Algérie

La chronique de Maurice Tarik Maschino : école ou gare de triage ' Culture : les autres articles



La chronique de Maurice Tarik Maschino : école ou gare de triage ' Culture : les autres articles
Autant la rentrée scolaire, dans de nombreux pays, est l'occasion, pour les maîtres comme pour les parents, de dénoncer le nombre trop élevé d'élèves dans les classes, la surcharge des programmes, le manque de qualification des enseignants ou leurs trop fréquentes absences, autant l'on passe sous silence l'une des fonctions majeures de l'école, qui fonctionne comme une gare de triage : assignant les élèves à un niveau ' les bons, les moyens, les nuls ' elle les oriente vers des établissements et des sections qui ne feront que justifier et aggraver ce diagnostic. Un diagnostic qui se fonde essentiellement sur la «valeur» des élèves, telle qu'elle ressort de leurs notes et du jugement de leurs enseignants. Or, notes et appréciations n'ont le plus souvent qu'un fondement psychologique ' la psychologie supposée de l'élève, telle que la manifeste son comportement ' et même lorsqu'elles font allusion à une situation familiale qui ne l'aide pas, elles l'estiment responsable de sa conduite.L'école psychologise à outrance et ne voit pas plus loin que «le caractère» ou «la nature» de l'élève. Il suffit, pour s'en convaincre, d'observer les annotations ' simplistes, sinon débiles ' des bulletins trimestriels : «Peut mieux faire», «Inattentif», «Bavarde», ou d'entendre, dans la salle des profs, les jugements-guillotine des enseignants : «C'est un paresseux' Il passe son temps à envoyer des textos' Il n'est pas motivé». Pas motivé : l'expression revient sans cesse, mais n'explique rien, évidemment.
Car pourquoi n'est-il pas motivé ' Au lieu de chercher l'explication dans la «mentalité» de l'élève, l'école ferait mieux d'observer le cadre dans lequel, le plus souvent, elle le place : salles trop petites, pupitres inconfortables, obligation de rester à sa place, immobile et silencieux et, surtout, une relation prof/élève hiérarchique : l'un parle, l'autre écoute, l'un est supposé savoir, l'autre ne rien savoir, l'un, du haut de son estrade, déverse des connaissances que les autres, en silence, doivent assimiler.
Au besoin, il n'hésite pas à les humilier ' «Tu ne feras jamais rien ! Tu es nul !» et à les punir (conseils de discipline, exclusion). Loin d'être invité à travailler avec ses condisciples, chaque élève est en concurrence avec les autres, qu'il s'efforce de devancer et parfois, par les fausses informations qu'il leur transmet, d'«enfoncer» un peu plus dans leur ignorance. Elitiste, fabrique de déclassés et d'aigris et très brutale dans son mode de fonctionnement, l'école reproduit l'organisation inégalitaire de la société.
La classe est à son image : représentant du «chef de famille» comme du chef de l'Etat, l'enseignant, qu'il le veuille ou non, restitue dans sa classe le système de pouvoirs qui prévaut dans les sociétés autoritaires ' il prépare les élèves à devenir des travailleurs respectueux de leur patron et des citoyens soumis à leurs dirigeants. Tout se tient dans une société et l'école, qui trie, classe, hiérarchise et élimine, assure, comme bien des sociologues l'ont démontré, sa reproduction. C'est à ce niveau-là qu'il faut se situer si l'on veut comprendre le comportement des élèves.
Certes, ils n'ont pas lu les travaux de Bourdieu, pas consulté les dernières statistiques ; les élèves français, par exemple, ne savent généralement pas que 7 enfants de cadres sur 10 exerceront plus tard des fonctions d'encadrement, que 7 enfants d'ouvriers sur 10 se retrouveront ouvriers ' «On ne devient pas ouvrier, on naît ouvrier » ' ils ne savent pas que plus de
120 000 élèves, chaque année, quittent l'école sans aucun diplôme, mais ils voient, autour d'eux, que bien des bacheliers ne trouvent pas d'emploi. La morosité ambiante ne les incite pas à l'effort et beaucoup réagissent à cette sorte de condamnation sociale qui les frappe par ces comportements que tant d'enseignants déplorent : bavardage, insolences, refus de faire des efforts, absenteisme'
Seuls les pays beaucoup plus démocratiques que ceux du sud de l'Europe et du Bassin méditerranéen ont une école qui, malgré la crise qui les touche aussi, permet aux jeunes Finlandais, par exemple, de tirer profit de leur scolarité. En Finlande, les enseignants, qui reçoivent une formation de cinq ans et sont mieux payés qu'ailleurs, appliquent des méthodes beaucoup plus respectueuses de la personnalité des élèves.
Ils ne sont pas autoritaires, pas directifs, les élèves se sentent respectés et ils ne sont pas les uns pour les autres des rivaux : non soumis dès la première année au matraquage des notes ' ils ne sont notés qu'après 9 ans ', ils s'intègrent sans drames à une école qui les incite au travail collectif, leur propose des projets éducatifs à réaliser en groupes, comme ils sont à l'aise dans des classes dont ils organisent comme bon leur semble le décor et choisissent, par exemple, le mobilier. Rien n'empêcherait d'autres pays d'organiser leur école sur le modèle finlandais, rien ' sinon l'obsession de sauvegarder les privilèges d'une minorité et la volonté perverse de produire des citoyens hébétés et soumis.

Cf. Camille Peugny, Le destin au berceau, Le Seuil, 2013. Voir également, de Yanne Pierre Cahuc et André Zylberberg, La Fabrique de la défiance, Albin Michel, 2013.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)