Quelque part sur
le véritable continent que constitue notre beau et riche pays, survit une
petite bourgade peuplée d'hommes et de femmes rompus aux rigueurs d'une vie de
labeur et de privations.
Les habitudes et
les traditions ancestrales ont été à peine dérangées par «l'intrusion» d'une
école primaire, seule témoin d'une indépendance tant chantée au Nord.
L'école, composée
d'une immense cour face à quatre salles de classes n'a subi aucune évolution
notable depuis son ouverture il y'a une décennie. Maintenue, vaille que vaille
par quatre enseignants dont le plus âgé en assure également la direction, elle
n'a pas connu, non plus, de variation sensible dans ses effectifs. Le nombre
des élèves y ayant achevé avec succès leur cycle se comptait sur les doigts
d'une main. Ils appartiennent tous à des familles aisées, relativement au
niveau de vie des lieux, qui disposent des moyens d'envoyer leur progéniture
poursuivre ses études dans les grandes villes voisines.
Pour tous les
autres le redoublement est automatique jusqu'à l'épuisement de leurs droits
dans la limite d'âge autorisée par la loi.
Le problème de
gestion des effectifs ne s'est jamais réellement posé jusqu'à la célébration
des dix ans d'existence de l'établissement, il y'a deux ans. A cette date, de
nombreux élèves avaient atteint l'âge limite d'admission à l'école et après des
redoublements répétés devaient, légalement, quitter définitivement l'école.
Les parents qui
n'ont que rarement manifesté un intérêt à la scolarité de leur enfants, se sont
subitement réveillés et se sont mobilisés pour exiger une nouvelle chance pour
leurs rejetons qui, en d'autres circonstances, auraient subi l'exclusion sans
autre forme de procès.
Les enseignants,
après avoir tenu conseil, ont estimé que l'environnement immédiat n'offrait aux
élèves « sortants » aucune alternative et que l'attitude des parents bien que
tardive méritait une réponse favorable. Cependant, l'année de la dernière
chance n'ayant , évidemment, rien résolu face à un lustre de carence , le
problème s'est reposé dans toute sa plénitude à la nouvelle rentrée.
Avant la tempête,
les enseignants, forts de l'expérience de l'année précédente, ont tenu conclave
pour se préparer à convaincre les parents déçus que la réadmission de leurs
enfants est peine perdue pour tout le monde. Pour les jeunes d'abord qui
gagneraient à se diriger vers l'apprentissage d'un métier dans les meilleurs
délais. Pour les parents, qui seraient plus rassurés sur l'avenir de leur
enfants en participant à leur orientation professionnelle. Pour l'école, enfin,
qui accorderait plus d'espaces aux nouveaux venus et consacrerait les efforts
des enseignants aux élèves encore en formation. Mais, ceci étant dit , il n'est
pas facile de tenir des propos, même très sensés et rationnels, à des parents
qui veulent coûte que coûte que les portes du savoir qui ne se sont pas
ouvertes pour eux s'ouvrent à leurs enfants. Des adultes qui se tuent au labeur
et se privent pour que les jeunes générations ne connaissent pas leurs
privations culturelles et leur soif de savoir. Des adultes qui veulent investir
leurs sacrifices dans l'épanouissement de la jeunesse ; qui veulent la voir
progresser, donner libre cours à ses talents, s'ouvrir sur les sciences, sur le
monde, sur les autres, créer et jouir des bienfaits d'une intelligence
accomplie et libre. Un long et pesant silence marqua la fin des concertations
du petit groupe d'enseignants. Un silence chargé de la perplexité des quatre
maîtres d'école face à l'écrasante responsabilité dont ils se sentent investis
dans un désert culturel qui n'a d'autre oasis que leur école. Toujours en
silence, leur ainé leur fit signe de rejoindre la salle attenante à leur lieu
de réunion où les attendent, depuis quelque temps déjà, les parents d'élèves.
Des parents assurément rongés par l'angoisse, inquiets pour l'avenir de leurs
enfants et qui risquent de ne pas être très perméables à la logique de
fonctionnement de l'institution éducative. Le « Directeur » au nom de ses
collègues et de sa tutelle déclina avec tristesse mais fermeté, un à un, les
arguments qui s'opposent imparablement à la doléance plus qu'évidente attendue
du représentant des parents. Mais à la surprise de ses interlocuteurs, celui-ci
ne sollicita nullement la réadmission scolaire pour les exclus mais seulement
le bénéfice de la cantine.
Au-delà des
parents concernés, tous les habitants semblent considérer que les jeunes de la
bourgade ont aussi le droit à une part des largesses publiques, et, l'école
étant le seul vecteur d'allocation de cette part dans leur espace , ils
estiment leur demande parfaitement fondée. Désemparé le directeur qui n'avait
pas prévu de parade hors du champ pédagogique sollicite, vainement, une aide
dans les regards de ses collègues aussi ahuris que lui. Il se résolut à quitter
la salle pour rejoindre le petit réduit qui lui servait de bureau et soumettre
« l'affaire » à sa tutelle. Après l'avoir écouté la voix qui l'accueillit
nerveusement au bout de fil, est devenue subitement plus apaisée et lui
répondit presque gaiement : «Excellent ! Enfin je veux dire c'est bon, leur
demande est légitime, vous pouvez leur communiquer notre accord ». Sur le court
chemin du retour le désarroi du directeur est encore plus profond. Quelque chose
échappe à sa « raison» de pédagogue, pour les uns comme pour les autres la
légitimité est désormais alimentaire.
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Posté Le : 21/04/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohammed ABBOU
Source : www.lequotidien-oran.com