Algérie

La classe des traminots



Il fut un temps où le terme traminot avait un prestige que l'on ne peut imaginer aujourd'hui. Mon grand-père en était un. A mon jeune oncle, Iddir, et à moi, il nous a longuement raconté l'épopée des tramways algérois. Un jour il nous fit la surprise de nous montrer, au fond du garage Ghermoul, une rame de tramway qui doit s'y trouver encore avec sa plate-forme arrière et sa cloche de cuivre. Il y eut ensuite l'époque des bus et la naissance de la RSTA (Régie syndicale des transports algérois). Mais comme l'essence coûtait cher, on avait opté pour la solution électrique avec les trolleys et leurs bras courant le long de câbles électrifiés tendus au-dessus des rues. Et c'est avec les trolleys que nous avons connu l'indépendance, passé encore quelques années avec eux avant que l'idéologie pétrolière ne mette fin à leur carrière. Un de mes plus beaux souvenirs d'enfance est celui de mon grand-père nous emmenant, Iddir et moi, dans ses brigades. Il était receveur alors et nous nous battions pour nous tenir dans la cabine, sur ses genoux, la chéchia stamboul aux lettres de cuivre RSTA qui nous arrivait jusqu'au nez, pour actionner la manivelle d'oblitération des tickets à la grande joie des passagers. Cette chéchia était l'honneur des traminots d'Alger et grand-père nous avait raconté qu'une grève avait eu lieu lorsque la direction avait voulu imposer la casquette roumia. Bien qu'ottomane à l'origine, elle était la marque de leur algérianité, le couvre-chef de leur dignité. Plus tard, grand-père a été affecté à la brigade des convoyeurs de fonds. Une 403 noire, costume noir, chemise blanche et cravate noire, ils passaient dans les terminus récolter l'argent que déposaient les receveurs de bus. Ils avaient des sacoches de gros cuir noir gravées au sigle de la RSTA et reliées à leurs poignets par une chaîne et des menottes. Leur Smith & Wesson à barillet dans la boîte à gants nous faisait croire qu'ils travaillaient avec Eliott Ness contre Al Capone. Amar Amara, mon grand-père, mourut à La Mecque en pèlerinage. Quand il était fatigué de sa journée et que nous jouions bruyamment à la maison, il hurlait de sa chambre : « C'est complet, tout le monde descend ! » Et on s'en allait dehors.


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