Publié le 29.11.2023 dans le Quotidien l’Expression
Les champs reprennent vie et le silence qui étrangle le chant des oiseaux est de plus en plus rempli de voix humaines. Des voix d'hommes et de femmes présents là depuis les premières heures de la matinée. De loin, cette présence humaine est perceptible par les petites fumées qui montent discrètement d'entre les arbres. Ce sont les familles qui viennent à la récolte des olives qui se chauffent les doigts et les mains par ces matins trop frais. La forêt prend de plus en plus d'ambiance pendant cette période de fin d'automne. Une ambiance qui s'étale jusqu'à la fin du mois de février. Cette année, les gens entament la récolte dans une ambiance mi-figue, mi-raisin. Les températures caniculaires de l'été et le retard accusé par les premières pluies ont fait des dégâts dans l'oliveraie. La saison a été sauvée in extremis par ces dernières averses. «Si ces dernières pluies n'étaient pas tombées, on n'aurait rien à récolter. Les arbres sont tous devenus jaunes et les graines commençaient à sécher. Maintenant, on espère que ces conditions n'auront pas d'incidences au niveau de la production d'huile.
Modernité ou pas, des rituels sont indispensables avant d'entamer la récolte
Comme au bon vieux temps, la majorité des villages a observé avec minutie les rituels indispensables avant le lancement de la récolte. Sur ce plan, la modernité ne semble pas avoir une grande emprise. Les villageois tiennent mordicus à ces traditions ancestrales qui précèdent obligatoirement le début de la collecte. Jeunes, vieux, hommes et femmes ont tous pris part au rituel de Timechret et du Nouel. Nouel est un rituel qui suit, le même jour, Timechret. Une fois la viande de boeuf répartie et distribuée à tout membre marié ou ayant fondé un foyer dans le village, les gens repartent chez eux. À midi, tous reviennent avec un plat de couscous et une petite jarre de sauce aux fèves séchées ou aux pois chiches. Le rituel veut que chaque personne mange le couscous d'un plat qui n'est pas le sien, car manger dans son plat est mal vu par les villageois. Cela représente la tradition du partage. Les rituels ne sont pas terminés.
Les femmes en général gardent encore la traditionnelle visite des Saints. Chaque lundi et jeudi, ces lieux pleins de sérénité deviennent une destination incontournable pour les vieilles femmes. «Je ne peux pas laisser un membre de ma famille monter sur un olivier avant que je ne fasse la visite du lieu.
C'est comme ça que nous avons appris de nos grands-parents. Il faut toujours recueillir la ‘'baraka'' pour d'abord récolter en toute sécurité et aussi pour que la ‘'baraka'' soit dans la récolte», nous apprend une vieille femme. Une autre femme se désole du sort réservé à cette tradition de nos jours. «Ces jeunes femmes ne croient pas à ce que nous disons. Elles refusent d'y aller, mais je veux qu'elles sachent que tout ce qu'elles feront n'aura pas de la ‘'baraka''. Vous n'observez rien, ces dernières années?», s'interroge-t-elle.
Les prévisions sont optimistes mais...
Les prévisions ne sont pas mauvaises au sujet du rendement en huile. Les services concernés annoncent une récolte plutôt bonne, même si elle n'est pas au top.
Plus de 10 millions de litres sont prévus dans les huileries. Mais le chiffre ne semble point convaincre les populations qui entament une récolte avec de grandes appréhensions. Faute d'un suivi de près par des chiffres officiels, les gens tendent l‘oreille dans toutes les directions à la recherche de nouvelles venant des huileries qui ont déjà entamé la trituration. «J'ai entendu dire que du côté des hauteurs de Boudjima, l'huilerie produit près de 9 litres par quintal. Mais, je ne sais pas et je n'arrive pas à y croire, car auparavant j'ai également entendu dire que du côté du sud de la wilaya, à Draâ El Mizan, l'huile ne donne cette année que 7 à 8 litres par quintal d'olives», affirme un citoyen de la commune d'Aït Aïssa Mimoun.
