La conciergerie du temps
Quel paradoxe ! Ceux qui prétendent vivre sont prompts à baisser la garde au premier round. « Seul le temps, affirment-ils, nous fait périr. » Jardin d?acclimatation ou conciergerie de l?histoire, le temps se révèle juste et malléable à plaisir. Il ne fait pas peur, sauf aux yeux de quiconque se mettrait à vivre pour ne pas vivre. Plutôt que de scruter l?horizon marin d?où surgirait, un jour, son époux, Pénélope se regarde avec sagesse et malice à la fois. La fidélité conjugale, dont on a trop devisé à son propos dans la littérature universelle, est reléguée, indirectement, au second plan. Ce ne sont pas les convoitises de quelques princes opportunistes qui la chagrinent, chacun d?eux désirant l?épouser et s?emparer du trône d?Ithaque, mais, c?est le temps qui s?avère être son grand ennemi. C?est pourquoi, elle décide de lui livrer bataille. Défaisant donc, de nuit, son ouvrage, tissé de jour, elle fait transformer la durée en trames croisées avec des chaînes. Pour elle, le temps n?est plus un passé lié au présent, mais, bien quelque chose de palpable à travers les fils de son ouvrage. Shéhérazade, la grande narratrice des Mille et Une Nuits, sait par avance que le temps, si gargantuesque soit-il, peut être rappelé à l?ordre pour peu qu?elle se donne la peine de choisir ses armes et le lieu de combat. Elle n?est pas là uniquement pour préserver la gent féminine de la domination des mâles. Sa mission est beaucoup plus grande et attrayante à la fois. Venant d?une civilisation basée principalement sur la puissance du verbe, elle rassemble, non seulement son courage, mais aussi tout le savoir de cette civilisation. A travers elle, une des protagonistes des Mille et Une Nuits déclare avoir étudié toutes les sciences de son temps. Pour contrer ce dictateur appelé Shahriar, elle se barricade donc derrière la parole proprement dite, devinant l?effet cathartique de celle-ci sur celui qui menace de l?exécuter au lever du soleil. Ce faisant, elle reprend attache avec Eve, cette femme qui fut la première à comprendre le pouvoir de la parole aux premiers moments de la création en livrant à Adam le secret de l?arbre interdit. De ce fait, Shéhérazade est, sans exagérer, la plus grande improvisatrice de tous les temps. On ne décide pas, du jour au lendemain, de faire un saut dans l?inconnu sans être préalablement bien armé. A bien méditer son cas, son arme absolue ne serait donc que cette puissance d?improvisation verbale. Ce n?est pas une Cassandre pleurant sur les remparts de Troie, encore moins une des Troyennes sur le point d?être livrée aux conquérants grecs, mais une femme d?esprit avant tout, donc, en mesure de changer effectivement le cours de sa vie et celui des autres femmes, ne serait-ce que dans le monde de l?imaginaire. Si le temps se montre subjectif aux yeux des hommes de lettres, il se plaît à être objectif chez les hommes de science, tout particulièrement chez les physiciens. De part et d?autre, on sait, par intuition et par expérience, que le temps, tout en changeant, reste égal à lui-même, c?est-à dire, se pliant aux exigences de tous les penchants de l?homme. En fait, il change au gré du danger, se mettant en cela en accord avec quiconque voudrait se mettre en bon négoce avec lui. Marcel Proust, dans A la recherche du temps perdu, s?avère un grand dribbleur. Karl Marx, dans le Capital, brise le dos du temps en ramenant les différents énoncés de l?histoire humaine à quelques étapes qu?il faut brûler à tout prix. Quant à Albert Einstein, il va jusqu?à nous donner l?illusion qu?il serait possible à l?homme de voyager dans les deux sens de l?histoire : le passé et le présent.
Posté Le : 05/07/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Merzac Bagtache
Source : www.elwatan.com