Pour l’UNESCO, la Casbah d’Alger est classée patrimoine de l’humanité, mais qu’est-elle donc pour nous les Algériens?
C’est la question à laquelle n’ont pas réussi à répondre les nombreux présents à la grande “réunion internationale d’experts” chargés de nous aider à trouver les moyens de sauver l’honneur.
Les étrangers ne peuvent évidemment pas répondre à cette question et parmi ceux des Algériens présents qui l’ont posée, personne n’a vraiment tenté d’apporter une esquisse de réponse. Probablement parce que c’est une réponse beaucoup trop pénible à formuler et à entendre.
Le marathon de la réflexion qui a été organisé donc par les pouvoirs publics à l’hôtel Aurassi pendant trois jours en début de cette semaine avait pour but, ont-ils expliqué, de faire le bilan des initiatives passées et de trouver de nouvelles pistes pour arriver enfin à “sauvegarder et revitaliser” la Casbah. Comprendre: à ne plus échouer.
citadelle alger
L’inauguration a vu la présence de pas moins de quatre ministres et du wali d’Alger venus démontrer l’engagement fort de l’Etat algérien. Les tables rondes ont été animées par des spécialistes brillants qui ont décrit leurs expériences: celles de Rio, de la Havane, celle d’Istanbul et de Tunis, celles de Turin, de Bari et Barcelone.
Les débats et discussions avec leurs pairs algériens ont été extrêmement riches.
Dans cette salle pleine à craquer d’âmes passionnées par la résurrection des vieilles villes en phase d’agonie, les idées n’ont pas manqué.
De Bari en Italie, la spécialiste Giulia Annalinda Neglia s’est entre autres demandé s’il ne serait pas pertinent de penser aux éléments physiques qui ont disparu dans la ville et qui ont causé la perte de lien social parmi les habitants, comme les fontaines de la Casbah. Elle a, à ce sujet, évoqué un parallèle avec un projet de “revivification des culs de sac” qui jouaient le rôle de lieux d’assemblées de voisins dans la vieille ville de Bari.
De la ville d’Istanbul, la professeure Zeynep Enlil Yildiz a mis en garde contre la tentation de percevoir les habitants de la Casbah comme des gens qui n’appartiennent pas à la Casbah: “j’ai souvent entendu les mots ‘centre de transit’, gens en ‘transit’, squatteurs… Ceux qui sont appelés ‘squatteurs ou en transit’ sont les habitants de la Casbah et ils se considèrent comme tels”. Les “habitants en transit”, a-t-elle souligné, “c’est la réalité dans toutes les vieilles villes du monde qui ont été abandonnées par les propriétaires pour des maisons plus confortables, il faut donc cesser de considérer les habitants comme s’ils n’étaient pas les ‘vrais habitants’, car ils le sont”.
citadelle alger
Le professeur Daniele Pini de la Faculté d'architecture de Ferrare a émis l’idée qu’il était aussi possible d’envisager une “dé-densification” de la Casbah sans avoir à sortir du périmètre de la Casbah: mais en utilisant les espaces vides. Pour lui, “dé-densifier” la Casbah ne voudrait pas forcément dire exproprier les habitants ou leur proposer des logements dans d’autres quartiers de la ville, “cela peut être envisagé comme une redistribution de la population sur tout le tissu de la Casbah”, car “il est inutile de restaurer parfaitement une maison si on ne sait pas pour qui on le fait”.
Quant au Tunisien Zoubeir Mouhli, qui est directeur de l’association de sauvegarde de la Médina de Tunis, pour lui, le plus important est d’éviter la “momification” de la vieille ville: “il ne faut pas faire de la Casbah un ghetto”, a-t-il dit, “que ce soit un ghetto pour les pauvres ou un ghetto pour les riches. Lorsqu’on restaure la Casbah, il ne faut pas se dire qu’on le fait pour les touristes, il faut connaitre les gens qui l’habitent et avoir pour but final celui d’améliorer leur vie à eux”.
Avoir pour but final l’amélioration de la vie des habitants de la Casbah est la seule condition de réussite.
Est-ce donc pour cela que les Algériens ont échoué jusque-là, dans toutes leurs tentatives et plans depuis l’indépendance, à empêcher de mourir la Casbah d’Alger? Parce que lorsqu’ils pensent à “sauvegarder” la Casbah, ils pensent aux murs et non à ceux qui habitent ces murs?
