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La Chine qui doute d'elle-même



La Chine qui doute d'elle-même
Jia Zhangke est un cinéaste qui divise les rangs en Chine. Les critiques, la presse et une partie de l'élite ne l'aiment pas.«Ils ne veulent pas que je montre des aspects négatifs de la société chinoise contemporaine», a confié le cinéaste, mercredi dans la grande salle de l'Opéra du Caire, après la projection de son dernier long métrage, Mountains may depart (Au-delà des montagnes), à la faveur de l'hommage consacré au cinéma chinois au 38e Festival international du film du Caire.«Je ne dois mon notoriété qu'à la diffusion de mes films sur internet. Sincèrement, je ne rencontre pas beaucoup de problèmes avec la censure. Parfois, on me demande ce que je veux dire dans certains des mes films. Mais, j'avoue que je trouve beaucoup de difficultés avec la société chinoise, qui refuse les films que je fais», a-t-il déclaré. Jia Zhangke s'est inspiré de sa propre vie pour «composer» le drame social Au-delà des montagnes sur trois périodes, trois générations : 1999, 2014 et 2025.A Fenyang, dans le Shanxi, région du nord-est de la Chine, Tao (Zhao Tao) gère la boutique de son père et vit partagée entre l'amour de deux amis, Zhang Jinsheng (Zhang Yi), qui vient de racheter une mine de charbon, et Liangzi (Liang Jing Dong), qui travaille dans la même mine. La relation entre les deux hommes se dégrade rapidement, lorsque Zhang commence à se comporter en patron et demande à Liang de s'éloigner de Tao. Désemparée, la jeune fille ne sait plus où donner de la tête, mais finit par épouser le nouveau riche. Liangzi, qui travaille dans les profondeurs de la terre, s'enfonce dans le chagrin et dans la maladie. Zhang décide d'appeler son fils Dollar (Dong Zijian), pour célébrer son statut de «capitaliste chinois». Il se sépare ensuite de Tao et s'installe avec son fils en Australie. En 2015, Dollar, qui perd l'usage du mandarin, éprouve de la difficulté pour se rappeler le prénom de sa mère qui vit à 7475 km de lui. Dollar porte son prénom comme une cargaison d'argent et se confie à Mia (Sylvia Chang) qui, justement, a l'âge de sa mère.C'est là que le film de Jia Zhangke devient intéressant et se transforme presque en drame psychologique. Eloignés de leurs terres et de leurs origines, les jeunes Chinois perdent leurs repères et ont du mal à surmonter les contradictions qu'ils vivent. Dollar ne sait plus s'il doit voler de ses propres ailes en se séparant de son père, mais sans retrouver sa mère. Il est accroché entre deux nuages. Le père collectionne les armes sans savoir quoi en faire. Les mutations économiques et les échanges commerciaux défigurent la Chine traditionnelle et laissent de grosses balafres sur son visage. Comme dans son précédent film, A touch of sin (un soupçon de péché), Jia Zhangke dresse dans Au-delà des montagnes le portrait d'une Chine qui doute d'elle-même et qui fait face à ce qui peut ressembler à une crise d'identité. Le père de Tao, attaché aux us et coutumes, veut croire à une Chine apaisée, qui vit à l'ancienne, alors que Tao est perdue après le départ de celui qui fut un amour pour elle. Parallèlement, Dollar et Mia sont embarqués, sans se rendre compte, dans la même galère. Le père de Dollar a, lui, perdu le sens du bonheur, la signification de l'existence.Film dur, percutant et bouleversant, Au delà des montagnes s'appuie également sur une bande son, élaborée par le Japonais Yoshihiro Hanno, qui sert de fil conducteur au passage du temps. Le cinéaste a tenu à enrober des scènes significatives par la même chanson dans les trois temps du récit. Autre chanson : Go West, le tube des Village People, repris par les Pet Shop Boys en 1993, sert presque de marqueur d'époque. Les Pet Shop boys se moquent dans leur clip des symboles soviétiques, comme l'étoile rouge et célèbre de la Statut Freedom de New York. La quête d'une vie meilleure, en Occident a un prix lourd pour les jeunes Chinois. Au fil des ans et des saisons, le déracinement peut devenir une menace mortelle pour l'empire du Milieu.C'est ce que semble suggérer le long métrage de Jia Zhangke construit à partir d'un scénario solide et filmé sur une technique qui permet l'élargissement graduel du cadre pour suivre l'évolution du temps. L'intelligence du cinéaste réside dans le fait d'avoir réussi à créer des disparités techniques visuelles une matière artistique et philosophique. «Il faut dire que la modernisation de la société chinoise à des retombées négatives. Les gens doivent accepter d'en parler. Et, je pense que les films réalistes, tels que les miens, vont devenir populaires en Chine. Il y a une nouvelle génération de cinéastes qui s'expriment par sa propre voix. Ces jeunes cinéastes doivent trouver les outils et les techniques pour accompagner le changement rapide de la Chine», a soutenu Jia Zhangke.Un cinéaste qui craint que le miracle économique asiatique ne se métamorphose en cauchemar culturel et social. Jeudi soir, l'ambassade de Chine au Caire a organisé à l'hôtel Ritz Carlton, une cérémonie pour tous les invités du festival pour présenter l'évolution de l'industrie du cinéma en Chine. Un pays qui possède 33 000 salles de projection, produit plus de 600 films par an et réalise des bénéfices annuels de presque 6 milliards de dollars en production cinématographique. La Chine est, pour rappel, le pays invité d'honneur du 38e Festival international du film du Caire.


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