Par Mahmoud CHABANE*
Le but de cette deuxième contribution et le rappel des éléments saillants n'est pas fait pour dire que la situation est désespérée. Des solutions existent. Il s'agira d'engager résolument l'ensemble des moyens pour mener la mère des batailles, en l'occurrence l'indépendance alimentaire de notre pays et sa sécurisation qui passent nécessairement par la décolonisation de notre agriculture, trop dépendante des importations de produits alimentaires, d'intrants et de matériels, jadis produits chez nous. C'est une bataille à la portée du pays pourvu qu'elle soit déclarée cause nationale et que les leviers dont disposent les décideurs soient utilisés intelligemment pour faire aboutir ce projet.
Pour mener à bon port cette bataille, les mesures opérationnelles jugées essentielles ci-après données à titre indicatif, pourraient, après réflexion et maturation, être mises en oeuvre:
1-Prendre de toute urgence les mesures appropriées que requiert la protection intransigeante du précieux patrimoine commun que constituent l'eau et la terre ainsi que des écosystèmes très fragiles. Il s'agira de mettre en application les dispositions de la Constitution et de la loi d'orientation agricole de 2008 en vigueur, stipulant clairement que l'Etat assure l'utilisation rationnelle et protège les terres et également le domaine public hydraulique. C'est là, une évidence et une des missions régaliennes de l'Etat. Traduire concrètement ces dispositions constitutionnelles implique l'élaboration et la mise en oeuvre d'une batterie de mesures; juridiques et réglementaires, techniques et économiques pour lutter contre toutes les formes de destruction et de détournement de la vocation de ce patrimoine commun (sol et eau).
Cette action primordiale passe indéniablement par la promulgation de toute urgence, de l'arsenal juridique et réglementaire qu'elle requiert de manière à mettre fin à l'impunité dont avaient bénéficié jusque-là les prédateurs, les spéculateurs et les destructeurs de ce patrimoine. Il est indéniable que l'éloignement définitif de ces malfaiteurs passe nécessairement et objectivement par la qualification de crime, tout acte de destruction, de détournement de vocation et de destination du foncier, ainsi que de la ressource en eau.
La déclaration du 1er Novembre 1954
Cela doit être accompagné, par la poursuite et la condamnation à de lourdes peines et d'amendes, tout auteur de ces crimes à l'instar de ce qui est envisagé pour sanctionner les spéculateurs des denrées alimentaires. Il est aussi attendu, un durcissement des procédures de déclassement des terres et de l'eau, actuellement en vigueur.
2- Engager résolument notre pays sur la voie de la décolonisation de notre agriculture qui passe nécessairement par l'élaboration et la mise en place d'un plan de culture structurant notre politique agricole qui doit objectivement, au regard des objectifs clairement affichés par la déclaration du 1er Novembre 1954 et réaffirmés par les différentes Chartes nationales, viser la satisfaction des besoins alimentaires prioritaires et essentiels de notre peuple. Elle doit s'inscrire dans une démarche globale visant à soulager, voire guérir notre peuple des stigmates du colonialisme. Il faut garder à l'esprit que c'est cette promesse de décoloniser notre agriculture pour la mettre au service de tout le peuple qui avait, entre autres, fait lever tout le peuple pour mettre hors de nos frontières le colonialisme français barbare porteur de l'injustice, de la misère... Faut-il rappeler que le plan de culture élaboré et installé pendant la colonisation, nonobstant le fait qu'il avait modifié considérablement les écosystèmes et les paysages agricoles, avait été orienté pour satisfaire prioritairement les besoins complémentaires de la bourgeoisie métropolitaine en produits agricoles de qualité et ce, au détriment de l'alimentation des indigènes spoliés de leurs terres et reclus dans la misère et la famine'
3-Identifier, évaluer et classer par ordre de priorité les produits agricoles essentiels de base dont a besoin la population, pour être pris en compte lors de l'élaboration du plan national de culture. Clairement, il s'agira d'oeuvrer pour recouvrer graduellement notre modèle de consommation perverti par la colonisation dont la baguette parisienne en est le symbole, basé sur la consommation des produits du terroir. À titre indicatif la gamme de produits agricoles largement consommés par les ménages peut s'établir comme suit: les céréales (blé dur, blé tendre, orge, avoine), les légumes secs (pois chiches, lentille, féverole), la pomme de terre, la tomate industrielle, les oeufs, les fourrages, le lait...