Beaucoup à tour de rôle ont parlé “d’une vision” qui manquait pour la Casbah et à travers cette vision la question de savoir pour qui l’on va restaurer les vieilles maisons qui s’effondrent les unes après les autres? Pour ceux qui habitent aujourd’hui la Casbah ou pour de nouveaux propriétaires “plus riches qui sauront en prendre soin” comme c’est le fantasme de certains?
casbah alger
En vérité, la question de la gentrification que l’on voudrait éviter ou que l’on souhaiterait n’a pas été évoquée ni débattue, non pas parce qu’elle constitue un tabou mais plutôt parce qu’il s’agit d’un angle mort. Les autorités de ce pays ne semblent pas même être arrivées à ce stade de la réflexion lorsqu’elles pensent à “sauvegarder la Casbah”.
Mais les autorités ne sont pas les seules à manquer de clarté, un urbaniste algérien chargé de synthétiser les grandes lignes des discussions, Yacine Ouagueni, a parlé de “paralysie”:
“Il y a une paralysie qui fait qu’on ne retrouve pas le bout du fil par où commencer alors que nous avons tous les instruments”, a-t-il relevé après avoir évidemment évoqué les nombreux plans que ce pays a envisagés pour sortir sa Casbah d’une mort certaine.
Un petit homme aux cheveux blancs et à la voix triste, un architecte allemand du nom d’Armin Dürr est arrivé après tout le monde, le dernier jour et a plongé l’assistance dans le silence et l’affliction.
Armin Dürr avait été envoyé par l’ex-RFA dans les années 80 pour travailler avec les architectes et urbanistes algériens à créer des plans pour la Casbah d’Alger. Invité en 2018 à participer à une “réunion internationale d’experts sur la sauvegarde de la Casbah d’Alger”, il a été le seul à avoir choisi de faire une intervention sur un mode personnel.
Il a raconté le choc qu’il a vécu lorsque, revenu en 2010, il est allé faire une balade dans la Casbah pour s’enquérir de ce qui a été réalisé.
Il n’a pas fait dans le langage de la diplomatie:
“De précieuses années pour la préservation de la Casbah ont été inutilement perdues. Nombreux projets préparés n’ont jamais été réalisés, tant de gaspillage de moyens financiers, d’énergies et d’idées d’innombrables experts ont été perdus! Pourquoi n’a-t-il pas été possible de préserver et restaurer la Casbah?
Il n’est pas concevable que la volonté décidée et qu’en plus la conscience pour l’estime du patrimoine culturel manque. Est-il présomptueux de penser que le peuple algérien n’est peut-être pas encore mûr pour s’occuper de la sauvegarde de son patrimoine bâti? Mais c’est la faute à qui? On pourrait supposer, un demi siècle après l’indépendance que cette responsabilité envers l’histoire aurait pu être privilégiée.
Je souhaite que les nouveaux efforts aient du succès mais je ne crois plus que cette énième tentative réussira. Il me reste finalement l’amer sentiment que l’ensemble de la Casbah est un patrimoine en péril. Alors avec grand regret de dire: au revoir ou adieu la Casbah.”
Un silence de mort s’en est suivi pendant un court instant mais les débats ont repris très vite.
La réunion s’est terminée tard dans la soirée de mardi, des recommandations ont été formulées par la représentante de l’UNESCO Nada al Hassan en présence du wali d’Alger et du ministre de la Culture qui sont revenus écouter, religieusement, la liste des tâches à accomplir.
Beaucoup de ces recommandations semblent tout à fait géniales comme: intégrer les données humaine, sociale et économique plus larges dans le plan de sauvegarde, reconnecter la vieille ville historique et le reste de la capitale par des points d’interaction stratégiques (comme le métro de la Place des Martyrs qui arrive à point nommé et le musée que deviendra un jour la Citadelle en restauration dans la partie haute de la Casbah), créer une dynamique économique par petits noyaux qui pourront devenir des agrégations, etc.
Pourtant, à bien y regarder, dans les plans des années 80 qu’Armin Durr a dépoussiérés pour l’assistance de 2018, les mêmes idées, peut-être formulées différemment, avaient déjà été envisagées.
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Le problème, ce ne sont pas les instruments, mais la “paralysie” dont a parlé l’un des urbanistes algériens. Les trois jours de réunion au sommet pour sauver la Casbah pourraient n’être en vérité que le requiem pour ce quartier unique de la ville.
A moins que la peur, très forte, de voir la Casbah d’Alger perdre sa place parmi le patrimoine mondial et soit reléguée parmi les sites en péril serve de choc salutaire et nous sorte enfin de la paralysie. Souhaitons donc que la honte que nous avons, Algériens, ressentie lorsque Armin Dürr a demandé si “le peuple algérien n’est peut-être pas encore mûr pour s’occuper de la sauvegarde de son patrimoine bâti” serve au moins à cela.
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Posté Le : 26/01/2018
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : Daikha Dridi
Source : HuffPost Algérie