Algérie

La chronique financière : « Les objets juridiques non identifiés »



Tout le monde ou presque est convaincu que l?économie de marché constitue la seule alternative pour le développement du pays qui a expérimenté vainement durant une trentaine d?années le dirigisme. Et bien sûr qui dit économie de marché dit ouverture, libéralisation et démonopolisation, pas forcément démocratie. On peut affirmer que le consensus est maintenant établi pour l?instauration de l?économie de marché même si on doit introduire, comme on l?a fait pour les années du socialisme impur et dur, des variantes du genre capitalisme à visage humain, ou économie sociale de marché. Les concepts fleurissent inutilement pour un même résultat alors que le pacte économique et social a verrouillé le jeu. Tant pis pour le partenaire social. La prospérité, nous dit-on, viendrait simplement de l?ouverture et de la libéralisation des marchés. Seulement, on n?a pas encore précisé qui sera prospère dans cette nouvelle aventure. On savait que le dirigisme, il est vrai, a rendu beaucoup de gens riches et pourtant il n?y avait pas d?ouverture, l?Etat était omniprésent jusqu?à gérer les souks et il a même tracé des lignes rouges à ne pas dépasser? La suite, on la connaît. L?Etat, qui n?était pas neutre sur le plan monétaire et budgétaire il n?y a pas si longtemps, est devenu neutre même si cette neutralité sur le plan budgétaire est loin d?être stricte. Le retrait de l?Etat est palpable dans beaucoup de domaines. Il s?est transformé en arbitre. Cependant, on continue de lui demander bizarrement de se désengager et de limiter son action à fixer un cadre juridique approprié aux choix souverains des acteurs privés oubliant qu?il a commencé à le faire depuis 1990. Pour se désengager de la sphère économique et financière, signal fort devant du cap à droite, l?Etat s?est trouvé sans préparation dans une situation qui lui commandait de se dessaisir de certaines de ses prérogatives au profit " d?objets juridiques non identifiés ". Nouvelles institutions administratives qui n?avaient pas droit au chapitre sous le règne de l?économie administrée. L?idée était que pour éviter à l?Etat, en fait aux autorités politiques, de s?immiscer dans ce qui ne les regardait plus - économie de marché oblige - il fallait promouvoir des institutions ou des agences indépendantes. Ces institutions joueront ainsi le rôle de régulateur au lieu et place de la puissance publique. Elles sont conçues pour échapper aux pressions qui pèsent sur les politiques. Les Etats-Unis en sont les précurseurs depuis deux siècles. Les Européens les ont relayés et aujourd?hui avec la mondialisation de l?économie de marché, tous les pays ont fini par adopter le modèle. Les heureux locataires de ces institutions sont théoriquement choisis sur la base de critères fondés uniquement sur la compétence technique. Le problème est de savoir comment mesurer cette compétence parce que les décisions éclairées qui seront prises par ces agences de régulation ne doivent en aucun cas verser dans le favoritisme ou avoir des connotations politiques ou partisanes. Vu sous cet angle, elles accréditent la neutralité de l?Etat et favorisent son retrait de la gestion économique, ce qui exclut tout conflit d?intérêts ou d?objectifs. La réalité est quelque peu différente parce que l?Etat n?a pas tout abandonné. Il reste maître des grands choix stratégiques, il en confie seulement la mise en ?uvre aux " objets juridiques non identifiés " lorsqu?ils existent, c?est le cas dans les secteurs des télécoms, de la finance, de l?électricité, des hydrocarbures. Ces " objets juridiques non identifiés " ne sont pas tous logés à la même enseigne et ne sont pas constitués sous le même modèle. Ils ne constituent pas comme disent les juristes une catégorie juridique inscrite quelque part. On ne sait pas où les classer surtout que la plupart des textes qui les créent ne les définissent pas. Ils prolifèrent et menacent la démocratie parce qu?ils ne rendent pas compte de leurs activités aux élus du peuple, ils échappent ainsi au contrôle populaire. C?est peut-être le meilleur moyen qu?a trouvé l?Etat de l?économie de marché pour créer l?illusion d?un désengagement en soustrayant des secteurs importants à l?évaluation et éventuellement la sanction politique.


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