Un plan national de culture...
4-élaborer et mettre en oeuvre un plan national de culture axé essentiellement sur la production de produits retenus et reconnus prioritaires, produire les semences et plants des cultures classés stratégiques, en intégrant dans sa conception l'exploitation rationnelle des potentialités hydro-agricoles, l'introduction de l'assolement rotation approprié à chaque zone de production et l'application suivie des itinéraires techniques pour chaque culture.
5-Actionner les leviers dont disposent les pouvoirs publics, en l'occurrence l'eau, la terre, la réglementation, le financement, l'assistance technique pour amener les producteurs à adhérer et être partie prenante de ce plan de production d'intérêt général. Dans le sillage de ces actions déterminantes, il y a lieu d'envisager sérieusement l'élaboration et la mise en place d'un cahier des charges adapté aux exigences du plan de culture national que devront signer les bénéficiaires des terres du domaine privé de l'état et des éventuels adhérents au dit plan relevant du secteur privé.
6-Revoir nécessairement le système des subventions directes dont l'efficacité est sujette à caution, souvent détournées de leur destination initiale et décriées, car ne profitant pas aux petits paysans, véritable colonne vertébrale de l'économie agricole.
Il est plus efficient et judicieux de privilégier les aides indirectes sous formes d'assistance technique et scientifique, de travaux de laboratoire, d'études, de formation, de garanties de l'état, couverture sociale pour les producteurs engagés au titre du plan national de culture... que de subventionner des facteurs de production dont il est illusoire de vouloir contrôler leur utilisation. Il est absolument nécessaire que l'administration agricole distributive de subventions, se consacre résolument et définitivement à sa mission originelle d'appui technique à la production. Autrement dit, faire de façon à ce que le cultivateur ne se rende plus à un service agricole pour demander des subventions mais pour consulter un «médecin agricole» spécialiste pour l'aider à solutionner des problèmes agronomiques, à l'instar de ce qu'il fait avec son médecin.
7-Décréter la pomme de terre produit stratégique d'intérêt national au même titre que les céréales pour bénéficier des mêmes traitements et avantages de protection. Pour prendre en charge, en amont et en aval, le programme pomme de terre, les producteurs devront constituer des coopératives d'entraide et de services au niveau local avec lesquelles les pouvoirs publics dialogueront, via une union des coopératives, sur tout ce qui a trait à ce programme. Ces coopératives auront aussi à se doter de toute la logistique (matériels agricoles classique et spécialisé, matériel de transport, chambres froides et lieux de stockage détenus en toute propriété ou conventionnés, chaînes de conditionnement... L'intérêt qu'il convient d'accorder à ce produit essentiel très prisé par la population, est dicté par le fait qu'il est consommé, sous différentes préparations, toute l'année. Produite en très grandes quantités (trois récoltes par an), la pomme de terre peut constituer indéniablement un moyen de réduire significativement la consommation des céréales et par conséquent les importations de ces dernières et dégager une production excédentaire conséquente susceptible d'être exportée.
8- Pour que notre population et les décideurs n'aient plus à subir les moments de stress et d'inquiétudes légitimes imposés par les spéculateurs de tout bord et autres acteurs malintentionnés, il devient impératif que les pouvoirs publics se réapproprient le monopole sur les produits alimentaires de base et édictent une réglementation stricte pour protéger le pouvoir d'achat des citoyens. Pour ce faire, il y a lieu d'organiser sur des bases contractuelles des filières par produit, la production, la collecte, la régulation et la commercialisation et de s'appuyer sur un réseau de coopératives de services à créer.
