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La célébration sanglante de la fête du Travail en mai 1945 en Algérie.



La célébration sanglante de la fête du Travail en mai 1945 en Algérie.
En mai 1945, la répression coloniale a atteint indubitablement son paroxysme. Bien que son évocation renvoie directement au massacre du 8 mai, lors de la célébration de la fête du Travail, les nationalistes ont payé un lourd tribut. En tout cas, si l’ampleur n’est pas la même, les deux dates, historiquement parlant, ont les mêmes racines. D’une façon plus globale, cela découle de la conception française de la grandeur de leur empire. Contrairement aux Anglais qui ont accordé les indépendances aux pays se trouvant sous leur férule, les Français –et c’est le moins que l’on puisse dire –sont obnubilés par la nécessité de posséder un vaste territoire.

De toute évidence, en dépit de la participation active des colonisés à la libération de la France, le gouvernement provisoire français, présidé par le général de Gaulle, n’entend pas exaucer le rêve des « indigènes » fondé sur la fin du joug colonial. Ainsi, bien qu’un accord verbal ait été donné vers la fin 1943 pour l’octroi d’une large autonomie interne en contrepartie de la participation à l’effort de guerre, la nomination du général Catroux comme gouverneur de l’Algérie rend caducs les engagements antérieurs. Du coup, pour toute réponse aux revendications algériennes, le nouveau gouverneur général « exhume alors les dossiers poussiéreux Blum-Violette de 1936 », note à juste titre l’éminente historienne, Annie Rey Goldzeiguer. Selon elle, de Gaulle, de toute façon, n’est pas favorable à ce qu’il y ait une quelconque évolution du statut des colonies.

À partir de là, la noria coloniale est prête à user de tous les procédés en vue de casser la dynamique de rassemblement des forces politiques algériennes, réunies pour rappel sous l’égide des AML (les Amis du Manifeste et de la liberté). Pour ce faire, dès avril 1945, les autorités coloniales manœuvrent dans le but de déplacer le combat politique vers le terrain de la violence. Invitant les notables, « le préfet Cazagne, secrétaire général, prévient les musulmans qu’il rencontre : ‘Nous n’accepterons à aucun prix la diminution du prestige de la France en Algérie’ », souligne Jean Louis Planche, auteur du livre « Sétif 1945, chronique d’un massacre annoncé ».

Quoi qu’il en soit, réputées pour leurs actions psychologiques, les autorités coloniales mettent en œuvre un plan machiavélique. Selon Ben Youcef Ben Khedda, un responsable du PPA au moment des faits, « le 18 avril, le préfet d’Alger, Louis Périllier, convoque la réunion traditionnelle des « Achaba » qui rassemble sous-préfet, administrateurs de communes mixtes, caïds, aghas et bachaghas de la région, et il décide de la tenir à Ksar Chellalla où Messali est assigné à résidence. » Dans la foulée, et conformément au traquenard préalablement planifié, plusieurs militants des AML de la région, à l’instar de Saad Dahlab, sont arrêtés. En réaction à ces arrestations iniques, la population locale descend alors dans la rue. Et là cerise sur le gâteau. Les autorités coloniales interviennent promptement. En plus de la répression de la manifestation, elles décident de transférer Messali Hadj à Brazzaville, au Congo.

Cependant, malgré les appréhensions et les réserves de Ferhat Abbas, le fondateur des AML, les dirigeants du PPA ne comptent baisser les bras. « L’esprit du PPA est de suivre la logique des faits, sans s’arrêter aux risques. La nouvelle que Messali a été déporté trois jours plus tôt en Afrique noire vient de parvenir au Bureau politique », note Jean Louis Planche. Dans ce cas, l’épreuve de force est inéluctable. Cela dit, bien que le parti de Messali veuille réagir aux abus de l’administration coloniale, il n’est pas question de recourir à la violence. Le rédacteur des consignes, Chawki Mostefai, se confiera plus tard à Ben Khedda en disant : « c’est moi-même qui ai rédigé les instructions en soulignant le caractère pacifique de ces manifestations. » Par ailleurs, le temps imparti à la célébration de la fête du Travail étant court, les organisateurs limitent les manifestations du 1er mai aux grandes villes. Par conséquent, le jour J, les défilés se déploient uniquement dans les principales villes d’Algérie.

Dans l’Est algérien, les manifestations se déroulent dans le calme. Dans plusieurs villes, dont Sétif, Guelma, Bejaia, les nationalistes se dispersent, à la fin des processions, dans le calme. En revanche, à Oran et dans les villes du centre du pays, à l’instar de Blida et d’Alger, les manifestations sont marquées par des heurts violents. Résultat des courses : le bilan de la répression est lourd. « Il y avait eu quatre morts et sept autres qui ne survivront que quelques jours à leur blessure », conclut Henri Alleg son enquête sur les affrontements entre les manifestants et la police à Alger. À Oran, selon Jean Louis Planche, la répression « fait un mort et quinze blessés parmi les manifestants, une quinzaine de blessés légers parmi les policiers. » Enfin, à Blida, selon Ben Khedda, il y avait un mort, en l’occurrence Mohamed Ben Merah.

En somme, il va de soi que les pertes en vie humaine lors de la fête du Travail, sans chercher à les comparer à celles du 8 mai, sont importantes. Le tort de ces militants est de vouloir se débarrasser d’une tutelle que les temps modernes ne justifient pas. Cependant, bien que leur révolte ne remette pas en cause jusque-là la présence des Français d’Algérie, à partir de cette date, la stratégie du PPA va changer radicalement. Malgré l’indigence de leurs moyens, les Algériens ne songent qu’à la mise à mort de ce système honni. D’ailleurs, certains historiens ne situent-ils pas le début de la guerre d’Algérie à mai 1945.

Ait Benali Boubekeur


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