Algérie

L'urgence médicale n'aurait rien d'urgent !



L'intitulé prêtera certainement à sourire, mais au vu des us qui prennent de plus en plus d'ampleur en passant subrepticement dans la banalité, il ne serait pas loin de la réalité.

N'a-t-on vu ou entendu parler de cette ambulance qui fait « du porte à porte » pour « caser » son ou ses malades; les villes de l'intérieur qui n'ont pas certaines spécialités font du regroupement de malades dans un même véhicule.

L'infirmier accompagnateur fera des prouesses inouïes pour s'acquitter d'une tâche ingrate, celles d'user de tous les subterfuges pour convaincre les uns et les autres à l'effet de faire admettre son malade. Que dire alors de ces transfuges du grand sud empruntant la voie des airs et qui, en fin de course, se démèneront seuls pour trouver le moyen de locomotion le plus adéquat pour rallier leur destination hospitalière. Même dans les cas favorables, la galère n'est pas pour autant terminée; il sera souvent question de refaire une image de scanographie ou tout autre examen biologique. On fera montre de sollicitude en conseillant au paramédical ou à l'accompagnateur, d'aller de préférence chez X ou chez Y, exerçant en pratique de ville bien sûr. Certains services dits hospitalo-universitaires sont de véritables tours de Babel. Ils sont inexpugnables. Il ne manquerait à ces « principautés » que de délimiter zoologiquement leur territoire. N'a-t-on pas entendu parler de ces ex-malades qui ont expiré leur dernier souffle dans des couloirs d'hôpitaux dramatiquement vides? Il n'y a aucun règlement qui interdit de prendre en charge un malade en détresse, sous le fallacieux motif de manque de place, tout au contraire, l'administration hospitalière est tenue, par le règlement intérieur et par les règles éthiques, de pourvoir en lits supplémentaires en cas de besoin. Forts de leur proximité avec le centre, les services dits hautement spécialisés ont fait signer une instruction ministérielle inique dont l'esprit et la lettre consistent à faire transiter obligatoirement le malade par une garde administrative d'accueil qui n'est souvent pas au poste. Ceci sans préjudice des désagréments subis et en dépit du rendez-vous sollicité à cor et à cri.

Abordé depuis la réflexion engagée en 1992, lors du défunt Plan Local d'Action Sanitaire appelé par contraction PLAS, l'urgence médicale constitue jusqu'à présent le débat de l'heure. Cette réflexion prospective, qui a duré près d'une année entière, a suscité un engouement sans pareil, fédérant toutes les compétences nationales du nord au sud et d'est en ouest. Dès lors, le segment de l'urgence médicale, appelé on ne sait pourquoi urgences médico-chirurgicales, n'arrête pas de hanter les esprits, autant des responsables que des praticiens eux-mêmes. L'urgence médicale ne peut être que globale et multiforme dans sa prise en charge, le patient n'est pas un service encore moins une spécialité, pour être dichotomisé. On oublie souvent que l'urgence nécessite l'intervention humaine dans tout ce qu'elle a de prompt. On se dissimule souvent derrière le manque de moyens. Ces moyens ne résident parfois qu'en la disponibilité d'une compétence, d'un flacon de produit médicamenteux spécifique, d'un instrument usuel ou matériel primaire : aspirateur de mucosité, aérosol, masque à oxygène. Beaucoup de cas seront inscrits dans l'urgence différée, il ne suffira, dans ce cas, que de bien l'expliciter au malade et aux parents. L'absence de dialogue est mère de toutes les incompréhensions. Cette activité aurait besoin en outre d'un téléphone et d'une ambulance qui roule. Il est parfois désolant de trouver un personnel disponible mais exerçant à main nue ou pis encore, lorsque le praticien médical, prend sa garde sans se soucier de l'arsenal thérapeutique avec lequel il devra affronter la demande. Le rapport de garde est rarement rédigé, encore moins remis à qui de droit. Le reste dépendra du diagnostic posé et des capacités installées. Il est fréquemment observé que cette entité d'exception soit lestée de tâches relevant normalement d'autres services, devenant ainsi un véritable radeau de la Méduse. Surchargé à souhait, le service ne saura plus où donner de la tête. Il est inutile de se cacher indéfiniment la face, rien n'empêche d'organiser un service des plus performants moyennant la mise en place d'une charte consensuelle où tout intervenant se retrouvera sans injonction ni contrainte. La contrainte a souvent caractérisé l'activité urgentiste, elle est vécue comme une pénalisation. Elle devrait être, bien au contraire, une activité où l'accomplissement de soi et la sérénité en seront les maîtres mots. Dans le chapitre de la coercition, l'administration en est responsable pour une grande part; dans certains cas, la pénalisation à peine déguisée passe par une affectation aux « urgences » ou au service « infectieux » : état d'esprit ou irresponsabilité belliciste ? L'affrontement n'est jamais payant dans ce cas.

