Comment
reconnaît-on un homme civilisé ? C'est simple : il ne dit pas que l'OTAN et la
France bombardent la Libye, mais qu'une coalition internationale mène des
frappes aériennes humanitaires contre kataeb El-Kadhafi.
Il était une fois
un pays au relief rugueux, au climat rude, et où les hommes vivaient au rythme
de la nature. Là haut, sur les montagnes, ils élevaient des troupeaux, et dans
les vallées, ils tentaient quelques cultures destinées à compléter leur maigre
ration alimentaire. Dans ce pays austère, la chaleur est étouffante en été, et
en hiver, la neige bloque toutes les communications, rendant impossibles la
guerre et le commerce.
Certes, quand la nourriture manquait, les
hommes avaient pris la fâcheuse habitude de mener des razzias dans les vallées
limitrophes, ou d'attaquer le village voisin pour récupérer de quoi tenir
jusqu'à la prochaine saison. Certes, dans ces contrées difficiles, on
considérait la culture du pavot comme une activité très ordinaire, destinée à
couvrir la forte consommation locale et à assurer des rentrées supplémentaires
grâce à l'exportation de ce produit rare. Mais la vie était ainsi faite, et les
habitants de l'Afghanistan avaient réussi, pendant des siècles, à maintenir une
certaine harmonie avec la nature. Et puis, un beau jour, arriva l'homme du
Nord. Il ramenait avec lui le progrès, la science, la civilisation. Il
promettait l'égalité entre tous, la liberté pour les femmes, et une belle vie
aux enfants. Les habitants du pays découvrirent alors les immenses progrès de
la technologie : hélicoptères et avions militaires, bombes téléguidées,
munitions et sous-munitions, et toute la technologie destinée à mettre sous
surveillance un pays tout entier. Ce fut l'occupation russe.
Dans la foulée, arrivèrent d'autres hommes,
de l'Ouest cette fois-ci, porteurs d'une civilisation encore meilleure. Non
seulement ils avaient les armes et les dollars pour les acheter, mais ils
maitrisaient un art supérieur à celui de la guerre : la propagande. Ils
transformèrent des bandits de grand chemin en moudjahidine, et des
organisations fondamentalistes en combattants de la liberté. Cerise sur le
gâteau, ils envoyèrent un de leurs mythes, Rambo, vivre une histoire d'amour et
de bravoure en Afghanistan. Et le résultat fut grandiose : les hommes du Nord
furent battus par ceux de l'Ouest.L'histoire ne dura pas longtemps. Aussitôt
les hommes du Nord partis, ceux de l'Ouest se retirèrent, laissant le pays à
feu et à sang. Les anciens combattants de la liberté mirent le pays à sac, les
hommes en prison et les femmes dans une double prison, avant d'inventer une
nouvelle arme: Ben Laden.
Pendant que l'Afghanistan sombrait, les
hommes de l'Ouest allaient porter la civilisation dans un autre pays, l'Irak.
Ils y inventèrent les frappes chirurgicales, la guerre en direct, les
bombardements qui ressemblent à des jeux vidéo et le conflit autofinancé. Ils
firent aussi de formidables promesses : un Etat palestinien, la démocratie en
Irak, et même la liberté pour les Arabes.
Mais la
civilisation ne pouvait en rester là. Elle était contrainte d'intervenir de
nouveau en Afghanistan, car la nouvelle arme, Ben Laden, avait frappé. Le monde
entier était devenu américain. Et l'Afghanistan avait de nouveau l'immense
privilège d'accueillir les bombardiers, les drones, les forces spéciales et un
nouveau concept : le Karzaï, un dirigeant d'un nouveau genre, qu'on fabrique
dans les laboratoires occidentaux pour l'implanter dans les contrées non
civilisées.
L'opération était
si réussie que, dix ans après, non seulement l'Afghanistan en redemande encore,
mais croule toujours sous les bombes, tout en menaçant d'emporter son voisin,
le Pakistan. Et comme le succès était éclatant, on ne pouvait en rester là. Il
fallait absolument élargir ce champ de bonheur à d'autres pays. Pourquoi pas
l'Irak, où sévissait un vilain dictateur, fourbe et menteur ?
La fourberie de Saddam
ne pouvait arrêter la marche triomphante de la civilisation. A menteur, menteur
et demi : les grands dirigeants de l'occident ont aussitôt prouvé qu'ils
pouvaient dépasser le dictateur fourbe. Ils inventèrent les armes de
destruction massive, créant l'un des plus gros mensonges de l'histoire moderne
pour confondre le dictateur. Et la civilisation amena de nouveau bombes,
drones, guerre par satellite ainsi qu'un Karzaï, installé dans le palais de
Haroun Errachid.
Depuis que la
civilisation amenée par les hommes du Nord et de l'Ouest a atteint
l'Afghanistan et l'Irak, ces deux pays ont enregistré plus de deux millions de
morts. Ils sont aussi entrés dans un engrenage dont ils ne sortiront pas avant
un siècle, car ils se sont frottés de près à la civilisation. L'Algérie, elle
aussi, avait connu cette expérience. Elle a mis plus d'un siècle pour se
relever des «effets positifs» d'une autre civilisation.
Mais cette
fois-ci, on n'aura même pas le temps de respirer. La civilisation triomphante
avance à un rythme effréné : elle est déjà à l'Å“uvre en Libye. A nos
frontières. Où elle impose déjà ses mots et ses méthodes, en attendant ses
hommes.
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Posté Le : 31/03/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com