La "baguette magique" du jeûneur

Baguette ou «kesra» mon coeur balanceL'Algérien achète plus de 4 milliards de baguettes de pain pendant le Ramadhan.Ne voulant pas gâcher sa sieste, Ammi Djelloul, attendit la fin de l'après-midi, une heure pas trop éloignée de l'iftar pour prendre sa canne taillée dans un rameau d'olivier pour s'en aller, d'un pas trop alerte pour ce septuagénaire accompli, vadrouiller dans les venelles de la Casbah.Oncle «Djidji», comme appelé amicalement «fel houma», se fondit presque instantanément dans la foule bigarrée et bruyante qui emplissait la vieille cité. Si les badauds comme lui, ou encore la multitude de femmes, se frayaient aisément un chemin parmi la foule dense, Ammi Djidji éprouvait quelque peine pour parvenir à marcher normalement.Certes, en tant que badaud «sayem» il n'en était pas gêné outre mesure, mais il aurait aimé cependant mieux voir les étals...de pain.Ces pains multiformes, pétris avec des farines très diverses d'orge, de seigle, blé, maïs, avoine...qui ne cessaient de lui faire des clins d'oeil, l'invitaient à en acheter. Ammi Djidji n'avait pas besoin de tant de sollicitude. Pour lui, une bonne «chorba» comme préparée par son épouse méticuleusement avec art, doigté et amour, ne saurait se faire accompagner d'un pain «courant» cuit dans ces fours chauffés par des brûleurs de carburant (mazout). Un sacrilège se plaisait-il à répéter et marteler à toute occasion qui lui était offerte. Pour lui rien ne saurait remplacer un pain cuit traditionnellement sur un «tadjin» en terre cuite chauffé sur du charbon de bois enfoui dans un «kanoun» façonné en terre également. Cest aussi sur ce même kanoun qu'était cuite la fameuse chorba qui aurait mijoté des heures durant dans la marmite en argile spéciale à la température régulière générée par ce foyer traditionnel.Cependant, les caprices de Djidji avaient l'inconvénient renouvelé de se retrouver à l'heure de l'iftar avec beaucoup de pains s'ajoutant à ceux déjà achetés tôt dans la matinée par les enfants ou ceux qui avaient fait auparavant le marché du jour. Cette image nous renvoie à celle du couscous de la mendiante fait avec «mille et une semoules» différentes au gré des donneurs. Cette situation pour le moins burlesque nous rappelle, selon l'Union générale des commerçants et artisans algériens (Ugcaa), que les Algériens achètent près de 4,1 milliards de baguettes de pain durant le Ramadhan, mais 120 millions d'entre elles ne sont pas consommées et «jetées à la poubelle». Fort heureusement pour le pays, cette quantité de pain dont on se débarrasse, est de nos jours ramassée par des collecteurs qui la vendent aux éleveurs de volailles et même de ruminants. Certes, c'est une goutte dans l'océan, mais cette méthode permet un tant soit peu d'économiser «quelques» devises fortes qui servent à importer les céréales, le blé tendre notamment, nécessaires pour la confection de cette «baguette magique» indispensable pour les Algériens lors des repas.En 2014, la facture des importations algériennes des céréales s'était établie à 3,54 milliards de dollars, en hausse de 12% par rapport à 2013. L'Algérie est le deuxième importateur de céréales dans le pourtour méditerranéen et en Afrique, après l'Egypte. Aussi, est-il admis que l'Algérie ne soit pas près de réduire son recours au marché international pour répondre à la forte demande locale entre couscous, pâtes alimentaires et pain dont l'Algérie est justement l'un des premiers consommateurs à l'échelle mondiale. De cet aliment sacré, l'Algérien en a fait un compagnon de «misère». Tout comme ailleurs du reste, il ne faut pas oublier non plus que c'est un mobile d'émeutes qui couve chez la plèbe, car un produit stratégique avec lequel l'Algérien entretient des rapports, religieux en l'occurrence, très forts.