Il est des habitudes de gestion qui ont prouvé leur inefficience et leur contre-performance avérée. A-t-on une seule fois interviewé le nouveau personnel pour jauger son aptitude physique et psychologique à être affecté à un service plutôt qu'un à autre ? Il est des multitudes d'éléments humains qui rechignent à la tâche, parce qu'elle les rebute. Le travail de nuit n'a jamais été compensé à sa juste valeur et s'il y a compensation, elle n'est souvent que matérielle, rarement réparatrice de la sujétion. La sacro-sainte ouverture de postes budgétaires y est pour beaucoup. Les postes occupés par le personnel féminin ne tiennent pas compte de l'état biologique de ce personnel (longues absences pour cause de maladie ou de maternité) et dans ce cas, les postes ouverts devraient être frappés d'un coefficient de pondération à l'effet de pourvoir à la vacance.

Féminisés à près de 70%, il ne faut pas être grand analyste pour en tirer les conclusions qui en découlent. Il en est de même pour les régions du grand Sud où les congés annuels de cinquante (50) jours influent imparablement sur la continuité du service. Le service civil réimposé au praticien spécialiste depuis 1998, considéré à tort comme la panacée à une couverture médicale équitable, ne semble pas avoir répondu pleinement aux attentes. Même dans l'affirmative, la période relativement courte de cette obligation n'est pas faite pour se projeter dans l'avenir. Que de services équipés à grands frais ont dû fermer pour cause de départ définitif de spécialistes ayant satisfait à cette obligation. Ne faut-il pas revenir aux causes qui ont nourri la désaffection de la population pour les hôpitaux généraux ? L'une d'entre elles est sans nul doute la perte de confiance vis-à-vis de l'omnipraticien due à la frilosité chatouilleuse du spécialiste à l'égard de la pratique généraliste. Une expérience vécue dans les années soixante-dix renvoie à ce petit hôpital de l'intérieur du pays qui fonctionnait avec cinq jeunes médecins qui s'acquittaient brillamment de leur mission, sans recours au spécialiste. D'ailleurs, il n'y en avait pas dans la proximité immédiate. Ces jeunes médecins assistaient les femmes en couche, les enfants en détresse respiratoire et réglaient un tas de problèmes plus ou moins sérieux. Ils pratiquaient normalement le curetage utérin; dix ans plus tard, ils ne pouvaient plus le faire sous peine de pénalisation en cas de complications, la vox populi faisant le reste. Cette régression a été la source de toutes les sollicitations souvent inconsidérée du médecin spécialiste; de cause à effet, celui-ci s'est retrouvé submergé et contraint à pratiquer des gestes simples dont le généraliste s'en acquittait aisément. La chronique des urgences rapporte çà et là des situations grotesques qui ont fait confier de simples plaies du pavillon de l'oreille à l'ORL et des yeux « rouges » à l'ophtalmologiste. Cette distorsion se retrouve aussi dans le binôme médecin-infirmier. On ne veut céder aucune parcelle de terrain à ce proche assistant. Seuls la sage-femme et l'assistant anesthésiste ont pu arracher des prérogatives de haute lutte.

Peut-on confiner dans un rôle tertiaire un personnel détenteur d'une formation équivalant à bac 3 ? Il mérite, à notre avis, plus de considération pour un meilleur sort et pour l'intérêt bien compris des usagers. Il est des pays des plus développés, notamment les Etats-Unis, où l'infirmière est la principale interface du patient. Il ne revient qu'à elle, pour solliciter ou non l'avis médical. L'on me dira que ce praticien paramédical est mieux formé ! Faisons qu'il en soit ainsi ! L'urgence médicale, cette activité hautement technique et humaine à la fois, mérite une réflexion sereine et sans précipitation.

L'élément humain y jouant un rôle central, c'est vers ce vecteur qu'il faut orienter les efforts. N'a-t-on pas assisté lors des grands séismes d'Al-Asnam et de Boumerdès à de véritables miracles médicaux, obtenus dans des conditions sanitaires de guerre et sans grands moyens ?

La volonté de bien faire a été sans nul doute un facteur déterminant dans cette réussite. L'urgence médicale ambulatoire, moins coûteuse, devrait être plus développée à l'effet de déclencher le processus au plus près du lieu du sinistre. L'infrastructure et les équipements, certes nécessaires, ne doivent nullement occulter le côté immatériel qui, sans lui, toute tentative de redressement volontariste demeurerait lamentablement vaine.






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