Algérie

La broderie d'Alger



La broderie d'Alger
Titre / dénomination : Broderie d'Alger
Lieu de production : Alger, Algérie
Date / période : XVIIIe ou XVIIe siècle
Matériaux et techniques : Étamine de lin grège pour le fond du tissu et soies polychromes pour le décor brodé
Dimensions : L. 300 cm ; l. 43 cm
Ville de conservation : Paris
Lieu de conservation : Musée de l'Institut du monde arabe
Numéro d'inventaire : AI 03-07

La longue pièce en lin grège est ornée d’une suite de thèmes floraux en amandes, composés d’une double couronne de corolles dentelées. Entre ces motifs s’intercalent d’autres corolles s’avançant en pointe à partir des bordures. Tous ces ornements sont brodés en soies polychromes, au point biaisé (ma’alka) pour le remplissage des masses, au point natté pour le galon du pourtour. Le rouge et le bleu dominent la palette.

Cette broderie est un lé de rideau. Elle pouvait être réunie à d’autres bandes de même type au moyen de galons, puis suspendue à l’intérieur de la maison pour créer des zones d’intimité. Laissée dans son format, elle pouvait flotter à côté de bandes similaires, ou encore recouvrir un miroir ou un divan. D’autres broderies semblables servaient de tentures murales (dans ce cas, le support était plus épais), mais aussi d’ornements vestimentaires : écharpes : tanchifa, ou coiffes de hammam : beniqa.

A la fin du Moyen Age, l’arrivée des Morisques chassés d’Espagne stimule en Algérie la production des soieries. Le goût pour les broderies est avivé par les parures vestimentaires que portent les fonctionnaires ottomans et leurs épouses à partir du XVIe siècle[1]. Au début du siècle suivant, les décors brodés triomphent à Istanboul, notamment au Palais de Topkapi. Vêtements et mobilier textile en sont couverts. Certains tapis, les nihale, sont exécutés par des brodeurs professionnels. Dans les grands harems algérois, cette mode est propagée par des femmes elle-mêmes originaires des quatre coins de la Méditerranée et qui tenaient à se démarquer des productions locales.

Le répertoire utilisé est de type « impérial ». Couronnes flammées et bouquets héraldiques n’ont pas été imaginés à l’origine par des brodeuses, mais par les ornemanistes des grandes manufactures de tissus. Il faut en rechercher les modèles dans les étoffes de luxe produites au XVIe siècle dans les ateliers de Gênes, de Florence, de Lucques et de Venise qui avaient séduit la cour ottomane par leur splendeur. Certaines de ces étoffes se conforment si bien au goût du Sérail qu’il est parfois impossible de dire si elles sont turques ou européennes[2]. Leurs thèmes sophistiqués, conçus à l’origine pour des métiers complexes, ont été reproduits par les Algéroises au moyen d’une toile, d’un cadre et d’une aiguille[3].

Deux styles se distinguent. L’un, illustré par la tanchifa de la Vierge Noire de la cathédrale de Chartres, se signale par une palette dorée et violette et des ornements en forme de lyre, probablement empruntés à l’Italie ou l’Espagne de la Renaissance[4]. Le second groupe, représenté par la broderie qui nous occupe, est caractérisé par des corolles flammées et des oppositions de rouge et de bleu. Ce style, même s’il s’inspire, lui aussi, de tissus italiens, se perçoit comme plus « oriental » par son chromatisme affirmé. Il offre d’étonnantes parentés avec les productions d’Anatolie et d’Asie centrale.

Bibliographie

« Topkapi à Versailles, trésors de la cour ottomane », Paris, 1999, cat. d’expo., n° 47 p. 93.

«Broderie d’Alger, florilège de soie », cat. d’expo. IMA, Paris, 1992

« De Soie et d’Or, broderies du Maghreb », cat. d’expo. IMA, Paris, 1996.

Venture de Paradis, Tunis et Alger au XVIIIe siècle, Paris Actes Sud, Sindbad, 1983

Haëdo de, F. D., Histoire des Rois d’Alger, Paris, Revue Africaine, 1880, Paris, 1998, éditions Bouchêne

Jean-Léon l’Africain, Description de l’Afrique, traduit de l’italien par A. Epaulard, Paris, 1956, 1981

Tuchscherer, J.-M., Vial, G., « Le Musée Historique des Tissus de Lyon », Lyon, 1977, n° 30.

Notes

[1] Léon l’Africain qui visite Cherchell, au début du XVIe siècle, signale que les anciens habitants de Grenade y sont « adonnés au métier de la soye ». Plus tard dans le siècle, le Bénédictin Fray Diego de Haedo fait la même observation dans sa relation sur les « Rois d’Alger ».

[2] Cette domination ottomane qui va s’exercer sur plus de trois-cents ans (1518-1830), est venue par la mer : les gens d’Alger, pour repousser les armadas espagnoles qui les menaçaient, avaient appelé à leur secours des corsaires turcs, lesquels en profitèrent pour s’emparer du pays et le placer sous l’autorité du Sultan d’Istanbul. Ce fut d’abord l’Etat d’Alger, administré par un beyler-bey (un gouverneur général), puis, en 1587, la Régence qui, au fil des siècles, sera confiée successivement aux Pachas, aux Beys et aux Deys.

[3] Trois cercles de production sont à envisager : celui des harems, initiateurs des modes et détenteurs des motifs « impériaux », celui des riches familles algériennes où se transmettent formes et techniques, enfin celui des ateliers urbains. A ce sujet, on connaît les observations du Français Venture de Paradis, qui était à Alger en 1789 : « le goût des Algériens est pour la broderie ; les hommes et les femmes en ont sur leurs habits pour des sommes importantes ». Comment une production uniquement privée aurait-elle pu répondre à cette demande ?

[4] On pourrait se référer au caftan, probablement tissé en Occident, qui figure dans le portrait d’Orkhan II, peint par l’atelier de Véronèse (Pinacothèque de Munich), ou citer le caftan italien de Murad IV (1623-1640), conservé au Palais de Topkapi (inv. 13/838), sur lequel les fleurons se détachent en bouclés, ou se tourner vers un lampas toscan, à sujet chrétien, du musée des Tissus de Lyon, dont les opulents feuillages sont exactement ceux de nos broderies.


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