Beaucoup
d'estivants qui flânent en ce mois de juin 2010 à Sidi Fredj, ne peuvent
s'imaginer que ces lieux, rendus exubérants par le rush estival, ont une
mémoire historique à l'épreuve du temps. Y aurait-il des curieux parmi ceux qui
fréquentent le théâtre de verdure du Casif, pour demander à quoi aurait pu
servir ce fort ?
Il est vrai aussi
que les nouvelles générations, non au fait de la longue nuit coloniale, ne
nourrissent aucune rancÅ“ur revancharde à l'égard de l'occupation armée de leur
pays. Et par conséquent, elles cherchent à «oublier». Elles veulent vivre, sans
revenir toujours aux guerres qu'a eu à mener leur ascendance. Elles ne savent
pas qu'à celle-ci, il n'a été imposé que la guerre. Cette nonchalance à la
limite de l'indifférence a fait que, maintenant, non seulement on profane
l'emblème national par autodafé, mais on pousse l'injure jusqu'à arborer, sous
l'emprise de la colère, le drapeau tricolore.(1) Pur hasard ou ironie de
l'histoire, le quartier où a lieu le départ de feu s'appelle encore le quartier
de la SAS (Section administrative spécialisée) de sinistre mémoire. De l'autre
côté de la Méditerranée et au même moment, un jeune Algérien est molesté par la
police pour avoir insulté Nicolas Sarkozy en visite nocturne en
Seine-Saint-Denis. Il arborait un drapeau algérien maculé de sang.(2) Cette
page douloureuse n'est pas encore prête pour être définitivement tournée.
Les rivalités
historiques, moins passionnelles, certes, qu'au début de la rupture, persistent
et se transmettent de génération en génération. La cause première remonte, bien
sûr, à ce fatidique 14 juin 1830, où le général Louis Marie Eugène de Bourmont
et consorts foulaient avec violence le sol algérien. Ce fade général, qui
méritait «le bâton» selon la satire du «Figaro» de l'époque, a eu
malheureusement celui de maréchal en offrant à la France chancelante tout un
empire. Et c'est justement à Sidi Ferruch, encore, alors que le pays venait à
peine de recouvrer son indépendance, que le Mémorial de la colonisation en
pièces quittait discrètement l'Algérie le 21 juillet 1962. La France guerrière
sortait symboliquement par la porte d'entrée. Soumise à la vindicte populaire,
la stèle fut déboulonnée nuitamment et pour faire vite, on fit intervenir un
commando parachutiste pour sauver ce qui pouvait l'être. Le commando Guillaume
livrait son baroud d'honneur, le 4 juillet 1962, en faisant exploser le
Mémorial de la colonisation. Retour sur les évènements :
«L'oeuvre d'Emile Gaudissart érigée en
Algérie pour y célébrer le centenaire de la présence française, échappe de
justesse à la démolition par les fellaghas, les 4 et 5 juillet 62, est récupérée
en catastrophe lors d'une opération commando montée par des officiers du 3ème
RPIMa (3) et du commando Guillaume, est ensuite ramenée en France par le 3
(rpima) le 21 juillet, puis «oubliée» dans les sous-sols de l'école de St
Maixent jusqu'en 1986.»... «Le marbrier Raymond Berges de Perpignan est chargé
de restaurer et de remonter l'ensemble. La nouvelle stèle qui représente deux
femmes (la France et l'Algérie) est réimplantée le 14 juin 1988 sur le
terre-plein de la redoute Bear.».... «Inaugurée à l'origine, le 5 mai 1930, par
le président de la République Gaston Doumergue, elle mesurait 15 mètres, elle
se composait d'un bas-relief symbolisant sous les traits de deux femmes,
l'union de l'Algérie à la France. L'inscription qui y figure est la reprise du
texte gravé par Latour à l'entrée du fort de Sidi-Ferruch:
«Ici le 14 juin
1830 - par ordre du Roi Charles X sous le comm. du G. de Bourmont-, l'armée
française vint arborer ses drapeaux, rendre la liberté aux mers, donner
l'Algérie à la France». On y ajoutait : «Cent ans après, la République
française ayant donné à ce pays la prospérité, l'Algérie reconnaissante adresse
à la mère patrie l'hommage de son impérissable attachement» (Extrait des
tablettes du général Lemée lors de la cérémonie commémorative du 14 juin 1996).