Aussi, devant cet écart important entre le rendement du sud de la wilaya et le rendement annoncé au nord, nous avons voulu vérifier chez les concernés. «C'est possible, car le rendement diffère habituellement de l'oliveraie d'une région à une autre. Par exemple, dans les communes du littoral, le rendement est toujours meilleur que dans les communes du sud. Donc, cela peut être vrai», explique un propriétaire d'huilerie à Ouaguenoun. Mais, une chose est quasi certaine, même si le rendement est bon, il ne pourra jamais atteindre celui de la récolte de 2021-2022 avec ses 11 millions de litres produits. Même sans diplômes ou certificats, les populations ont, par expérience, les connaissances qu'il faut. D'ailleurs, un grand nombre de personnes ne sont pas convaincues par des chiffres optimistes.
«Après des conditions climatiques pareilles, vous croyez vraiment qu'on aura beaucoup d'huile. Il faut vraiment être naïf pour croire à ces sornettes», affirme un vieil homme qui dit que le rendement ne peut jamais être bon, car la graine n'a pas pris de volume. «Il n'y a qu'à voir les graines. Elles sont toutes petites et sèches. L'écorce est presque collée au noyau. Alors dites à ces techniciens de nous dire où ces graines vont stocker l'huile», affirme-t-il, narguant les arguments des techniciens.
Quid des prix attendus cette année?
Sur ce chapitre, c'est presque l'unanimité: la hausse sera inévitable. Mais, ces prévisions émanant des producteurs est battue en brèche, d'abord par les propriétaires des huileries et par les conditions de vente de l'huile d'olive locale qui n'obéit à aucune règle du marché. Alors, nous avons demandé à un propriétaire d'huilerie ce qu'il en pense. «Il n'y aura pas d'augmentation, car nous avons connu des années de vaches maigres pire que celle-ci et les prix sont restés stables. Cela va faire maintenant près de dix années que l'huile est vendue entre 600 et 800 dinars», explique-t-il. Toutefois, les citoyens ne l'entendent pas de cette oreille. «Ah bon, alors celui qui veut acheter à 600 dinars, qu'il aille ‘'le trouver'' où il veut.
Moi, je ne cèderai pas un litre à moins de 1 000 dinars. Celui qui n'est pas d'accord, n'a qu'à venir me voir accroché à un olivier de 10 mètres de hauteur dans le froid du mois de décembre», s'énerve un citoyen qui assistait à notre discussion. En fait, les prix de l'huile d'olive locale n'obéissent à aucune règle commerciale. En tout cas pas à celle de l'offre et de la demande. «Le litre d'huile d'olive n'augmente pas parce que la demande est supérieure à l'offre.
Le contraire est aussi vrai», dit doctement un autre propriétaire d'huilerie qui s'attend à ce que les prix restent stables cette année. Une simple observation donne entièrement raison à notre interlocuteur.
En effet, depuis l'été, nous avons observé que l'huile d'olive proposée à la vente par les citoyens n'est pas celle de la dernière récolte mais plutôt celle d'avant.
Étant trop maigre, l'année passée, la nouvelle récolte est épuisée durant les trois premiers trimestres.
Alors, il ne restait chez les citoyens que l'huile de la récolte, très riche, de 2021-2022. La rupture des stocks n'a pas produit la hausse des prix. Bien au contraire, certains citoyens ont vendu leur produit à moins de 500 dinars pour liquider l'ancienne huile.
Les labels passent par l'authenticité du produit
Sans l'authenticité de chaque produit, la labellisation ne serait qu'une distinction de qualité. Alors, l'huile d'olive ou le miel ne seraient sur les étals que des produits de consommation ordinaire. Or, ces produits du terroir véhiculent toute une sève culturelle et sociologique du pays producteur. Un produit «labellisable» doit avoir une charge d'authenticité. Ce qui fait que les tentatives de labellisation de notre huile doivent prendre en compte les caractéristiques culturelles et sociologiques. L'huile d'olive proposée à la labellisation doit laisser ruisseler, entre ses particules, ces pratiques anciennes et ces rituels. Dans la lumière qui la traverse et sa couleur dorée, doivent se laisser apercevoir les ombres de nos ancêtres et se laisser entendre les chants de nos grands-mères.
Kamel BOUDJADI
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Posté Le : 29/11/2023
Posté par : rachids