9-Concernant les importations de produits alimentaires destinés à la transformation ou à la consommation en l'état, des intrants, des semences, des produits de traitement phytosanitaire et vétérinaire, des outillages et matériels agricoles... il doit être fait obligation aux importateurs de s'approvisionner exclusivement et directement auprès des producteurs et fabricants des produits autorisés à l'importation.
Outre le fait que cette mesure atténuera le phénomène de la surfacturation et autres opérations frauduleuses, elle se traduira par la réduction des prix de cession des facteurs de production aux utilisateurs et des produits alimentaires aux consommateurs.
10 - Engager les chercheurs pour mettre au point des produits de substitution aux importations d'intrants, de semences et plants, d'aliments pour l'élevage, de mettre au point des itinéraires techniques raisonnés et appropriés.
Ce que nous dicte notre histoire
Toutefois, force est d'admettre que ce socle de mesures structurelles peuvent s'avérer insuffisantes, si toutefois les mesures d'accompagnement, ne sont pas prises; en direction des producteurs- acteurs du plan de production national qui doivent être motivés et confortés dans leur rôle d'acteurs économiques, d'un système coopératif d'entraide paysanne adapté pour jouer, entre autres, un rôle d'interface entre les producteurs et les services publics; pour mettre en place un réseau de laboratoires agro-pédologiques et de protection des écosystèmes, et d'un système de suivi et d'assistance techniques assurés par un personnel formé pour prendre en charge les préoccupations des producteurs, semer le progrès technique et éviter tout gaspillage.
Réaliser la refonte du système «statistiques agricoles» qui est à inscrire parmi les priorités en vue de donner aux planificateurs et aux décideurs des outils d'aide à la décision fiables.
Pour agir sur la croissance démographique, devenue un tabou, qui, si elle n'est pas remise au centre des préoccupations de toute politique de relance économique, risque d'annihiler tous les efforts consentis pour réaliser l'incontournable double objectif: l'indépendance alimentaire et l'amélioration qualitative de la ration alimentaire.
En conclusion
La mobilisation des moyens de la nation en vue de réaliser dans les délais les plus raisonnables notre indépendance alimentaire, nous est dictée par notre histoire récente et la nécessité de mettre notre souveraineté à l'abri des dangers qui planent, telle une épée de Damoclès, sur nos approvisionnements en produits alimentaires de base et en intrants agricoles. Il ne faut surtout pas perdre de vue que l'arme alimentaire peut être activée à tout moment et que les effets induits par le réchauffement climatique touchant les zones de production rendront à l'avenir les importations de produits agricoles de base hypothétiques. Autrement dit, il se profile à l'horizon pas si lointain que ça, que même avec les devises que nous donnent nos infatigables «patriotes», en l'occurrence, HASSI MESSAOUD et HASSI R'MEL, des difficultés d'approvisionnement en produits alimentaires de base de la population. Et les multiples déclarations proférées par la porte-parole des nostalgiques de l'Algérie française et les principaux acteurs politiques de l'ancienne puissance coloniale, gorgées de haine et de fiel largement relayées par les médias français, à l'endroit de notre pays, de son peuple et de ses institutions, sont là pour nous alerter. Aussi, il ne faut jamais oublier que notre pays avait depuis l'indépendance fait l'objet de campagnes de dénigrement, de boycott et de chantage de toutes sortes, destinés à provoquer le désordre et l'asphyxie. Ceci nous oblige à mettre tout en oeuvre pour assurer notre pain quotidien fait à base de blé dur et d'orge bénéfiques pour la santé produits nécessairement localement.
*Agronome
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Posté Le : 04/01/2022
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : L'Expression
Source : www.lexpressiondz.com