Algérie

La banlieue chic de Tunis, refuge cinq étoiles pour riches Libyens



Depuis quelques mois, les infrastructures luxueuses de la capitale tunisienne ont trouvé une nouvelle clientèle, faite de Libyens aisés fuyant le conflit dans leur pays.

« Chaque matin, ils dépensent 7 ou 8 dinars pour le petit déjeuner. Ça fait 240 dinars par mois, le salaire d'un Tunisien!» Jihed Yaacoubi, 27 ans, serveur dans un café-restaurant d'Ennasr, dans la banlieue nord de Tunis, n'en finit pas de calculer... et de s'étonner. Depuis mars, ce quartier huppé voit affluer de riches Libyens fuyant le conflit qui ravage leur pays. «Sur la soixantaine de tables que compte le restaurant, il n'est pas rare que 40 soient occupées par des Libyens, dit-il. En cinq ans de travail à Ennasr, c'est du jamais-vu!».

 Sur l'avenue principale, où s'alignent magasins, cafés et restaurants branchés, les plaques d'immatriculation libyennes sont presque majoritaires. Hyundaï Lantra, Kia Cerato, Kia Sportage, Kia Optima, Passat, Camri GLX… «Toutes les belles voitures sont libyennes», résument les Tunisiens. Vers 12h30, ce jour de semaine, deux jeunes hommes garent une Hyundaï Verna près d'un salon de thé de la place. Jean dernier cri, chemise blanche et cheveux gominés, Abdullah Ahmed, 23 ans, s'installe avec son ami, Mokhtar Mohamed, la trentaine, devant un thé et une chicha. «Il n'y a rien à faire ici. Dormir, boire des cafés...», énumère-t-il avec lassitude.

 Le jeune homme, étudiant, dit être venu il y a un mois «avec la famille», via le poste-frontière de Wazen-Dehiba, au sud-est de la Tunisie, aux mains de la rébellion depuis fin avril. Son frère, son père et son oncle «sont retournés combattre Kadhafi dans les montagnes de la région de Zinten», à l'ouest de la Libye, dont la famille est originaire. Lui est resté veiller sur sa mère et sa sÅ“ur, qui vivent à El Menzah, non loin d'Ennasr. Son père, un «professeur», paie leur loyer, mais l'étudiant assure qu'il «se débrouille». Il partage un appartement avec Mokhtar Muhamad, qui connaissait Ennasr bien avant la guerre: son entreprise de cosmétiques y est installée depuis trois ans. Il avait l'habitude «des allers-retours», mais il y a trois mois, il a décidé de s'y installer «en attendant la paix en Libye».

Location «courte durée renouvelable»

Pour les deux hommes, la vie à Ennasr coûte «tellement, tellement cher». L'entreprise de Mokhtar Muhamad, qui exportait beaucoup vers la Libye, tourne au ralenti. Abdullah Ahmed affirme quant à lui qu'il a dû vendre sa voiture pour payer le loyer de «2000 dinars par mois, plus un mois de caution». «Les Libyens qui s'installent ici sont à la recherche de biens luxueux», explique Chokri Keskes, propriétaire d'une agence immobilière à Ennasr et Président de la Chambre nationale des agents immobiliers. Depuis quelques semaines, il a loué à plusieurs familles libyennes «des F4, des F5 et des F6, pour des loyers mensuels de 1500 dinars en moyenne». Son agence propose des contrats de location «courte durée renouvelable», ce qui augmente les prix de 5 à 10%, outre la hausse saisonnière des loyers, d'avril à octobre. Jihed Yaacoubi, lui aussi, fait des affaires. Le jeune serveur, qui se réjouit «des pourboires» laissés par les clients libyens, a joué «deux ou trois fois» le rôle d'agent, pour louer des appartements à la nuit «à de jeunes Libyens désireux de s'échapper du logement familial». «Mon ami loue un appartement 50 dinars la nuit à des touristes, chaque été, raconte-t-il. En ce moment, on demande 80 dinars aux Libyens, ils peuvent payer».

Une clientèle «nouvelle» de substitution aux occidentaux

Une clientèle «nouvelle» qui comble une partie du vide laissé par les touristes, peu nombreux cette année en Tunisie. La révolution du 14 janvier et les troubles qui l'ont entourée, puis la situation de la Libye, toute proche, ont fait fuir des touristes occidentaux frileux. «A Sousse et à Djerba, les Libyens sont un enjeu encore plus important qu'à Tunis», dit Chokri Keskes. Selon lui, ses collègues ont récemment augmenté les prix de moitié. «Des hommes d'affaires libyens, qui travaillent souvent à l'étranger, sont prêts à payer pour savoir leurs proches ici, en sécurité», explique-t-il. Une version confirmée par les employés d'un bureau de Poste d'Ennasr, qui s'étonnent du nombre de «colis échangés avec l'étranger» par les Libyens installés dans le quartier. «La plupart d'entre eux ont des proches à l'étranger, au Canada, aux Etats-Unis, en Italie», affirme la guichetière, qui remarque aussi que les services de transfert d'argent proposés par le bureau de Poste connaissent un vif succès ces derniers mois. Hamza Aribi est l'un de ceux qui gardent contact, depuis Tunis, avec des «connaissances» partout dans le monde. L'homme de 34 ans, qui possède une entreprise pharmaceutique en Libye, n'est pas en terre inconnue en Tunisie, où son cousin a installé son entreprise il y a 8 ans. Mais ce sont surtout, confie-t-il, ses « frères aux Etats-Unis et au Canada» ainsi que «de bonnes relations avec des hommes d'affaires au Qatar et aux Etats-Unis» qui l'aident, depuis son arrivée en Tunisie le 5 mars, à payer son loyer de 1000 dinars, et ses billets d'avion entre Tunis et Benghazi. Il dit se rendre souvent dans la «capitale» des rebelles, pour fournir «une aide logistique et matérielle» au Conseil national de transition libyen.




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