Voilà une nation,
déboutée d'un territoire qu'elle n'aura occupé que par le glaive, qui honore
ses militaires et ses colons, en s'attachant à un amas de marbre. Il lui était
loisible d'ériger une fidèle réplique du mémorial, mais elle a préféré les
restes symboliques d'une occupation coloniale inique, qu'elle ne compte pas
encore abjurer par la repentance. Que de sanctuaires et de lieux historiques
foulons-nous au pied, sans qu'une seule fibre de notre ego ne tressaille.
Sommes-nous apatrides ou indignes de ce pays ? La France des Lumières a mené, tout
au long de sa présence en Algérie, une guerre sans merci à la population.
Population dont les chefs n'ont fréquenté aucune école de guerre.
Il s'agirait du
premier usage, d'une guerre non conventionnelle, fait par une armée régulière.
Les généraux, Bugeaud, Pélissier, Cavaignac, de Saint Arnaud, chefs de la
redoutable Armée d'Afrique voulaient vite en finir. Ils eurent recours au
pogrom par l'enfumade, dont l'utilisation consacrait son irruption lexicale
dans l'encyclopédie. Le général Thomas-Robert Bugeaud, pensant en finir avec
les partisans de l'Emir Abdelkader trop nombreux dans la région d'Orléansville
(Al Asnam), suggère par cette phrase fatidique : «Si ces gredins se retirent
dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Enfumez-les à outrance comme
des renards.». Instruisant ses subalternes sans ambages, il ne tolérait pas
seulement les massacres mais les suggérait de manière péremptoire. Les
enfumades, dont il faisait référence, remontaient au 11 juin 1845. Par ce
génocide, le colonel Louis Eugène Cavaignac (4) faisait des émules parmi ses
pairs. Ainsi, les chefs de régiments et de bataillons s'en donnèrent à cÅ“ur
joie pour exaucer les recommandations de leur chef suprême. Ne voulant
certainement pas être en reste, le colonel Aimable Jean Jacques Pélissier duc
de Malakoff, on aura remarqué que le cynique euphémisme du prénom n'aura pas
empêché les massacres du Dahra, qu'il dirigera, lui-même, le 18 juin 1845.
Hadj M'hamed El
Anka savait-il que le célèbre café qu'il fréquentait tirait sa dénomination de
la rue baptisée, jadis, du nom de ce sanguinaire? Tout comme à Dely Brahim, où
le duc des Cars ne semble pas avoir quitté le pays. De bien visibles plaques de
signalisation indiquent la direction de la pinède qui porte jusqu'à ce jour son
nom. Haut lieu de la résistance à l'occupation et premier village de
colonisation, Dely Brahim (précédemment haouch Brahim) a fait payer au maréchal
de Bourmont son aventurisme en lui ravissant, par la mort au combat, le
lieutenant Amédée, son propre fils.(5). Il en est de même pour l'ingénieur du
génie du royaume, spécialiste des fortifications, Sébastien de Preste de Vauban
qui nous dispute jusqu'à aujourd'hui les hauteurs à Hussein Dey.
