal
s'était engagé à maintenir les effectifs et même à en créer. Au terme de 9
années d'activité, nous sommes aujourd'hui environ 6000 employés et aucun poste
de travail n'a été créé. De même, l'objectif d'atteindre une production de 1,5
million de tonnes d'acier par an durant les 5 premières années ne s'est pas
encore concrétisé. Aujourd'hui, nous en sommes à seulement 1,1 millions. De
plus, le programme d'investissement qu'ISPAT s'est engagé à réaliser, n'a
jamais été respecté. Sur les 175 millions de dollars d'investissement promis, à
peine une centaine de millions a été mobilisée. La validité de la convention
prend fin en 2011 et tous les engagements signés par ISPAT en 2001 n'ont pas
été respectés. Pour ne prendre que l'augmentation des salaires, Arcelor Mittal
a largement les moyens aujourd'hui d'honorer ses engagements. Les avantages
fiscaux et parafiscaux, les facilitées accordées à l'investisseur par les
pouvoirs publics, notamment à travers les bas coûts des lubrifiants, des
huiles, de l'électricité, de l'eau, et la priorité au niveau du port,
permettent à l'entreprise d'engranger d'importants bénéfices De même, les
niveaux de salaires entre un salarié algérien et un salarié européen n'est en
rien comparable. Un aciériste algérien perçoit un salaire mensuel d'environs
400 euros. Son confrère français gagne environ 3000 euros le mois. C'est donc
une main-d'Å“uvre quasi gratuite, et si vous ajoutez à cela tous les avantages
précités ainsi que le manque d'investissement, on peut mesurer l'ampleur des
avantages qu'Arcelor Mittal tire de cette situation, à tous égards privilégiée.
Le rendement du complexe est-il
comparable à celui des autres filiales d'ArcelorMittal des autres pays ?
Sans aucun doute, il est comparable dans
la mesure où l'on prend en compte tous les éléments de facilité que j'ai cité :
les faibles salaires, le niveau de production atteint, les mesures
d'accompagnement que l'État a mis à disposition à l'investisseur…. Je peux
affirmer que le rendement est presque comparable à ceux des autres filiales
d'Arcelor Mittal en Europe, spécialement celles d'Europe de l'Est - la Pologne,
la Tchéquie, la Roumanie - où le rendement est moindre que celui de Annaba.
Est-ce que le retour à l'actionnaire
majoritaire Sider peut être envisageable ?
Si on effectue une brève rétrospective
des conditions dans lesquelles le complexe a été cédé, les discussions qui ont
débuté en 1997, juste après l'application du plan d'ajustement structurel
recommandée par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale
(BM), les pouvoirs publics ont négocié en position de faiblesse dans un
contexte qui n'était pas favorable. Ils ont donc cédé le capital majoritaire à
ISPAT, à 70%, et l'État ne possède que 30%. Si on établit le bilan des 9
dernières années, presque 10, on constate que l'État régulateur économique
durant toute cette période a été absent. D'ailleurs la représentation des
pouvoirs publics au niveau du Conseil d'Administration ne pèse pas d'un grand
poids sur la marche des affaires de l'entreprise. Les deux administrateurs qui
y siègent font quelque peu figure d'observateurs seulement. De plus, au niveau
des compétences professionnelles, l'apport ArcelorMittal est mince et n'a rien
ramené de bien concret. L'usine tourne grâce au savoir-faire algérien. La
main-d'Å“uvre et l'encadrement sont algériens. Il n'y a qu'une vingtaine de
cadres étrangers qui gèrent des portefeuilles plus sensibles, finances,
ressources humaines. Je crois qu'il est temps que l'État renégocie cette
formule. Il faut qu'il ait un droit de regard sur la gestion de cette
entreprise. Du moins, revoir la proportion du capital et la situer à 51%-49%.
Le Directeur des Ressources humaines
(DRH), Daniel Atlan, principal interlocuteur dans les discussions avec la
partie syndicale, répond aux inquiétudes de Smaïn Kouadria quant à l'avenir du
complexe d'El Hadjar.
Daniel Atlan, Directeur des Ressources
humaines (DRH) d'ArcelorMittal Annaba, à Maghreb Émergent «Une spécialisation du
complexe n'est pas à considérer»
Comment situez-vous le rendement
d'Arcelor Mittal par rapport aux autres filiales du groupe ?
Par rapport aux autres filiales du
groupe, le complexe d'Annaba est peu productif. On recense des complexes où la
production d'acier est plus importante avec un nombre d'effectif moindre. Pour
ne prendre que l'exemple de l'usine d'ArcelorMittal à Dunkerque, en France,
avec moins de 5000 salariés, la production atteint près de 7 millions de tonnes
d'acier par an. Au complexe d'El Hadjar, le ratio ouvrier/tonne d'acier produit
s'est grandement dégradé à partir de 2007-2008, où le ratio a atteint 70 tonnes
d'acier produit par personne et par an. Néanmoins, depuis l'été 2009, le
rendement a augmenté jusqu'à atteindre les 120 tonnes d'acier produit. Ceci
grâce entre autres, à un meilleur rendement des travailleurs, favorisé par une
politique de maintenance et une politique sociale plus valorisante. La
direction d'Arcelor Mittal a mis de l'argent sur la table et a augmenté les
salaires de base des employés de près de 15% depuis le mois de juillet 2009, et
d'ici 1 an, on prévoit d'atteindre 20% d'augmentation.
