Algérie

La civilisation commence par la chaussure et finit avec elle



Ensoi l'anecdote est taquine: le vol des chaussures dans les mosquées prend lesproportions du vol des câbles entre les communes, selon les concernés. On peuts'amuser sur ce détail et conclure que cela n'était sûrement pas le cas àl'époque de l'âge d'or, même fantasmatique, de l'Islam. Non pas que lesmusulmans de l'époque priaient ou vivaient pieds nus, mais parce que leur mondesavait où il allait ainsi que chaque musulman de l'Empire, selon cette utopiede la nostalgie. Chacun avait son destin à remplir comme un formulaire céleste,les chaussures n'étaient pas interchangeables tout comme les quêtesspirituelles et on obtenait mieux en combattant aux limbes de l'Empire qu'envolant les chaussures dans les mosquées. Question de base: pourquoi dans unpays où l'islamisme horizontal, celui qui ne vise pas l'Etat mais les quartierset les moeurs, est en plein essor, le vol des chaussures dans les mosquéesprend de l'ampleur? La première réponse est qu'à l'époque de l'invasionchinoise et leur colonisation souriante, les Algériens ne savent pas enfabriquer et préfèrent les voler ou les importer. L'autre réponse, plussérieuse, touche au fond: celui des produits dérivés des religions lorsqu'ellessont vécues comme des excuses et un cache-misère et pas comme une participationprofonde au drame de l'Etre. Face à l'impératif de l'Explication, l'hommealgérien a, apparemment, trouvé dans sa pratique collectiviste de l'Islam, lemeilleur moyen de cultiver cet anonymat de masse qui permet la démission face àla responsabilité civique, civile ou communautaire. Un moyen efficace pourmaintenir son amoralisme par un excès de moralisme oral. C'est compliqué àsaisir mais cela peut être illustré par un exemple: un Algérien peut, à la fois,fréquenter assidûment une mosquée, jeter ses ordures par la fenêtre, ne pasentretenir le palier de son immeuble, voler son voisin mais cotiser pour laconstruction d'une moquée, regarder TPS mais admirer un imam éloquent. Lacommunauté, lorsqu'elle est vécue comme une masse, permet cette psychologiebigote et ce comportement de groupe où l'ensemble est responsable du désastremais l'individu est exempt des conséquences de ses actes. «Dieu voit» répètent souvent les Algériens qui croient qu'Il voit tout, saufeux dans leur intimité. C'est le propre des religions lorsqu'elles sont mortes,tuées, ou lorsqu'elles sont vécues et défendues par des morts: elles servent àla démission face au réel, et donc face à ses responsabilités et, partant, faceau plus petit des devoirs comme celui de l'hygiène ou de l'honnêteté. C'estavec une telle excuse qu'on peut avoir ce genre de peuplade qui vote Fis dèsqu'il le peut, offre le jeûne à son Dieu et des coups à son prochain, crie auscandale devant les salons de thé mixtes, hait l'Occident mais crève d'y alleret qui détourne, vole, complote, tue et ment avec une ferveur nihilismeinexplicable au moment même où il se revendique de la pureté de la foi, nonnégociable avec la raison.Unesorte de paradoxe qui, du point de vue du spirituel, s'illustre par l'impassemétaphysique qui, au lieu de conduire à l'illumination, conduit à la barbe, etencourage la démission et l'intolérance et, du point de vue du quotidien, expliquele vol des chaussures dans les mosquées, acte lié au nombre des mosquées, elles-mêmesdéjà plus nombreuses que les livres produits par ce pays pour en éclairer ledestin.Selonune mythologie de l'Europe du Nord, à la fin des temps surgira une divinité dunom de Vidar qui viendra à bout du monstrueux Fenris,un loup mythique, «en lui déchirant la gueule à l'aide d'une chaussure magique».Le rapport? La chaussure magique sera fabriquée «de tous les bouts de souliersrécupérés depuis l'aube des temps», explique cette tradition. Repêchée dans undictionnaire des mythes, cette histoire est fascinante. Quand un peuple estvivant, il peut expliquer le monde et sa fin par des chaussures. Quand unpeuple est mort, il se les fait fabriquer en Chine, se les fait voler dans sesmosquées et répète qu'il n'en a pas besoin au paradis. Quand l'âge d'or s'en va,il reste l'âge.
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