Algérie - Revue de Presse


Après l'urne qui tue la démocratie, l'Algérie a créé une autre nouveauté électorale, celle où l'abstention a plus de sens que le vote. La sanction est tombée, impitoyable. Au-delà du nombre de sièges obtenus par tel ou tel parti, du recul de tel autre ou de la percée des listes dites indépendantes, les élections législatives du 17 mai valent d'abord par le chiffre de l'abstention enregistrée. Et, pour une fois, il y a eu consensus sur l'interprétation de ce chiffre : il confirme l'ampleur de l'écart qu'il y a entre l'Algérie officielle et l'Algérie réelle.  Peu importe pourquoi les Algériens n'ont pas voté. Qu'ils ne croient plus à ce type de scrutin, qu'ils considèrent leur vote sans effet sur la vie du pays, qu'ils redoutent le trucage des élections, qu'ils ne se retrouvent pas dans les candidats ni dans leurs programmes, ou qu'ils considèrent le vote comme une simple formalité technique sans effet pratique, tout ceci devient secondaire face à cette terrible réalité : la représentation nationale est biaisée. Le Parlement, supposé être l'expression de la souveraineté nationale, ne représente qu'une partie du pouvoir et de sa périphérie. Les deux tiers des Algériens ne se sentent désormais plus concernés par ce que décident leurs ministres et leurs députés, ni par les institutions qui gèrent le pays.  Pourtant, le pouvoir ne semblait pas faire face à des handicaps majeurs pour organiser ce scrutin. Ni terrorisme menaçant, ni dissidence islamiste, ni présence encombrante des ârouch ne venaient assombrir une opération apparemment bien rodée. Au contraire, le pouvoir avait à sa disposition l'argent, les moyens matériels, l'administration, les médias publics, l'alliance présidentielle et l'arrogance. Avec tous ces atouts, il n'a pas réussi à convaincre les Algériens de se rendre aux urnes. Mais aussi terrible soit-il, le choc du 17 mai ne semble guère avoir eu d'effet. Dès le lendemain du vote, en effet, ceux qui ont la charge des affaires du pays sont revenus à leur platitude, à leur train-train quotidien et à un comportement qui frise l'irresponsabilité. Quatre réactions suffisent amplement à montrer avec quel dédain les responsables du pays ont réagi à ce séisme politique.  Ahmed Ouyahia, un grand connaisseur dans le domaine, a parlé de fraude ! Lui qui est au gouvernement depuis une décennie, a trouvé le moyen de critiquer la loi électorale, et d'en demander la révision. Le ministre de l'Intérieur Yazid Zerhouni a trouvé dans le vote le signe d'une « maturité » des Algériens. Boudjerra Soltani, ministre d'Etat, a estimé que son parti a progressé ! Et le chef du gouvernement Abdelaziz Belkhadem s'est déguisé pour expliquer que son parti s'est replié, mais n'a perdu ni la bataille, ni la guerre.  Le sursaut attendu après un tel choc n'aura donc pas lieu. Le pays va se replonger très rapidement dans les petites combines. On s'interrogera sur la présidence de l'Assemblée Nationale, on supputera sur l'élargissement du gouvernement, sur les chances du RCD d'y accéder, sur les conditions posées par Louisa Hanoun pour intégrer l'alliance présidentielle. Ensuite, ce sera l'été, puis le Ramadhan, avant les élections locales. Et on parlera peut-être de nouveau de révision de la Constitution. Il y a là largement de quoi meubler une année inutile.  Cette fuite en avant n'effacera cependant pas les problèmes. Elle retardera seulement l'échéance, car la réalité finira par s'imposer de nouveau. Avec, cette fois-ci, deux changements majeurs.  D'une part, la société algérienne est en majorité hors contrôle du pouvoir. Le fossé qui s'est creusé entre les Algériens et leurs dirigeants est aujourd'hui consacré de manière institutionnelle. D'autre part, la contestation actuelle n'est pas violente. Elle n'est le fait ni de Ali Belhadj, ni de Abbassi Madani, ni du GSPC. Même le FFS a eu l'élégance de ne pas revendiquer la forte abstention du 17 mai.  Il s'agit d'un mouvement plus profond, si profond que certains n'hésitent pas à y voir l'oeuvre du parti du pouvoir, lassée du bricolage en cours depuis des années.  Face à une telle situation, les schémas traditionnels destinés à colmater les brèches ne peuvent désormais plus s'appliquer. Il n'est plus possible de recourir à des formules partielles pour rétablir les ponts entre les Algériens et leurs institutions. Car c'est une lame de fond qui frappe le pays.  Comme si le pays, à travers cette abstention massive, payait en une traite toutes les vicissitudes du passé, de l'affaire Khalifa aux scandales financiers, de l'incompétence des dirigeants au mal-vivre des jeunes, de la corruption au rejet de la bureaucratie, du chômage aux harraga.  Ce n'est plus une déferlante, c'est un tsunami, qui met le pouvoir seul face à lui-même. Il a mené la barque tout seul, et a lentement construit son propre échec.  Il ne peut s'en prendre ni au terrorisme, ni à l'opposition, et ne peut invoquer ni le manque de ressources financières ni l'absence de signaux d'alerte, avec ces émeutes quotidiennes qui secouent villes et villages de l'intérieur du pays, et ce suicide collectif que représentent aussi bien les destructions des biens publics que le phénomène des harraga.  Sous cet angle, le pays apparaît dans l'attente d'une véritable révolution participative. Mais rien n'indique que le pouvoir est prêt, ni disposé à répondre à cette attente. A l'inverse, certains signes, et même certaines déclarations publiques, expriment la satisfaction du pouvoir face à ce type de scrutin.  Cela confirmerait l'hypothèse la plus invraisemblable qui ait été avancée pour expliquer le 17 mai : c'est le pouvoir qui a sciemment préparé ce résultat. Après tout, disent les partisans de cette thèse, le pouvoir n'a-t-il pas rêvé depuis quinze ans de construire une démocratie sans le peuple, et d'organiser des élections sans participation populaire ? Lassé d'annuler des élections dont les résultats ne lui plaisaient pas, ou de truquer des scrutins dont les résultats ne lui convenaient pas assez, il a préféré une autre méthode, dans laquelle il n'y a ni bourrage d'urne, ni changement de PV. Il a décidé d'organiser des élections dans des conditions telles que les Algériens se trouveraient dans des dispositions politiques et psychologiques qui les éloigneraient de l'urne.  Le coup été réussi. Trop réussi même. A tel point que l'urne s'est transformée en boomerang.
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