La partie syndicale déplore que la
direction n'ait pas respecté toutes les clauses de l'accord signé par ISPAT en
2001. Qu'est- ce que vous leur répondez ?
Dans l'ensemble, je pense que les deux
parties ont respecté la lettre, sinon l'esprit de l'accord. Dans ce type
d'accord, on ne peut prédire par exemple l'importante explosion du marché
mondial de l'acier entre 2001 et 2006 et son effondrement en 2008. Des
conjonctures qui forcent évidemment à une réorientation de la stratégie de
développement et de production de nos structures. Concernant les clauses sur
l'emploi, si l'on se pose la question de savoir si la direction a fait baisser
les effectifs autrement que par des départs naturels dans la période de 4 ans à
laquelle Arcelor s'était engagé, la réponse est non. Je rappelle que la clause
portait sur un maintien de 4 ans. Un accord se réalise dans la durée. Cet
accord a été conclu sur 10 ans. Il faut avoir deux choses à l'esprit. Ce n'est
pas parce que l'accord prend fin que l'entreprise s'arrête. Je pense que,
globalement, ce type d'accord, quand je le compare à d'autres, a été à peu près
assez bien respecté par rapport à d'autres endroits.
Le contrat signé avec l'État algérien
arrive à son terme – en 2011 – quel bilan faites-vous de ce partenariat ?
Il ne faut pas oublier la raison pour
laquelle l'État algérien a cherché un partenaire, c'est parce que sans ce
partenaire, l'entreprise était condamnée. Aujourd'hui, le complexe d'El Hadjar
vit toujours. Évidemment, on n'a pas fait tout ce qu'on aurait pu faire. Les
objectifs fixés n'ont pas tous été atteints. Néanmoins, l'entreprise tourne
toujours. Le complexe est un investissement raisonnable pour ArcelorMittal. Ce
n'est pas l'un des meilleurs, mais pas non plus un mauvais. On investit aussi
parce qu'on escompte des retours qui ne sont pas forcément à court terme. Ce
qui m'intéresse c'est de se poser les questions suivantes : l'entreprise
continue-t-elle? Oui. Est-ce qu'elle est viable? Oui. Est-ce que l'entreprise
peut s'améliorer? Oui. Si l'on répond favorablement à toutes ces questions,
alors l'investissement a été stratégique. Pour ma part, j'estime profitable
l'acquisition d'El Hadjar. Autant on pouvait être inquiet en 2007, 2008, début
2009 de l'avenir du complexe, autant, aujourd'hui, on peut être optimiste grâce
notamment aux performances enregistrées cette dernière année. Ce qui est
important pour une entreprise comme la nôtre, c'est la productivité en tonnes/
personne/an. On remarque que depuis 2009, on connaît de réels progrès. Passer
de 70 à 120 tonnes par ouvrier par an, c'est un bon rendement. Un deuxième
indice de progrès, c'est le taux de fréquence des accidents de travail qui a
diminué passant de 18% à 3% aujourd'hui. Il y a un certain nombre d'indices
très positifs.
Comment ArcelorMittal entrevoit l'avenir
du complexe El Hadjar? Est-ce qu'il y aura spécialisation du complexe? Est-ce
que vous prévoyez conquérir d'autres marchés ?
Non ! Il y a des créneaux qui doivent tenir compte des besoins du
marché. Aujourd'hui on essaie de produire des produits longs pour répondre au
besoin du marché algérien dans le secteur du bâtiment, notamment. C'est un gros
marché. De même que pour les produits plats. On ne peut affirmer aujourd'hui
avec certitude qu'il y aura spécialisation ou déspécialisation d'El Hadjar.
Notre priorité à nous est de satisfaire nos clients. C'est la clef du business.
Normalement, le marché d'El Hadjar devrait comprendre les pays bordant la
Méditerranée. Aujourd'hui, on est dans un marché – les produits longs, en
particulier – qui est très sur-capacitaire. Si l'on prend le cas de l'Espagne,
Arcelor Mittal en Espagne a une capacité de production de 6 millions de tonnes.
Actuellement, on ne produit que 2 millions de tonnes. Ça veut donc dire qu'il y
a 4 millions de tonnes de capacité de production en Espagne qui ne tourne pas.
Vous imaginez bien qu'exporter depuis Annaba dans ces conditions-là, c'est
difficile. À l'échelle maghrébine, je rappelle qu'ArcelorMittal est présent en
Algérie et au Maroc. Il nous faut trouver des clients. En ce moment, nous
sommes en train de prospecter le marché tunisien. En terme logistique, c'est
plus intéressant pour le complexe d'El Hadjar.
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Posté Le : 31/08/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Hanafi Tessa
Source : www.lequotidien-oran.com