Algérie

La bombonne et la citerne



La générosité du ciel ne règle pas tout. Quelque part dans le pays profond, un homme au crépuscule de la vie tremblote devant le micro tendu par le journaliste. Le trac dû au fait de se retrouver sur le champ d'une caméra, certainement pour la première fois de son existence, n'y est peut-être pas pour grand-chose. L'émotion ne l'empêche pas de porter le regard vers le ciel, en ignorant l'outil qui allait porter sa voix. Il remercie la providence pour la pluie et la neige et n'oublie pas de demander son reste. Pour lui, la chose est entendue : Dieu ne les a pas oubliés, lui et les siens. Ses hommes si.Ça fait quatre mois qu'aucune goutte n'a coulé dans les robinets de la petite localité que la télévision n'a pas cru nécessaire de situer sur la carte du pays. Peut-être que ce n'est pas vraiment utile, ils se ressemblent tous, les hameaux sans eau et les villages qui ne tirent pas tant de la générosité du ciel. Ici, la sobriété est pourtant une seconde nature, ici ça ne demande pas le? ciel. Alors le vieil homme prend son temps et sollicite sa mémoire passablement entamée pour se remémorer les temps heureux où les robinets coulaient? une fois par semaine ! Dans un ultime effort, il se rappelle même, suprême bonheur, que ça arrivait parfois tous les trois jours. Ici, on a le bonheur de ses entrailles et les exigences de ses moyens. Et quand ça vient à manquer, on esquisse de sourdes colères qui vont jusqu'à se demander à quoi servent la neige et la pluie. Quelque part, dans le pays profond, l'image se fait contrastée au bout du gros plan. L'homme est dans la trentaine passée, il est chaudement habillé et semble d'une vigueur à tout affronter. Le décor enneigé n'a pas d'emprise sur son port altier et son ton déterminé. L'homme n'a pas sa langue dans sa poche, au point d'embarrasser la jeune reporter qui redoutait certainement le «débordement». Alors, elle tente désespérément de contenir son flot de paroles et d'en atténuer le sens. Il met déjà la barre très haut : on vous a envoyée par ce qu'il y a des élections ' Il n'y en a pas ici. La bouteille de gaz, il faut la trouver et quand vous y parvenez, elle est à 500 dinars. Le gaz naturel ' On ne le voit qu'à la télévision. Il y a une inauguration pour chaque bulletin d'information. A tel point qu'on a cru y voir un jour notre village avec l'image de ma mère actionnant le briquet pour que surgisse la flamme et retentissent les youyous.» L'homme parvient à se calmer : «Venez avec moi, je vais vous montrer où passent les canalisations du gaz naturel. Au nez et la barbe de nos maisons». Dans le pays profond, il pleut et il n'y a pas d'eau. Il neige alors on s'enferme pour regarder la télé. On y voit des vieilles actionner le briquet devant des autorités qui applaudissent et d'autres vieilles qui poussent des youyous.
S. L.


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