Un soldat écrit, à propos du pogrom du Dahra:
«Les grottes sont immenses; on a compté 760 cadavres; une soixantaine
d'individus seulement sont sortis, aux trois quart morts; quarante n'ont pu
survivre; dix sont à l'ambulance, dangereusement malades; les dix derniers, qui
peuvent se traîner encore, ont été mis en liberté pour retourner dans leurs
tribus; ils n'ont plus qu'à pleurer sur des ruines.» (6) Pour se donner bonne
conscience, le sinistre colonel part de cet alibi, le moins qu'en puisse en
dire, était des plus fallacieux. «La peau d'un seul de mes tambours avait plus de
prix que la vie de tous ces misérables.» Dans leur folie meurtrière, les
colonels de salon se passaient la main pour massacrer du Barbaresque. Ils
pensaient débarrasser la chrétienté de la «vermine» impie. Le général Armand
Jacques Achille Leroy de Saint-Arnaud se construisait un piédestal de gloire en
transformant, le 12 août 1845, les grottes de Ténès «en un vaste cimetière»,
«cinq cents brigands» y furent enterrés. Il n'est nul besoin de dire que les
chiffres avancés à l'époque ne pouvaient être qu'en deçà de la réalité. Les
massacres perpétrés après l'invasion du pays faisaint chuter les chiffres de la
population d'alors de 3.700.000 individus à 2.100.000. La volonté de
l'épuration ethnique n'était même pas voilée.
Interpellé par la Chambre des Pairs
«indignée» par les enfumades du Dahra, le général Bugeaud eut ces mots lourds
de sens pour l'avenir colonial de l'Algérie : «Et moi, je considère que le
respect des règles humanitaires fera que la guerre en Afrique risque de se
prolonger indéfiniment». A elles seules, les enfumades ont généré des centaines
d'Oradour-sur-Glane, où lors de la Seconde Guerre mondiale, une centaine de
victimes périrent dans une église. L'épitaphe rappelle pour le souvenir : «Afin
que nul n'oublie». Quant à M. Kouchner, tout comme Ben Gourion, il attend que
les vieux disparaissent pour que les jeunes oublient.
Un siècle après les enfumades, presque jour
pour jour, on remet çà à Sétif, Kherrata et Guelma. Charles de Gaulle qui
venait, avec l'aide des Alliés, de libérer la France des griffes du nazisme,
fait donner de la grenaille aux «loqueteux» qui ont osé réclamer une part de la
liberté chèrement reconquise par l'humanité. Le général Raymond Duval, chargé
de la sale besogne, pilonne la région de Sétif par deux croiseurs qui mouillaient
dans la baie de Bougie (Bejaia). Huit cents obus sont ainsi catapultés sur une
armée fantôme. Décidément, depuis de Bourmont, on faisait faire à une armée
régulière une guerre à tout un peuple. Les milices, inspirées par leurs
prédécesseurs au Dahra, réinventaient la crémation nazie en utilisant les fours
à chaux d'Héliopolis pour faire disparaître les cadavres, trop nombreux pour
être enterrés. De grandes colonnes de fumée grisâtre montaient au ciel, l'odeur
de chair humaine brûlée imprégnait les lieux. Vous pouvez, toujours, glorifier
votre colonisation, M. Lemée, mais rien n'y fera, vous resterez toujours honnis
par l'Histoire. Votre sublimation des bienfaits du colonialisme a fait, à
jamais, long feu.
Ref/documentaires:
(1) La Tribune on
line du 23 /6/201 «Emeutes de Sidi Salem».
(2) Le Monde.fr
du 25 /6/2010 «Seine-Saint- Denis: Un journaliste aurait été giflé par
l'escorte de Sarkozy.
(3) «Site
commando Guillaume» 3e Régiment parachutiste d'infanterie de marine.
(4) Cavaignac :ce
triste sire prête toujours son nom à une pharmacie d'Alger-centre en dépit de
la rebaptisation déjà lointaine de la rue.
(5)
http://alger-roi.fr/alger/dely_ibrahim
(6) Wikipédia -
«Enfumades du Dahra»
-
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Posté Le : 01/07/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Farouk Zahi
Source : www.lequotidien-oran.com