Algérie - Mariage et Traditions


LA CHEDDA DE TLEMCEN
A la suite d’une diffusion d’une magnifique chanson de Amina Karadja « Moulet El3abrouk » sur facebook, un internaute, qui a apprécié cette chanson, s’interrogea sur la signification du mot « El3abrouk ».

Deux autres facebookers, dont une personne de Tlemcen, lui ont répondu en précisant que c’est un « morceau de tissu léger transparent et doré qui sert à cacher la « Chedda » par l’arrière et dont les deux parties pendantes sont visibles à droite et à gauche de face. ».

Personnellement j’avais cherché cette explication sur le web. En vain ! Mais compte tenu des paroles de la chanson on pouvait deviner qu’il s’agissait d’un des éléments de la tenue de mariage, dont l’ambiance est décrite dans cette chanson. Cette « chedda » de Tlemcen est un authentique produit de l’artisanat caractéristique de la ville. Sa beauté la fait inscrite par l’UNESCO, en 2012, au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, en tant que costume nuptial de Tlemcen.

Tlemcen est une ville dont on parle peu ! Et pourtant, c’est une des régions les plus riches d’Algérie en matière de patrimoine architectural, linguistique, culturel et historique.

C’est la ville des Abdelhamid Benachenhou, Paul Bénichou, Abdelmadjid Meziane sur le plan scientifique, des Larbi Bensari, Abdelkrim Dali, Mohammed Dib, Bachir Yellès, Djilali Sari, Rachid Baba Ahmed, Latifa Ben Mansour, et Amina Karadja sur les plans littéraire et artistique, des Messali Hadj, Mourad Medelci, Sami Naïr et Sidi-Mohammed Benmansour sur les plan politique. Sans parler de ceux qui seraient originaires de Tlemcen mais qui n’y ont jamais ou presque jamais vécus.

Adolescent, j’avais assisté au mariage d’un actuel directeur d’un grand quotidien de l’Ouest du pays. Des souvenirs sont restés gravés dans mon esprit. Un des plus beaux mariages que j’ai eu la chance de vivre. Je me souviens même de la maison des parents du marié, une grande famille connue à Tlemcen située à Derb Messoufa, très ancien quartier de la ville qui aurait abrité une des maisons de l’Emir Abdelkader. C’est à cette période que j’ai appris que le trousseau de la mariée se préparait quasiment à sa naissance jusqu’à la veille de son mariage : on y trouve des robes de soirées orientales ou traditionnelles, de la lingerie, de la vaisselle, mais aussi des draps, des couvertures, et même des oreillers. Je me souviens les avoir vu entassés dans un salon sans jamais avoir été utilisés avant le mariage.

Ce mariage s’est étalé sur trois jours, le premier jour consistant, dans une ambiance très intime, à un simple repas entre les deux familles en présence des conjoints et quelques amis pour mettre fin à leur vie de célibat. Ambiance très intime.

Le second jour est le plus important puisque c’est le jour du mariage proprement dit. Le mari s’est levé très tôt malgré la fatigue de la veille, est parti d’abord au Hammam, puis chez le coiffeur, est revenu chez lui pour manger très rapidement, a revêtu son très beau costume puis est parti s’installer avec des amis dans un café de la ville avec des amis. C’est en milieu d’après midi que ses amis et sa famille sont partis chercher, chez les parents de la mariée, son élue. A cette époque, les « salles de fête » n’existaient pas. Et c’est donc au domicile du marié que la mariée atterrit après lui avoir fait un tour de cortège en klaxons et zorna dans le centre ville. Et c’est après cette arrivée, que le mari avait quitté le café après avoir endossé un beau burnous blanc et fait un tour en ville sur un cheval, s’arrêtant devant les principales places et cafés. Et c’est en début de soirée qu’il rejoint le domicile de ses parents où un très bon repas fut partagé avec les convives. C’est à cette époque que je découvrais les magnifiques tenues traditionnelles de la mariée qu’elle changeait et arborait toutes les heures, mais aussi l’incroyable quantité de bijoux qu’elle portait. Le vocabulaire même relatif à la description de ces robes et accessoires m’était totalement étranger. Je n’ai pas souvenance qu’il avait un orchestre en soirée, mais ce qui m’avait frappé ce sont bien les tenues des femmes incroyablement belles.

Au troisième jour du mariage, un simple repas est proposé à midi pour la famille de la mariée. C’est le jour du « Ouf ! Tout s’est bien passé » pour ceux qui angoissent pour la nuit de noces.

C’était aussi à cette période que je suis tombé par pur hasard sur un concert de Elhadj Mohamed Ghaffour, peu connu à cette époque, sur une place de Tlemcen. Une pure merveille pour l’œil, l’oreille et l’esprit.

Bien plus tard, et à la suite de la diffusion du feuilleton « Dar Esbitar » par la RTA, j’ai pu mesurer l’écart entre ce mariage luxueux et la réalité de la vie de certains tlemceniens en particulier pendant la période coloniale mais encore aujourd’hui. Ce feuilleton a été une adaptation de la télé au magnifique roman de Mohamed DIB, « La grande maison » publié en 1952 et qui raconte la vie du petit Omar orphelin de père et la lutte de sa mère pour la survie de la famille dans un monde dominé par la colonisation et ses injustices. Un roman où un des héros est le pain ! Le pain du quotidien.

Tlemcen, comme toutes les autres grandes villes de notre pays, n’échappe pas à la mauvaise gouvernance.

Dans son remarquable mémoire de Magister d’architecture, soutenu en 2011 à Tlemcen, Walid HAMMA posait le problème d’une « ville en péril » et s’interrogeait sur les raisons pour lesquelles il a fallu attendre la célébration de « Tlemcen capitale de la culture islamique » en 2011 pour voir nos responsables se bouger et procéder à quelques rénovations mineures de monuments historiques.

Comme toujours !


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