Algérie

La colère des associations féminines


La colère est grande au sein des associations féminines algériennes. Le terrible drame dont ont été victimes neuf enseignantes à Bordj-Badji-Mokhtar révolte, ravive de vieux souvenirs et fait surtout craindre le pire en cas de non-prise en charge réelle des causes l'ayant induit...Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Au-delà des conséquences humaines incommensurables, de l'effroi provoqué par la multiplication des actes de violence contre les femmes, une autre problématique se pose, cependant, aujourd'hui, celle de la prise en charge des enseignantes dans ces régions reculées du pays. Faut-il cesser de dépêcher des femmes dans des localités isolées ' Doivent-elles, au contraire, désormais travailler et loger dans des habitations placées sous haute protection ' Le fait de soulever ces questions suscite, toutefois, la réprobation de la majorité des représentantes d'associations féminines contactées sur le sujet et qui pensent que la solution ne peut en réalité venir que des pouvoirs publics et de l'application stricte des lois principales existant dans la législation. Mme Fadéla Chitour, présidente du réseau Wassila, commence par expliquer ce qu'il en est. « Il y a, nous dit-elle, une répétition de ces actes, non pas sur des mois, sur des décennies. Hassi Messaoud 2001, Bordj-Badji-Mokhtar 2021, cela prouve que rien n'a changé et que ce n'est pas avec des mesures conjoncturelles que le problème de fond sera réglé. Vingt années séparent ces deux évènements. Pour avoir vécu et accompagné les victimes de Hassi Messaoud, je peux l'attester.
Il y a eu trois cents assaillants pour une vingtaine de femmes. Ces dernières ont été tellement travaillées , dissuadées par un étau familial et sociétal de ne pas aller plus loin dans leur action en justice qu'en fin de compte, il n'en restait que trois plaignantes. C'est pour cela que nous n'avons eu de cesse de répéter qu'il faut aborder les problèmes de fond. Ce n'est pas parce que l'on nous a présenté un agenda que le problème sera réglé .»
Wassila Chitour émet des craintes, celles de voir le scénario de Hassi Messaoud se reproduire. « Il est très probable que ces victimes de Bordj-Badji-Mokhtar soient travaillées au corps, les circonvenir, elles aussi, pour ne pas aller très loin dans leur plainte, se retirer de l'enseignement, elles s'interdiront de liberté car ce qui s'est passé est très grave, poursuit-elle.
C'est pourquoi je dis qu'il ne faut pas poser de questions aujourd'hui sur des mesurettes, des précautions à prendre et qui ne seraient, en fait, que la confirmation que les problèmes qui se posent sont ceux de l'égalité entre homme et femme. Il faut que des positions franches soient exprimées par l'Etat, la société ; or, tout ce que l'on montre, c'est le courage de ces femmes d'aller aussi loin enseigner, se regrouper sans hommes dans des régions isolées et sensibles. Ce qui a motivé les agresseurs, c'est ce courage. C'est par le ministère de l'Education qu'elles ont abouti là-bas. A-t-on entendu des déclarations franches posant le problème comme il se doit '
Les victimes de Hassi Messaoud se sont retrouvées dans cette région car elles n'avaient pas trouvé de travail. On les a également punies pour cela. Avant l'expédition punitive, il y a eu des prêches les stigmatisant car elles vivaient sans regard masculin, sans tuteur et par définition suspectes car elles transgressaient les traditions, les règles de la société, il fallait les punir. Sur vingt femmes agressées, seules trois sont allées jusqu'au bout de leur plainte. On leur a demandé de pardonner avec la bénédiction d'un imam dans la mosquée. On a dit à celle qui avait été enterrée vivante qu'il fallait avoir de la peine pour les agresseurs. Et les commanditaires, où sont-ils ' Je crains que le drame de Bordj-Badji-Mokhtar se termine de la même manière, c'est pourquoi je pense que les actions doivent être radicales .»
La solution : « Appliquer la Constitution, supprimer ce code de la famille. Ces femmes ont été menacées, elles sont allées le dire, annoncer ce qui allait arriver. Qui a pris cela au sérieux, qui a pris cette inquiétude en charge, qui a bougé ' Il y a plus grave, un brouillage d'informations qui ne nous permet pas de savoir ce qui s'est passé après ce drame. Ont-elles été transférées dans un hôpital adéquat ' Bénéficient-elles d'une prise en charge qui ira sur le long terme ' Cette opacité est une carte, nous risquons d'être devancés par toutes ces forces qui font qu'un drame comme celui de Bordj-Badji-Mokhtar ait eu lieu .» La présidente du Centre d'information et de documentation sur les droits des femmes et des enfants (Cidef) appelle, elle, les pouvoirs publics à « assumer leurs responsabilités ». « S'ils ne veulent pas être décrédibilisés, il faut qu'ils prennent en charge très sérieusement le problème », déclare Nadia Aït Zaï. « Il n'est pas question qu'elles quittent leur travail, c'est leur droit strict. A présent, lorsqu'on envoie des personnes travailler aussi loin au centre-ville et dans des régions aussi sensibles, cela nécessite une surveillance.»
Elle s'élève contre tous « ces propos entendus sur l'honneur de ces femmes. On dit que ce sont des femmes d'honneur, c'est bien, mais cela veut dire que des pressions seront certainement exercées par les familles, la société pour qu'il n'y ait pas dépôt de plainte. On a vu d'ailleurs que c'est le procureur qui s'est autosaisi et personne n'a parlé de plainte des victimes. Si ces femmes ne déposent pas plainte ou retirent leurs plaintes, ce sera grave, elles ne seront plus en sécurité et nous non plus, on sera attaquées n'importe où. Ce que l'on ne doit pas oublier est que les femmes sont électrices, on les attaque et on leur demande d'aller voter, ce n'est pas normal, les droits sont indivisibles. Je le redis, quand on envoie des femmes aussi loin, il faut assurer leur protection et les ramener au moins au centre-ville où il y a un semblant de protection ».
Chrifa Kheddar, présidente d'une association de victimes du terrorisme et figure dans le mouvement féminin, met le doigt sur la « clause du pardon contenue dans les textes censés protéger les femmes ». « C'est un texte qui prône à la fois la protection des femmes mais qui porte également sur le pardon que peut offrir la victime à son agresseur. Tout l'enjeu est là, c'est une clause qui porte beaucoup de torts et empêche une avancée réelle des droits de la femme dans notre société. Il faut être sévère avec les agresseurs, or, les autorités maintiennent un jeu d'équilibre entre les victimes et leurs bourreaux. L'urgence aujourd'hui est que les autorités aient un discours clair sur la question et une prise en charge réelle, les enseignantes de cette localité doivent être éloignées dans des structures surveillées, dans des zones urbaines également. Mais au-delà de ce problème de fond, on voulait faire fuir ces enseignantes et c'est une raison pour laquelle nous ne voulons pas voir le débat se diriger vers l'honneur de ces femmes, car cela reviendrait à dire que des femmes qualifiées autrement peuvent être châtiées, non, elles ont également droit à la sécurité et à la protection. Vingt-et-une femmes ont été assassinées cette année dans la sphère privée, le drame s'élargit à la sphère publique .»
A. C.
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